Si le modèle de pêche mondial ne change pas, les stocks halieutiques pourraient s’effondrer d’ici 2048. Les ressources aquacoles constituent ce que l’on appelle en économie un bien commun. Elles ont la caractéristique d’être non excluables - les bancs de poissons sont librement accessibles - et rivales - la pêche d’un poisson rend ce dernier indisponible pour autrui. Comme l’a énoncé le biologiste Garett Hardin, la principale problématique de ces biens concerne leur exploitation. Face à l’impossibilité de penser la finitude de la ressource, il existe une tendance individuelle à la sur-exploitation. Jared Diamond l'a démontré dans le cas des habitants de l'île de Pâques où la destruction, sur plusieurs générations, des arbres par les habitants a rendu l'île inhabitable. Pour contrer ce phénomène, la mise en œuvre d’institutions assurant la gestion collective de la ressource est nécessaire. La Politique commune de la pêche (PCP) européenne, même si elle reste perfectible, a ainsi réussi à inverser la dynamique de surexploitation des eaux européennes.
La Politique commune de la pêche (PCP) a apaisé la gestion des ressources halieutiques en Europe
Sur la planète, les ressources halieutiques constituent un enjeu majeur et entraînent des conflits plus ou moins ouverts. Elles sont la principale source de protéines animales pour un milliard d’individus et une source majeure de revenus pour 500 millions.
Les ressources halieutiques ont été partie intégrante du débat sur les frontières maritimes. Celles-ci sont fixées par la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982. Ce traité, ratifié par 157 États, prévoit la délimitation de Zones économiques exclusives (ZEE) définies comme étant un espace où un État a des « droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles […] ». Ces zones sont très riches en poissons. Si les ZEE n’occupent que 35 % de la surface totale des mers, elles abritent 90 % des ressources halieutiques mondiales.
La définition de ces zones est contestée, notamment dans celles où les lignes de base de deux États sont situées à moins de 400 miles à partir de la limite des eaux intérieures. Dans ces cas-là, la convention prévoit que la ZEE est tracée au milieu des rivages des deux États. Or, en mer de Chine orientale et méridionale, la République Populaire de Chine revendique une partie des zones économiques exclusives japonaise et indonésienne tant sur la carte officielle déposée aux Nations unies que de manière concrète : Pékin n’hésite pas à utiliser ses gardes-côtes pour protéger ses pêcheurs dans les ZEE étrangères comme en Indonésie en janvier 2020.
A l’inverse, au sein de l’Union européenne (UE), il n’existe pas de tension sur les zones de pêche car les États ont accepté de confier la gestion de leurs ressources halieutiques aux institutions européennes. Un principe général stipule que tous les navires de pêche immatriculés dans l’UE disposent d’un droit d’accès identique aux eaux et aux ressources de tout le territoire de l’Union. Preuve de la pertinence de ce système, la pêche a été le second sujet le plus compliqué à traiter lors de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, après celui de la frontière irlandaise, et a réveillé des tensions comme en mai 2021 au large de l’Île de Jersey.
La PCP a accru la durabilité de la pêche dans les eaux européennes...
L’Union européenne, par la mise en œuvre progressive de la politique commune de la pêche (PCP) à partir des années 1970, dont les objectifs ont intégré en 2013 la durabilité de la ressource, a permis également d’amorcer une dynamique de sauvegarde des espèces marines.
Selon les données de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, au niveau mondial, du fait de volumes de pêche toujours plus importants - en 1950, 20 millions de tonnes étaient capturées et 90 millions aujourd’hui - le nombre d'espèces de poissons surexploités augmente. Il est passé de 60% en 1974 à 93% aujourd'hui.
Loin de constituer une situation optimale, la dynamique est inverse dans l’Union européenne. Ces dernières années, la part des stocks durablement exploités a augmenté : dans l’Atlantique Nord-Est, près de 90% des stocks étaient surexploités à la fin des années 1990 contre 80% dans les années 2000 et 43% en 2019. Cela est lié à l’adoption chaque année de « totaux admissibles de capture » (TAC) soit la masse maximale d’individus d’une espèce pouvant être prélevés sur une zone et une période données. Ils sont ensuite répartis entre États membres.
... mais un renforcement des dispositions de la PCP est essentiel pour améliorer la durabilité de la pêche au niveau communautaire
Toutefois, la situation est loin d’être optimale dans les eaux européennes. Premièrement, depuis 2013, la dynamique d’amélioration des stocks ralentit. Deuxièmement, en Méditerranée, la situation est très mauvaise : peu de stocks sont suivis et la surpêche est persistante. Troisièmement, l’Union européenne reste un importateur net de produits de la mer et de l’aquaculture - 50% des produits consommés - et accroît donc, par sa demande, la surexploitation dans les eaux étrangères.
Face à ce constat, il convient tout d’abord que l’ensemble des dispositions de la PCP soit appliqué. Aujourd’hui, seuls 40,5% des articles-clés sont concrètement mis en œuvre. Plus spécifiquement, il convient d’appliquer la possibilité d’attribuer des quotas en fonction des performances écologiques des pêcheries, pour une meilleure durabilité. Ainsi, par des incitations, des techniques de pêche préservant la ressource pourraient être adoptées par les pêcheurs, comme l’utilisation de maillages plus grands.
De même, le système des TAC mériterait d’être réformé à trois niveaux. Les TAC sont élaborés par la Commission européenne après avis des organisations scientifiques comme l’IFREMER. Toutefois, près de la moitié des TAC sont supérieurs aux conclusions des avis scientifiques, sans que des justifications particulières soient apportées. Pour éviter cela, les TAC initiaux pourraient être édités par les organisations scientifiques et les institutions européennes ne pourraient s’en écarter qu’avec des justifications étayées et transparentes. Les TAC sont définis par année. Or, le stock de poissons est une problématique pluriannuelle nécessitant une vision à moyen-terme. Une programmation pluriannuelle des TAC pourrait être mise en œuvre comme le propose la Commission européenne.
Les TAC, et les recherches scientifiques marines préalables les conditionnant, devraient aussi couvrir l’ensemble des espèces de poissons. En Méditerranée, plus de la moitié des captures méditerranéennes ne font pas l'objet de recherches quant à leur disponibilité. Ces espèces ne peuvent donc être exploitées durablement. Il est donc nécessaire que le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) accroisse ses financements pour la recherche halieutique, particulièrement en Méditerranée.
L’objectif de durabilité passe aussi par des contrôles accrus pour détecter les comportements illégaux
Au niveau européen, selon la Cour des comptes européennes, les contrôles ne sont pas suffisamment efficaces pour contribuer à la réussite de la PCP. Ainsi, elle note que les informations relatives aux caractéristiques de la flotte ne sont pas toujours exactes, diminuant la crédibilité de l’affirmation selon laquelle tous les États respectent les plafonds de capacité de pêche. Ainsi, face à ces problématiques, l’Agence européenne de contrôle des pêches pourrait devenir l’agence chargée d’uniformiser les règles de contrôle et les sanctions, processus nécessaire à la connaissance et au respect des règles, et de s’assurer de son application.
Enfin, toutes les pêches ne sont pas déclarées : la pêche illégale concerne 11 à 26 millions de tonnes de poissons, soit 15% des captures dans le monde dont une partie dans l’Union européenne.
Les conditions pour une pêche durable ne pourront jamais être remplies sans une lutte contre la pêche illégale. Au niveau européen, cette lutte passe par une utilisation accrue de drones pour le contrôle des pêches illégales. Le Comité interministériel de la mer a décidé d’y avoir recours en France, à titre expérimental. Au niveau international, conformément aux objectifs du sommet RIO+20, l’Union s’est dotée d’un règlement dit « INN » (pêche illégale, non déclarée et non réglementée). Ce règlement permet à l’Union européenne de recenser les États tiers en difficulté avec la pêche illégale, de les aider à la combattre ou, selon les cas, d’interdire les importations de poissons provenant de ces pays. Aujourd’hui, une trentaine d’États dont le Cameroun sont en procédure de dialogue avec la Commission et quatre font l’objet d’une interdiction d’importation dans l’Union européenne.
Ainsi, l'Union européenne a permis une gestion plus apaisée et durable des ressources halieutiques par rapport à d'autres régions du monde. Cependant, des progrès sont encore à accomplir pour garantir la durabilité de la pêche européenne comme l'application de l'ensemble des dispositions de la PCP.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Bastien Beauducel est Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy et travaille principalement sur les enjeux de l'économie de l'environnement.