Utilisons d'entrée de jeu la méthode chinoise pour qualifier la stratégie américaine vis-à-vis de la Chine : être l'eau. Cette stratégie est recommandée par le célèbre auteur de l'Art de la Guerre, Sun Tzu, depuis le XIème siècle. Il s'agit tout simplement d'être insaisissable. Ce slogan a d'ailleurs été repris par les « parapluies » de Hong Kong des premières grandes manifestations contre les velléités autoritaristes de la Chine.
Il se trouve qu'« être l'eau » s'applique mieux aux États-Unis qu'à la République populaire qui est, elle, parfaitement rigide dans ses positions, comme le démontre l'acceptation hier par le Comité Central des nouvelles règles concernant la sécurité à Hong Kong.
En revanche, la position des Etats-Unis est fluide, dans le mauvais sens du terme. En effet, après avoir encensé Xi JinPing, le leader chinois, sur sa gestion de la pandémie de COVID-19, le président Trump a changé son fusil d'épaule —manœuvre dont il est coutumier— et a insulté copieusement, le mot n'est pas trop fort, son homologue chinois.
Entre temps cependant, un consensus assez robuste s'était déjà formé au sein du Congrès américain sur la nécessité de contrecarrer les agissements de la Chine dans plusieurs domaines, celui de l'armement, des communications, des acquisitions de territoires maritimes, des « camps de rééducation » des ouïghours (pour ainsi parler pudiquement des pratiques génocidaires pratiquées au Xinjiang), etc.
Il suffit de lire les newsletters journalières produites sur ce sujet par la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Représentants et leur teneur extrêmement agressive, pour connaître la température des sentiments américains envers la Chine.
Mais prendre une température permet à peine de comprendre les symptômes, il faut aller comprendre les causes racines de la maladie et pour espérer la guérir. Les problèmes ont commencé à se dessiner sous la présidence d'Obama, lorsque le « pivot vers l'Asie » a fait comprendre à la Chine l'intention des Etats-Unis de ne pas se laisser distancer géopolitiquement, militairement ou technologiquement.
Tout cela fondé sur des préoccupations légitimes alimentées par les actions et les déclarations chinoises, dans une période où la politique d'Obama se situait dans la ligne droite de la tradition américaine : « speak softly and carry a big stick » (parler doucement avec un gros bâton à la main). A l’opposé de la rhétorique Trump est devenue cet objet politique non-identifiable.
La récente mis en garde du Secrétaire d'État Mike Pompeo sur le renouvellement ou non du statut spécial de Hong Kong en est un exemple frappant : en effet, si les Etats-Unis veulent s'engager dans une véritable guerre froide avec la Chine, il leur sera impossible de continuer à exporter des biens vers ce pays avec lequel un arrangement monté en épingle par Trump vient d'être signé et avait commencé à être mis en œuvre. La connivence sino-russe en sortira grandie devant cette menace de guerre froide.
Si les sanctions évoquées par Mike Pompeo - mais pas encore appliquées par l'administration américaine - sont effectivement adoptées, la Chine aura non seulement perdu la face. Pékin se persuaderait facilement que les États-Unis veulent effectivement un changement de régime et qu'ils sont prêts, pour cela, à envenimer les choses jusqu'à un point de non-retour, surfant sur la vague des sentiments anti-chinois maintenant majoritaires, semble-t-il, dans toutes les opinions occidentales. A contrario, si elles ne sont pas adoptées, étant donné les intérêts économiques américains et internationaux à Hong-Kong, c'est l'Amérique qui aura perdu la face, pour rien.
À cet égard il est intéressant de noter que la grande majorité des analystes et sinologues américains pour ne parler que d'eux, y compris des personnalités médiatiques comme Fareed Zacharya par exemple, se montrent très réticents à ce que leur pays s'engage dans ce processus de nouvelle guerre froide.
Le consensus, parmi ces spécialistes, est très fort sur les dommages importants que cette politique « fluide » de négociations / diabolisation de la Chine dans une boucle d'allers et retours difficiles à suivre.
La plupart d'entre eux, à l'inverse des faucons du Congrès et de l'administration, préconisent une politique stable plutôt que mouvante qui serait celle d'une concentration sur une diplomatie bien comprise, ménageant la nécessité de réaffirmer le valeurs démocratiques, plus essentielles que jamais, tout en essayant de préserver les avantages économiques nécessaires au monde, le découplage complet avec la Chine n'étant ni souhaitable ni possible.
Être l'eau est une tactique pour dérouter l'adversaire, le problème est que les États-Unis naviguent sans gouvernail et sans compas.