Le débat sur la transition écologique et la décarbonation de l’économie s’intensifie en raison des effets croissants du changement climatique. Des défis et des opportunités, mettant en lumière les principales options politiques pour accélérer la transition tout en assurant l’équité sociale, se posent. En tant que révolution industrielle, cette transition va révolutionner notre économie et nous devons nous assurer qu’elle répond aux autres objectifs de développement durable.
L’urgence de la transition écologique : une révolution majeure de l’économie
La transition écologique n’est plus une option, elle est devenue une nécessité impérieuse. Face à des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus dévastateurs, l’urgence d’une transition vers une économie décarbonée est une évidence. Le dernier Emissions Gap Report 2022 du Programme pour l’Environnement des Nations Unies insiste sur une transformation radicale de nos économies pour répondre à l’urgence climatique et garantir le respect de l’Accord de Paris.
La France, qui a pris du retard avec une Stratégie nationale bas carbone (SNBC 2) reposant entièrement sur une taxe carbone gelée suite au mouvement des gilets jaunes, doit rendre la nouvelle SNBC 3, attendue d’ici fin 2023, plus ambitieuse pour s’aligner sur des objectifs rehaussés à l’échelle européenne : une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) contre 40 % auparavant. Dans son dernier rapport annuel intitulé Acter l’urgence, engager les moyens, le Haut Conseil pour Climat affirme que « la baisse des émissions se poursuit en France en 2022, mais à un rythme qui reste insuffisant pour atteindre les objectifs de 2030 » par un manque de construction d’une politique économique d’ampleur capable de mener à l’accélération nécessaire sur les plans budgétaires, fiscaux, commerciaux, industriels et de l’emploi. Le rythme de réduction d’émissions doit presque doubler pour atteindre les objectifs européens.
La transition écologique nécessite ainsi une transformation du « brun » vers le « vert », une transition des sources d’énergie et des modes de production intensifs en émissions de gaz à effet de serre vers des alternatives plus respectueuses de l’environnement. Également, une certaine sobriété, avec une réduction de consommation globale d’énergie et de ressources, contribuera à hauteur de 15 à 20 % de l’effort. Cependant, la transition écologique se distingue des précédentes révolutions industrielles par sa complexité et son ampleur avec un rythme de 3 à 5 fois plus rapide. Alors que celles passées ont été guidées par l’innovation technique, la transition ne sera pas uniquement stimulée par celle-ci. Il en existe déjà un potentiel considérable dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les technologies de stockage d’énergie. Cependant, pour le libérer pleinement, une orientation claire et déterminée des politiques publiques est nécessaire.
Parts des différentes énergies dans l’approvisionnement énergétique mondial, 1800-2021. Source : Les incidences économiques de l’action pour le climat. France Stratégie.
Les défis et opportunités de la transition écologique
La transition écologique nécessite une substitution massive du capital par des énergies renouvelables et non fossiles. Les investissements dans les infrastructures et les technologies énergétiques doivent être réorientés significativement. Au lieu de financer des projets basés sur les combustibles fossiles, nous devons investir dans les énergies renouvelables, comme l’éolien, le solaire et l’hydroélectricité, ainsi que dans les véhicules électriques et la rénovation énergétique des bâtiments.
Les dépenses défavorables au climat ont représenté 80 milliards d’euros de dépenses publiques sur la période 2021-2023 et ont progressé à cause du bouclier tarifaire en 2022. Les dépenses publiques annuelles nécessaires à la transition doivent augmenter pour atteindre 30 milliards d’euros supplémentaires en 2030 (Rapport annuel 2023 — « Acter l’urgence, engager les moyens » — Haut Conseil pour le Climat), représentant un supplément d’investissement à +2 points de PIB en 2030 traduisant un coût économique et social par un ralentissement de la productivité de l’offre et des réallocations sur le marché du travail. Les finances publiques vont être appelées à contribuer à +10 points de PIB en 2030 jusqu’à +25 points de PIB en 2040. Tout retard d’action va accroître le coût pour les finances publiques de l’effort nécessaire pour atteindre nos objectifs climatiques, on parle alors de « dette climatique ». Un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire de manière temporaire et exceptionnelle, par exemple sur le patrimoine financier des plus aisés, selon les analyses de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz.(Les incidences économiques de l’action pour le climat. France Stratégie).
Augmentation de la dette publique et contributions (en points de PIB) (en écart au scénario de référence). Source : Les incidences économiques de l’action pour le climat. France Stratégie.
Cette transition appelle également à la justice sociale pour garantir l’acceptabilité des politiques publiques prises et leur efficacité notamment autour de la sobriété.
En effet, au niveau mondial, les 10 % les plus aisés génèrent près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre et l’effort marginal de réduction des émissions est plus faible dans les groupes plus émetteurs. Les inégalités de carbone à l’intérieur des pays représentent deux tiers des inégalités globales des émissions de carbone (Chancel, L., Bothe, P., Voituriez, T. [2023] Climate Inequality Report 2023, World Inequality Lab Study 2023). Comprendre les perdants et gagnants de la transition énergétique représente un élément essentiel pour l’accélérer. Également, les groupes les plus émetteurs sont aussi les plus protégés des conséquences du réchauffement climatique : baisse de la productivité agricole, raréfaction de l’eau, vagues de chaleur dans les centres urbains de populations vulnérables, etc.
La transition énergétique est ainsi une question de justice sociale. Un système de taxation progressive des revenus du capital, de l’héritage ou de la richesse peut apporter les ressources nécessaires pour supporter les populations vulnérables sans heurter la croissance économique ou les classes moyennes. Des solutions facilement déployables comme une taxe sur les surprofits permettent facilement de financer adaptation et mitigation sans impacter négativement les moins aisés et les classes moyennes.
Inégalités climatiques mondiales : pertes relatives, émissions et capacités de financement. Source : Chancel, L., Bothe, P., Voituriez, T. (2023) Climate Inequality Report 2023, World Inequality Lab Study 2023
Ainsi, différentes politiques climatiques auront des effets différents sur les différentes classes sociales, à prendre en compte pour garantir acceptabilité et efficacité :
Inégalités selon les politiques climatiques. Source : Chancel, L., Bothe, P., Voituriez, T. (2023) Climate Inequality Report 2023, World Inequality Lab Study 2023
Par exemple, une taxe carbone peut provoquer une résistance sociale si elle est perçue comme pénalisant de manière disproportionnée les ménages à faible revenu. La transition pourrait avoir un effet inégalitaire sur les classes moyennes, notamment autour de la rénovation du logement et du changement de mobilité, et nécessite d’être accompagnée pour en faciliter l’acceptation sociétale. Également, une taxation du carbone seule peut soulever des questions d’équité si elle permet aux ménages aisés de payer pour s’exonérer de l’effort.
Décomposition de l’empreinte carbone des déciles de niveau de vie par principaux postes de consommation (en tCO2e) : Source : Malliet P. (2020), La contribution des émissions importées à l’empreinte carbone de la France, Paris, Sciences Po publications, fig. 14, p. 36
En France, les politiques de soutien à l’acquisition de voitures bas-carbone restent exclues et aggravent les inégalités, malgré des améliorations récentes (Rapport annuel 2023 — « Acter l’urgence, engager les moyens » — Haut Conseil pour le Climat). Cette justice sociale peut aussi se poser sur la sobriété. Malheureusement, la maîtrise de la demande fait l’objet de peu de mesures, notamment dans les secteurs des transports et du bâtiment.
La transition écologique va aussi entraîner des chocs significatifs sur le marché du travail avec des ajustements et des frictions associés par la réallocation de l’emploi, l’évolution des compétences et la modification de géographie des actions. (Hentzgen, Carole, and Michaël Orand. Les incidences économiques de l’action pour le climat. Marché du travail. Rapport thématique.). Dans l’Union Européenne, une transition écologique sur les objectifs européens créerait 2,3 millions d’emplois net d’ici 2030 et 5 millions de nouveaux emplois d’ici 2050 (Réussir la transition de l’Europe vers la neutralité carbone. McKinsey).
Les frictions sont plutôt de nature intersectorielle [réallocation] ou intrasectorielle [changement d’intensité en main-d’œuvre lié aux innovations technologiques, transformation des tâches]. Certains secteurs seront gagnants comme la construction [100 000 et 200 000 emplois supplémentaires d’ici 2030] ou la recherche et l’ingénierie [50 000 emplois supplémentaires]. Mais d’autres comme l’agriculture sont incertains [ralentissement de la destruction de l’emploi agricole d’ici 2030 et 2050 par l’agriculture biologique, la biomasse et l’entretien des forêts]. Certains seront perdants : les transports [perte de 10 000 emplois d’ici 2030 par baisse du transport routier non compensé par le ferré] ainsi que la chimie et les industries énergétiques [Les métiers en 2030, France Stratégie]. À court terme, la transition pourrait aggraver des tensions existantes sur des métiers : techniciens, cadres du bâtiment, etc. À moyen et long terme, les effets seront déterminés par l’anticipation des effets négatifs sur le court terme et l’accompagnement de la réallocation d’emplois. L’accompagnement des agriculteurs, d’une part, et le développement des compétences dans le secteur des bâtiments, d’autre part, sont toujours source de blocages [Rapport annuel 2023 — « Acter l’urgence, engager les moyens » — Haut Conseil pour le Climat].
Une montée en compétence généralisée, par exemple dans le bâtiment dans la rénovation énergétique, devra se faire par une adaptation des compétences. La destruction et création d’emplois s'opérera aussi bien pour des ouvriers que des ingénieurs ou cadres. Également, des compétences transverses permettent des reconversions plus faciles dans des activités moins émettrices : par exemple, du pétrole et gaz vers les renouvelables ou les mobilités décarbonées. L’accompagnement des agriculteurs, d’une part, et le développement des compétences dans le secteur des bâtiments, d’autre part, sont toujours source de blocages [Rapport annuel 2023 — « Acter l’urgence, engager les moyens » — Haut Conseil pour le Climat].
La dimension géographique est à prendre en compte face à des difficultés de recrutements du fait de l’inadéquation géographique entre l’offre et la demande de travail, fragilisant déjà des secteurs comme l’automobile. Mais l’économie circulaire et les circuits courts permettent en partie de répartir de façon plus équilibrée les emplois sur les territoires.
L’importance d’une orientation claire et déterminée des politiques publiques
Ainsi l’État doit mener une véritable révolution économique pour financer la transition, accompagner la transformation du marché de l’emploi et garantir une justice sociale. L’État doit afficher un cap et mener une économie de planification pour planifier l’horizon de moyen terme et insuffler des dynamiques de décarbonation tout en garantissant la faisabilité et l’acceptabilité (en pointant notamment les co-bénéfices pour améliorer la confiance des citoyens).
Les entreprises doivent réaliser une prise en compte active de l’empreinte carbone et des investissements délibérés dans des technologies et des processus à faible émission de carbone. La faiblesse du cadre de reporting européen et international (notamment le reporting des engagements climatiques Net Zero qui manque encore de coordination) des acteurs non étatiques [entreprises, investisseurs, villes, régions] ne peut pas assurer la qualité et l’utilité de leurs engagements et fragilise l’action climatique [Rapport annuel 2023 — « Acter l’urgence, engager les moyens » — Haut Conseil pour le Climat]. Les engagements « sectoriels » sont considérés comme peu suivis et donc peu crédibles.
Le reporting environnemental devrait évoluer vers des normes comptables intégrant les enjeux environnementaux, pour sortir du volontarisme insuffisant en conditionnant la solvabilité de l’entreprise au respect des trajectoires de décarbonation, des mécanismes de profit warning ou en modifiant les ratios d’insolvabilité des entreprises détenant des actifs financiers carbo-intensifs.
La sobriété peut être accompagnée par des principes d’organisation collective comme l’organisation des transports, de l’information des modes de consommation par la communication et l’éducation ou des politiques publiques standards [taxes, subventions, règlementations]. L’État pourrait s’appuyer sur des travaux autour de l’appartenance sociale et du mimétisme pour faciliter celle-ci [Pommeret, Aude. Les incidences économiques de l’action pour le climat. Sobriété. Rapport thématique].
Recommandations
L’État doit accélérer la transition écologique tout en assurant une justice sociale en prenant en compte les éléments suivants :
1. Définir clairement les objectifs de transition écologique. Ambitieux, mais réalisables, ils devraient donner une visibilité à long terme aux acteurs économiques pour permettre de planifier les investissements et les stratégies long terme, en tenant compte des objectifs environnementaux.
2. Mettre en œuvre des politiques de transition juste. Garantir que les coûts de la transition ne soient pas supportés de manière disproportionnée par les groupes sociaux les plus vulnérables, et que les avantages de la transition soient équitablement répartis.
3. Repenser les normes comptables pour intégrer les enjeux écologiques dans le cadre d’une véritable comptabilité environnementale. Par exemple, intégrer les coûts environnementaux dans les bilans financiers, pour inciter les entreprises à adopter des pratiques plus durables (en s’appuyant sur les travaux de la méthode CARE).
4. Augmenter les investissements dans la recherche et développement pour stimuler l’innovation technique. Ces investissements pourraient aider à développer de nouvelles technologies et de nouveaux processus qui permettraient de remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables et d’améliorer l’efficacité énergétique.
5. L’État doit aussi soutenir activement cette transition. Par exemple en investissant dans les infrastructures vertes, et en mettant en place des réglementations et des incitations fiscales pour encourager les entreprises et les ménages à adopter des pratiques plus durables, notamment par la sobriété.
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