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Pourquoi Pékin assume le clash avec Washington ?

| Guillaume Tawil, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

30 mai 2020

La croissance chinoise, ininterrompue depuis 40 ans, connaît un ralentissement depuis plusieurs années. Bien que la Chine soit en passe de ravir la place de  première puissance économique mondiale aux Etats-Unis, son PIB par habitant demeure nettement en deçà de celui de son principal concurrent. En particulier, de fortes disparités sociales et territoriales persistent en Chine, malgré la politique volontariste des autorités chinoises, menaçant la cohésion sociale en cas de récession. Bien que le miracle économique chinois soit incontestable, il demeure inachevé.

Longtemps tournée vers son marché intérieur, la Chine entend aujourd’hui soutenir sa croissance via son commerce extérieur. De son entrée à l’OMC en 2001, au lancement des Nouvelles Routes de la Soie en 2013, la Chine affiche un certain intérêt pour le monde (plus qu’une ouverture). Sa stratégie dite du « collier de perles » dans l’Océan Indien et l’ouverture de sa première base militaire hors de ses frontières, à Djibouti en 2017, matérialisent d’ailleurs sa volonté de contrôler les points névralgiques du commerce international.

Par ailleurs, le programme stratégique Made in China 2025, initié en 2015, symbolise une volonté de promouvoir des activités industrielles à forte valeur ajoutée. Ce programme s’appuie entre autres sur les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) et Huawei, objet de craintes d’espionnage et de divisions au sein du monde occidental. 

La guerre commerciale initiée par le président Trump et ses accusations de subventions déloyales, remettent aujourd’hui en question ce programme, au point de ne pas être mentionné lors du rapport gouvernemental annuel de mars 2019. Loin d’être impuissante dans ce bras de fer commercial, la Chine réplique en menaçant de couper l’accès des Etats-Unis aux terres rares, sur lesquelles elle exerce un quasi-monopole, avec 90 % de la production mondiale.

Le conflit commercial s’accompagne pour la Chine d’une dimension stratégique forte. Elle se sent aujourd’hui menacée sur son flanc maritime par la présence militaire des Etats-Unis (Guam, Okinawa) et de leurs alliés (Japon, Corée du Sud, Philippines etc) dans ce qu’elle perçoit comme un containement stratégique. Les différends territoriaux en mer de Chine méridionale et orientale symbolisent la volonté chinoise de se créer un espace vital maritime, à laquelle les Etats-Unis répliquent par des opérations de « liberté de navigation ».

L’ambition de Pékin de repousser sa première ligne de défense stratégique au-delà du Japon et des Philippines fait ressurgir la question épineuse du statut de Taïwan, dont la sécurité demeure officiellement garantie par les États-Unis via le Taiwan  Relations Act. Xi Jinping a fait de la réunification avec l’île un objectif à l’horizon 2049, pour le centenaire de la République Populaire de Chine. Cependant, l’échec visible de la politique « un pays, deux systèmes » à Hong Kong, ainsi que la pandémie de COVID-19, ont réalimenté la dynamique indépendantiste à Taïwan, illustrée par la réélection de Tsai Ing-wen en janvier 2020. De plus, la gestion exemplaire de l’épidémie de COVID-19 par la présidente taïwanaise, sert aujourd’hui de contre-modèle à la gestion opaque des autorités chinoises. Ces récents événements mettent du plomb dans l’aile d’une réunification pacifique entre Taipei et Pékin.

La Chine n’exclut cependant pas une réunification par la force avec Taïwan. Pour parvenir à cet objectif, elle accroît ses capacités navales de manière drastique. Elle construit notamment deux nouveaux porte-avions, venant s’ajouter au Liaoning et au Shandong, dont la mise en service serait prévue pour 2020 et 2022. 

Ayant connu la crise du coronavirus avant tout le monde, la Chine a accentué sa présence militaire en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan, pendant que l’Europe et les Etats-Unis connaissaient leur propre pic de COVID-19. Des simulations militaires d’invasion des îles Pratas/Dongsha, dont la souveraineté est revendiquée par Pékin et Taipei seraient en préparation, laissant craindre un risque d’escalade militaire entre Pékin et Washington. Cette assertivité militaire des autorités chinoises s’ajoute à une offensive diplomatique majeure. Nommée « Wolf warrior diplomacy », elle incite diplomates et officiels à défendre les intérêts nationaux et le récit chinois à travers le monde, notamment sur la gestion de l’épidémie de COVID-19.

En l’espace de quatre mois, la Chine semble ainsi avoir transformé une menace sanitaire majeure en une opportunité stratégique. S’appuyant sur ses atouts militaires et diplomatiques, le régime chinois cherche à préserver sa légitimité en misant sur un patriotisme ravivé.