À la lecture du communiqué des ministres des Finances du G20, la finalisation de Bâle III semble être de nouveau soutenue par l’ensemble de la communauté internationale. Pourtant, à l’heure où il pourrait s’agir de poser les dernières pierres d’une supervision prudentielle relativement harmonisée à l’échelle de la planète, les divergences importantes entre pays (notamment entre les visions européenne et américaine1) ralentissent les discussions autour de la finalisation de cet accord. La volonté affichée par le président américain Donald Trump depuis janvier 2017 de déréglementer le secteur financier2 invite à réfléchir plus globalement à l’avenir de la coopération internationale en matière de surveillance financière.
Bâle, qu’est-ce que c’est ?
Avant d'entrer dans le vif de l’actualité prudentielle, rappelons ce que c'est : le Comité de Bâle pour la Supervision Bancaire, qui a donné son nom aux-dits Accords internationaux, est un organisation internationale créée à l'initiative des gouverneurs des banques centrales du G10 (Allemagne, Belgique, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse) en réaction aux conséquences internationales de la faillite de la banque allemande Herstatt3 en 1974. Ce Comité, qui travaille sous l’égide de la Banque des Règlements Internationaux, a pour mandat de « renforcer la réglementation, le contrôle prudentiel et les pratiques des banques au niveau mondial, dans le but d’améliorer la stabilité financière »4. Ce comité, qui regroupe un certain nombre de superviseurs prudentiels des pays du G205, est donc la principale instance normative en matière de régulation bancaire au plan mondial, qui produit des standards de pratiques pour établissements de crédits. Si ces derniers sont non-contraignants, la plupart des pays membres les transpose dans leur droit national, assurant ainsi un relatif « levelled playing field », un terrain de jeu harmonisé pour les établissements financiers. Le comité de Bâle s’est accordé pour de nouvelles règles prudentielles visant à tirer les leçons de la crise financière mondiale de 2007-2008, donnant lieu à une première mouture d’Accord en 2012 (Bâle III, portant principalement sur la liquidité des banques et la qualité de leurs fonds propres) qui reste aujourd’hui en cours de finalisation.
La finalisation de Bâle III, quoi de neuf ?
En plus du risque d’illiquidité mesuré par un ratio à part, le risque d’insolvabilité est mesuré par un ratio entre l’évaluation de trois risques et les fonds propres d’une banque ; la logique étant d’obliger un établissement de crédit à pouvoir faire face à toutes pertes survenant à cause de l’un de ces risques. Ces trois risques sont définis par les règles prudentielles (c’est-à-dire des normes de prudence) : le risque de marché, le risque de crédit, et le risque opérationnel. Le calcul des exigences de fonds propres sous la forme du ratio susmentionné doit être revu avec la finalisation en cours de Bâle III6. Il s’agit principalement d’encadrer les méthodologies de calcul des exigences en fonds propres en développant des normes plus contraignantes sur les modèles statistiques que peuvent employer les établissements de crédit (“modèles internes”), soit par l’emploi d’un modèle réglementaire (“une approche standard”) soit par des modalités de calcul très encadrées.
Un cadre réformé pour le calcul d’exigences de fonds propres au titre du risque de marché (Fundamental Review of the trading book) est déjà prêt. Concernant le risque de crédit, une révision des pondérations appliquées à certains actifs (par exemple les crédits immobiliers) de la méthode standard serait prévue, ayant un impact à la hausse sur les actifs pondérés par les risques de banques. Cette révision s’accompagnerait également d’une limitation du champ d’application des modèles internes, supprimant par exemple la possibilité pour les banques d’utiliser l’approche par modèle interne pour les actions. Enfin, en matière de risque opérationnel, la suppression de l’approche de calculs des exigences de fonds propres réglementaires par les modèles internes serait également prévue, seule restant une approche standard accompagnée d’une série de principe de bonne gouvernance7.
Objet des plus importants débats également : la mise en place de possibles seuils plancher d’exigences de fonds propres calculées selon les approches internes (“output floors”) en vue de limiter d’éventuels arbitrages réglementaires de fonds propres entre l’approche standard et l’approche par les modèles internes8. L’impact de ces mesures prévisionnelles a donc largement inquiété l’industrie bancaire, qui y a vu une importante source d’augmentation des exigences de fonds propres.
Quelles implications pour les banques et pour l’économie ?
À l’heure où les taux bas ont entamé les marges des banques, des mesures qui auraient pour effet d’augmenter fortement les exigences de fonds propres des banques pèseraient naturellement sur leur rentabilité9. Or, en Europe, où le rôle d’intermédiation des banques reste fort, un renchérissement du coût du financement des petites et moyennes entreprises par exemple, vecteurs d’innovations, pourrait peser sur leur développement. Le montant de fonds propres à mettre en parallèle de prêts ou d’expositions sur ces entreprises pourrait en effet avoir un effet limitatif sur la distribution de ces types de produits par les banques (cf. encadré).
Au-delà de ces considérations économiques quant aux conséquences des négociations, le processus de négociation a également connu des ralentissements d’ordre politique. Suivant sa ligne « America first »10, le président américain Donald Trump a souhaité jouer la carte de la déréglementation : « Nous allons faire des choses qui seront très bonnes pour l’industrie bancaire pour que les banques puissent prêter de l’argent au gens qui en ont besoin »11. Ses déclarations en faveur d’une déréglementation du secteur financier américain ont jeté une incertitude très forte sur la poursuite du dialogue au sein de l’instance bâloise12. Ainsi un certain flou persiste quant aux conditions de finalisation du troisième Accord dans les prochains mois, et, même s’il advenait, quant à son application réelle, aux Etats-Unis. Les discussions des ministres des Finances et des gouverneurs de banques centrales à Baden-Baden en mars 2017 continuaient de laisser envisager un accord incluant les Etats-Unis et se sont montrées encourageants. Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, déclarant le 19 mars dernier que « quand des divergences d'opinions existent, un forum tel que le G20 se révèle particulièrement précieux. De ce fait, plutôt que de conflits, je parlerais d'un échange d'opinions ouvert, utile, et d'une lutte intense pour trouver une position commune »13. Mais les déclarations des chefs d’État et de gouvernement à Hambourg les 7 et 8 juillet demeurent à suivre avec grande attention tant l’administration Trump a envoyé des signaux négatifs dans les dernières négociations.
Retour en arrière : une réelle opportunité ?
Au-delà du ralentissement des négociations bâloises, les déclarations du président américain ont soulevé une vague d’avertissements quant à un possible retour en arrière en matière de réglementation. Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, déclarait le 6 février 2017 que « la dernière chose dont nous ayons besoin à l'heure actuelle est un assouplissement de la régulation »14. En outre, l’apport d’une supervision bancaire renforcée, encadrée, relativement harmonisée en fonction des régions, ainsi que d’une coopération internationale accrue en la matière ont certainement permis d’éviter de nouvelles dérives de l’industrie financière après la crise financière engendrée en 2007, en suivant de près leurs activités.
Comme pour tout cadre normatif, l’équilibre entre réglementation et liberté est délicat à trouver, d’autant plus si l'on souhaite prendre en compte la diversité des établissements financiers et de leurs modèles de développement. Néanmoins une déréglementation ne peut être la solution idéale. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, le rappelle : « une déréglementation unilatérale ne serait qu'un jeu perdant-perdant, qui aurait de graves conséquences tant sur la stabilité du système financier mondial que sur les conditions de concurrence entre banques américaines et européennes »15.
En outre, tous les chantiers en matière de régulation financière ne sont pas encore aboutis comme le rappelle le communiqué des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales à Baden-Baden en mars 2017, qui évoque des « risques émergents ». La finance s’adapte en permanence à son environnement : le risque souverain (avec l’inflation de la dette étatique dans le bilan des banques), le risque climatique (avec l’accélération du réchauffement climatique), les problèmes de cyber-sécurité ou les risques d’inconduites (typiquement celui du cas Kerviel)... Les crises futures n’auront donc pas forcément les mêmes sources que celles du passé et le G20 a commissionné le Comité pour la Stabilité Financière, parallèlement au Comité de Bâle, pour réfléchir à ces nouveaux risques. Hier, le Brexit ou encore la possibilité de l'élection de représentants de partis extrémistes à la présidence de la République française faisaient craindre un retournement des marchés. Aujourd’hui, la persistance de niveaux d’endettement élevés de certains États ou collectivités locales inquiète16. Seule une surveillance rapprochée – permise et encadrée par la réglementation – des expositions des banques permet une réelle approche préventive vis-à-vis de potentiels risques. L’encadrement des pratiques des établissements financiers par la réglementation permet donc de surveiller de manière rapprochée les évolutions des risques encourus.
De nouveaux axes de surveillance
Dans leur communiqué de mars dernier, les ministres des Finances réitèrent leur attachement à une surveillance, voire une correction des risques émergents et soutiennent les divers chantiers en cours en matière de stabilité financière17. Toutefois, ne faisant plus face aux urgences d’une crise financière mondiale, l’agenda du G20 s’est aujourd'hui élargi en matière économique et financière18.
Des axes complémentaires sont notamment soulignés tels que la lutte contre l’évasion fiscale ou contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Or, si le lien avec l’industrie bancaire peut paraître plus ténu, il ne faut pas si méprendre : ces thèmes concernent là encore les banques. En effet, la finalité des flux financiers transitant par les banques est une préoccupation de plus en plus forte pour les États et les régulateurs. Dans un contexte où l’éthique des établissements financiers est devenue un sujet à part entière avec la crise de 2007-2008, l’alignement des intérêts financiers des établissements avec ceux de la société au sein de laquelle ils s’insèrent est un sujet de préoccupation croissant.
Ainsi, les soupçons de collusion entre les établissements financiers et certains de leurs clients profitant des « zones grises » – certes créées par des normes fiscales et juridiques hétérogènes entre les pays – sont revenus sur le devant de la scène médiatique à l’été 2016 avec notamment l’affaire des « Panama Papers »19. Ces sujets ont profité d’une impulsion politique forte, grâce à une opération médiatique d’envergure internationale. Le questionnement autour du potentiel rôle des banques en la matière demeure aujourd’hui entier et âprement surveillé par les ONG20 et la presse. Aucune surprise donc, que la coopération entre les pays et le renforcement de la surveillance, particulièrement impulsée au niveau européen21, soit des enjeux bien présents dans le communiqué de Baden-Baden du 18 mars dernier.
Corollaire de la lutte contre le blanchiment des capitaux et contre l’évasion fiscale, la lutte contre le financement du terrorisme est venue renforcer cette problématique de la lutte contre les flux financiers illicites. Les tragiques événements de Paris de fin 2015, notamment, ont de nouveau invité à un renforcement de la lutte contre le financement de telles activités. C’est ainsi que la Commission européenne a adopté en juillet 2016 une proposition visant à renforcer les règles européennes en la matière. Cette dernière enjoignait particulièrement les Etats membres à transposer, avant la fin 2016, la quatrième directive sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme22, ce que la France a fait en décembre 2016. La lutte contre le financement de ces activités illicites qui sont dommageables pour l’ensemble de la société mondiale, pourrait donc être un axe important du communiqué des chefs d’État et du gouvernement réunis à Hambourg en juillet, en faveur d’une plus grande transparence financière.
Si les yeux du G20 se tournent donc aujourd’hui aussi vers la résilience des économies – concept beaucoup plus large que la stabilité financière23 – en vue de s’adapter au monde globalisé qu’est le nôtre, la surveillance des établissements financiers reste un sujet d’attention majeure dans la mesure où elle permet en partie de s’assurer que les intérêts du système financier respectent ceux de la société. A économies changeantes, risques nouveaux : même en l’absence de crise majeure, la production de normes réglementaires continue et l’impulsion au plus haut niveau reste essentielle car les pratiques des établissements bancaires et financiers se transforment et s’adaptent aux nouvelles contraintes juridiques, aux nouveaux enjeux, aux nouvelles opportunités. La prudence et la coopération doivent donc rester de mise afin de s’assurer que l’empreinte sociale des établissements financiers soit positive à court comme à long terme.
1 CUNY Delphine, « Réforme bancaire : le comité de Bâle patine », La Tribune , 3 janvier 2017 : http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/reforme-bancaire-le-comite-de-bale-patine-628021.html
2 LEDERER, Edouard, « Régulation : « victoire » d’étape pour les Européens », Les Echos¸ 18 juin 2017 : https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/030390758883-regulation-victoire-detape-pour-les-europeens-2095229.php#JYMqvqK1W2MtwgOC.99
3 Cf. VISNOSKY Frédéric, « Bâle 1, 2, 3 … de quoi s’agit-il ? », présentation de l’ACPR - Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution, à Grenoble, le 25 janvier 2017 : https://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/Actualite/20170125-bale.pdf
4 Basel Committee, « The Basel Committee mandate », mis à jour en décembre 2016 : http://www.bis.org/bcbs/about.htm
5 Voir liste des pays membres : https://www.bis.org/bcbs/membership.htm
6 Communiqué, “G20 Finance ministers and central bank governors”, à Ankara, le 5 septembre 2015 : http://www.g20.utoronto.ca/2015/150905-finance.html
Communiqué, “G20 Finance ministers and central bank governors”, à Shanghaï, le 27 février 2016 : http://www.g20.utoronto.ca/2016/160227-finance-en.html
7JACOB Henri, « Bâle IV : vers une révision de l’exigence de fonds propres », Afges : Formations Banque et Assurance, le 9 janvier 2017 : http://www.afges.com/bale-iv-vers-revision-de-lexigence-de-fonds-propres/
8 VISNOSKY Frédéric., « Bâle 1, 2, 3 … de quoi s’agit-il ? », présentation de l’ACPR - Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution à Grenoble, le 25 janvier 2017, id.
9 BLOCH Raphaël, “Bâle 4, Pourquoi Les Banques Disent Non », Forbes, le 20 avril 2017 : https://www.forbes.fr/finance/bale-4-pourquoi-les-banques-disent-non/
10 FRIANG Thomas, “America first : l'incertitude partout”, France Forum, avril 2017, https://www.institutjeanlecanuet.org/content/america-first-incertitude-partout
11 MOORE James, “Trump promises to burn banking regulation, but Wall Street doesn't buy it”, The Independent, le 5 avril 2017 : http://www.independent.co.uk/news/business/news/trump-promises-to-burn-banking-regulation-but-wall-street-doesnt-buy-it-a7667936.html
11 SWARTZKSKOPFF Frances, “Trump’s Plan for Banks Puts Basel in Limbo, Danske CFO Says”, Bloomberg, le 7 février 2017: https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-02-07/trump-s-plan-for-banks-puts-basel-in-limbo-danske-cfo-says
12 KORANYI Balazs, HELLER Gernot (Berlin), TISON Véronique (service français), « Le G20 n'enterre pas les efforts de régulation bancaire », Reuters, le 19 mars 2017 : https://investir.lesechos.fr/traders/forex-infos/le-g20-n-enterre-pas-les-efforts-de-regulation-bancaire-1654560.php
13 MALHERE Manon, « Dérégulation bancaire : Mario Draghi fustige Donald Trump », Le Figaro, le 7 février 2017 :
14 RIVET Myriam, THOMAS Leigh, JONES Huw, édité par JOANNY Marc (Reuters), « Villeroy (BdF) appelle à la finalisation des règles de Bâle », Les Echos, le 16 juin 2017 : https://investir.lesechos.fr/traders/forex-infos/villeroy-bdf-appelle-a-la-finalisation-des-regles-de-bale-1685373.php
15 ROBEQUAIN Lucie, « Fonds de pension : la nouvelle crise qui menace les Etats-Unis », Les Echos, le 18 mai 2017 : https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0212105818247-fonds-de-pension-la-nouvelle-crise-qui-menace-les-etats-unis-2087856.php
RUSHE Dominic, “Detroit's decision to fend off bankruptcy: pay pensions or banks?”, The Guardian, le 13 novembre 2013 :
https://www.theguardian.com/world/2013/nov/13/detroit-bankruptcy-pay-pensions-banks
16 Communiqué, « G20 Finance Ministers and Central Bank Governors Meeting, Baden-Baden, Germany”, le 18 mars 2017 : http://www.g20.utoronto.ca/2017/170318-finance-en.pdf, paragraphe 5
17 Communiqué, « G20 Finance Ministers and Central Bank Governors Meeting, Baden-Baden, Germany”, le 18 mars 2017, id.
18 Voir le site dédié : https://panamapapers.icij.org/
19 AUBRY Manon, DAUPHIN Thomas, Banques en exil : un quart des bénéfices des banques européennes dans les paradis fiscaux, Oxfam, paru le 27 mars 2017, https://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/bp-opening-vaults-eu-banks-tax-havens-270317-fr.pdf
20 Commission européenne, Communiqué de presse, « Des règles de l'UE renforcées pour lutter contre le blanchiment de capitaux, l'évasion fiscale et le financement du terrorisme entrent en vigueur », le 26 juin 2017 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-1732_fr.htm?locale=FR
21 Comission européenne, Communiqué de presse, « La Commission renforce les mesures de transparence afin de lutter contre le financement du terrorisme, l’évasion fiscale et le blanchiment de capitaux », le 5 juillet 2016 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2380_fr.htm
22 Même si la surveillance prudentielle en fait partie, voir G20 Framework Working Group, « Note on Resilience Principles in G20 Economies », le 18 mars 2017 :
Légende photo : Banque des règlements internationaux à Bâle, où siège le comité de Bâle pour la supervision bancaire (Basel Committee on Banking Supervision). Photo : « Bank for International Settlement, Basel », de Jim Douglas, licence Creative Commons 2.0,
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