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L’Union européenne vue du Nord : les priorités de la Suède

| Maria Popczyk, Junior Fellow de l’Institut Open Diplomacy

4 juin 2020

Premier pays nordique par la taille de son économie, chef de file de la lutte contre le changement climatique, précurseur de la diplomatie féministe, ardent défenseur de l’universalité des droits de l’homme, avec une longue tradition de neutralité et pourtant engagé au sein de l’UE et de l’OTAN… Le royaume de Suède s’appuie sur une politique étrangère sui generis. Si les objectifs que se fixe Stockholm s'inscrivent dans les priorités européennes, l’UE vue de la Suède diffère de la vision française. Comment cet Etat scandinave a-t-il redéfini sa neutralité ? Quelles sont ses priorités européennes et internationales ? Quelles divergences en matière de politique étrangère existent entre la Suède et la France ?

De la neutralité au non-alignement

La Suède est restée un Etat neutre pendant près de deux siècles, depuis le temps des guerres napoléoniennes jusqu’à la fin de la Guerre froide. Ce statut lui a permis d’exercer un rôle de modérateur sur la scène internationale, promoteur de paix et de sécurité. Ce n’est qu’après la chute du bloc soviétique que la Suède a revu sa politique de neutralité, en rejoignant la construction européenne en 1995. Depuis, plutôt que « neutre », ce pays se définit comme « militairement non-aligné ». En effet, Stockholm a toujours refusé de rejoindre l’Otan.

Cependant, son non-alignement ne l’empêche pas de participer aux missions de maintien de la paix dans le cadre de l’ONU, de l’UE et de l’Otan. La Suède est aussi membre de l’OSCE, l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, dont elle assurera la présidence en 2021.

Quelles sont les priorités de la politique étrangère suédoise ? Dans la déclaration de politique étrangère du Gouvernement suédois le 12 février 2020, la Ministre des Affaires étrangères Ann Linde a mis l’accent sur trois priorités internationales. D’une part, renforcer les liens de l’UE avec les Balkans occidentaux - la Suède était favorable à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Ensuite, promouvoir le Partenariat oriental, un programme initié par la Suède et la Pologne en 2009. Enfin, contribuer à la stabilité des Etats d’Afrique du Nord et du Sahel. Parmi les priorités européennes de la Suède, trois grands axes sont à distinguer : la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit ; le climat et l’environnement ; et la politique de sécurité européenne.

Démocratie et Etat de droit : plus d’indulgence et moins de « name and shame » ?

En matière de promotion de la démocratie et de l’Etat de droit, force est de constater que l’Union européenne souffre actuellement d’un problème de crédibilité. Elle cherche en effet à promouvoir des principes à l’extérieur, alors même que la Pologne et la Hongrie portent atteinte à l’Etat de droit à l’intérieur. A la suite de nombreux débats et procédures juridiques en manquement, la Commission européenne a fini par déclencher la procédure de l’article 7, en 2017 et 2018, qui peut mener à des sanctions comme la suspension des droits de vote au Conseil de l’UE. En outre, la proposition d’une Union « à plusieurs vitesses » parfois évoquée par la France et l’Allemagne pour contourner les eurosceptiques, est redoutée par les pays d’Europe centre-orientale qui craignent leur marginalisation.

La Suède semble porter un regard différent sur la situation. N’oublions pas que les gouvernements hongrois et polonais ont été élus démocratiquement. Par ailleurs, l’adhésion de ces Etats à l’Union européenne reste relativement récente : en 2004, un peu plus d’une dizaine d’années après la chute du communisme.

La Suède pourrait ainsi appeler à favoriser une certaine indulgence envers ces pays face à des procédures stigmatisantes, et à accompagner les transitions. Au lieu d’une approche fondée sur le « name and shame », au succès pour le moins mitigé, les Suédois proposent de renforcer l’aide communautaire apportée aux organisations non-gouvernementales ou encore aux jeunes Hongrois et Polonais. La question reste néanmoins brûlante : faut-il continuer dans cette voie lorsque les violations de l’Etat de droit semblent ne pas cesser de s’aggraver ? Les débats risquent d’être houleux lors de la présentation du premier rapport annuel de la Commission sur l’État de droit au sein de l’UE en septembre 2020. D'autant que l’Allemagne fera de l’Etat de droit une de ses priorités pour sa présidence du Conseil de l’UE à partir du 1er juillet.

La Suède, précurseur de la taxe carbone mais opposée à une taxe aux frontières européennes

En vingt-cinq ans, la Suède est parvenue à réduire d’un quart de ses émissions de gaz à effet de serre. Classé premier sur vingt-huit par le Climate Action Network en 2018, le pays est bien parti pour atteindre l’objectif de réduction de ses émissions de 55 % d’ici 2030. Au niveau national, la Suède a développé des routes électriques grâce à un partenariat public-privé avec le constructeur Scania. Le groupe suédois Volvo a, quant à lui, décidé d’électrifier tous ses nouveaux modèles de voitures dès 2019. En outre, le royaume scandinave a été un des premiers pays au monde à adopter une taxe carbone, en 1991.

Selon la Ministre Ann Linde le 12 février 2020, Stockholm veut continuer à promouvoir son « leadership » climatique tant au sein de l’UE qu’à l’extérieur, afin d’« encourager les autres pays à augmenter leurs ambitions ».

Cependant, lorsqu’il s’agit d’introduire une taxe carbone aux frontières de l’UE, composante du Green Deal européen notamment voulue par la France, les Suédois se montrent plus réticents. Car le sujet n’est pas que climatique : il touche un débat récurrent sur les compétences européennes en matière de taxation. Pour la Suède, démocratie parlementaire, la fiscalité est un pouvoir régalien qui doit être contrôlé par le parlement national. Alors que les sujets de fiscalité et taxation sont soumis à la règle de l’unanimité au sein du Conseil de l’UE, tout projet de taxe carbone aux frontières du marché unique doit obtenir l’aval de l’ensemble des Etats membres pour aboutir. Ce qui semble difficile à atteindre, quand bien même la Commission proposerait la mise en oeuvre d’une clause passerelle.

Un pays européiste, mais réservé à l’égard de l’Europe de la défense

La Suède, comme membre de l’Union européenne, est enthousiaste à l’égard de la coopération structurée permanente - PESCO lancée en 2017. En revanche elle n’est pas particulièrement attirée par l’idée d’une « autonomie stratégique » supranationale telle que prônée par la France, au-delà de la notion agréé au niveau communautaire en 2016.

L’Union européenne et l’OSCE représentent pour la Suède des plateformes de coopération en matière de « soft security », de prévention de menaces non-militaires (R. Czarny, 2018). Mais pour ce pays nordique, la coopération européenne en matière de défense ne peut se passer de l’Otan - les Etats-Unis restent un partenaire stratégique crucial pour la Suède - ou des organisations régionales, notamment la Coopération nordique de défense - NORDEFCO. En outre, Stockholm exclut l’idée d’une coopération militaire institutionnalisée au sein de de l’UE : aux structures formalisées, elle préfère les partenariats ad hoc à forte valeur ajoutée. Le Livre Blanc de la Commission de Défense suédoise précise d’ailleurs qu’après le Brexit, la Suède devrait œuvrer en faveur de l’inclusion du Royaume-Uni, principale puissance militaire européenne devenue un Etat tiers, au sein de la politique de sécurité européenne.

La Suède comme Etat membre souhaite pouvoir agir en matière de défense de manière autonome, avec les partenaires de son choix, sans qu’ils soient systématiquement membres de l’UE.

La Suède est ainsi profondément ancrée au sein de l’UE, mais son européisme s’exprime et se décline différemment de la vision française. Cet État nordique porte un regard pragmatique sur l’intégration européenne, conscient de ses valeurs, de ses intérêts et leviers d’action. La Suède soutient les politiques cohérentes avec ses priorités, mais s’oppose à toute proposition à dimension politique sans garanties fortes sur le rôle des Etats, et des parlements nationaux. En matière de politique extérieure de l’UE, Stockholm est favorable à la coopération à une condition : que les Etats « périphériques » de l’UE soient consultés avant que de nouvelles initiatives soient lancées. Cela concerne notamment la politique de rapprochement avec la Russie lancée par Paris. Cette demande illustre une forme de défiance face à un moteur franco-allemand parfois considéré comme hégémonique, ou des ambitions françaises considérées parfois comme trop unilatérales. A suivre dans les prochains mois : les directions qui seront adoptées par la présidence suédoise de l’OSCE en 2021.