Obstacle au développement socio-économique, le déficit d’infrastructures africain offre aux puissances étrangères une excellente opportunité de créer ou de consolider leurs relations avec leurs partenaires du continent. Les développements des infrastructures africaines sont l’objet de la course au leadership qui oppose les Etats-Unis et la Chine, sur fond de bouleversement de l’ordre géopolitique mondial.
L’année 2022 a vu un regain d’intérêt de la part des Etats-Unis pour le continent. L’administration Biden a cependant dû s'accommoder d’une pénible réalité : leur influence politique sur le continent demeure relativement faible. Ne serait-ce qu’à cause du financement massif d’infrastructures par la Chine, devenue un partenaire incontournable de nombreux dirigeants. Comment ces deux puissances utilisent le financement des infrastructures pour leur quête d’influence politique sur le continent ?
La Chine : Belt and roads… and debt ?
Entre 2000 et 2019, 153 milliards de dollars en provenance d’investisseurs privés et publics chinois ont contribué au développement du continent. L’année 2013 marque le point culminant de cette coopération économique, avec l’annonce du lancement de la Belt and Road Initiative (BRI). Pilier de la politique étrangère de Xi Jinping, la BRI vise à établir les “nouvelles routes de la soie”, ensemble d’infrastructures par lesquelles la Chine entend étendre son influence commerciale en Asie, en Afrique et en Europe. En septembre 2021, la BRI consistait en 13 427 projets à travers 165 pays, dont 52 africains. La BRI permet à la Chine, à partir de 2013, de devancer nettement les pays occidentaux en termes d’investissements vers le continent, et de se placer en tête du classement.
En soutenant le développement d’infrastructures dans les pays dits “émergents”, la Belt and Road Initiative a valu à la Chine d’être accusée de tendre le piège de la dette à ses partenaires africains. Le terme de Debt-trap diplomacy (diplomatie par le piège de la dette) apparaît pour la première fois sous la plume de l’universitaire indien Brahma Chellaney, en 2017, repris et popularisé en 2018 par le Vice-Président étasunien Mike Pence. Ce dernier accusait Xi Jinping de précipiter les pays africains peu solubles vers un endettement non viable en pratiquant des taux d’intérêt élevés, cela afin d’acquérir un pouvoir de négociation accru, de contrôler ces infrastructures, et d’obtenir des concessions politiques des dirigeants locaux.
Ce narratif s’appuie sur l’expérience sri-lankaise du fiasco du port d’Hambantota. Selon ce narratif, l’incapacité de Colombo à rembourser sa dette à la Banque d'exportation et d'importation de Chine aurait contraint les autorités à céder la propriété du port aux autorités chinoises en échange d’un allègement de dette. En réalité, la propriété du port n’a pas été transférée, et la dette n’a pas été allégée. Il est en outre avéré que l’endettement sri-lankais était surtout imputable à la politique économique du gouvernement.
Plus que la prédation économique et politique chinoise, ce narratif révèle donc la volonté des puissances occidentales de discréditer leur concurrent sur un continent qu’elles ont relativement délaissé. Car le scénario catastrophe du port d’Hambantota ne s’est pas produit en Afrique. En outre, les investissements dans le cadre de la Belt and Road Initiative en Afrique sub-saharienne ont chuté de 54% en 2022, à 7.5 milliards de dollars, contre 16.5 milliards en 2021. Ce recul relatif concorde avec l’appel de Xi Jinping, durant le Belt and Road Forum de 2019, à davantage de transparence financière et à une prise de risque plus modérée.
Ce serait cependant une erreur de nier tout à fait le levier politique acquis grâce au financement des infrastructures. Djibouti en offre un exemple abouti. En 2017, deux mois après l’inauguration du Port de Doraleh, et suite à l’accord de 2016 entre les deux pays, fut inaugurée la première base militaire chinoise à l’étranger. Celle-ci est un atout incontournable de Xi Jinping dans le cadre des “nouvelles routes de la soie”, car elle permet à la Chine de sécuriser ses intérêts dans une zone où transite 30 % du commerce maritime mondial et où sévit la piraterie.
Parallèlement, entre 2012 et 2020, la Banque chinoise d’import-export finançait des projets d’infrastructures à hauteur d’1.4 milliards $ à Djibouti, et la dette du pays passait de 50 à 70 % de son PIB. Si la moitié de cette dette est dûe à la Chine, la priorité de Xi Jinping semble être davantage le maintien de son influence dans la Corne d’Afrique que le paiement de la dette. Tant et si bien que la Banque chinoise d’import-export a accepté, face aux difficultés de remboursement de Djibouti, de restructurer le prêt accordé pour le financement de la ligne Djibouti-Addis Abeba.
Il ne s’agit donc aucunement de nier que la Chine de Xi Jinping puisse acquérir un levier politique sur ses partenaires africains, mais de questionner le caractère systématique de la debt-trap diplomacy.
Il apparaît plus simple et arrangeant aux dirigeants africains de travailler avec les autorités chinoises qu’avec leurs concurrents. De sorte que ce sont deux systèmes de gouvernance concurrents qui s’affrontent. C’est l’un des précieux enseignements d’une étude publiée en juin 2022 par la Friedrich Naumann Foundation, intitulée "Le choc des systèmes : perceptions africaines de l'engagement de l'Union européenne et de la Chine", menée auprès de 1,600 décideurs du privé, d’ONGs, et d’administrations publiques de 25 pays. Selon cette étude, les dirigeants européens sont perçus comme moins efficaces que leurs homologues chinois à la prise de décision. Ils interfèreraient moins avec les affaires politiques internes et auraient moins rarement recours à la corruption. Les personnes interrogées perçoivent en grande majorité la Chine comme le partenaire du financement des infrastructures physiques sur le continent.
Alors que Xi Jinping collecte les fruits de deux décennies de relations sino-africaines, les Etats-Unis aspirent à refonder leurs relations avec les dirigeants politiques et économiques du continent africain.
Occident-Afrique : l’espoir d’un nouveau départ
Le conflit russo-ukrainien a rappelé à l’administration Biden que les Etats-Unis étaient loin d’être plébiscités par les dirigeants africains. La 77ème Assemblée Générale des Nations Unies, qui s’est tenue en septembre dernier à New York a vu 28 pays africains sur 54 voter pour la résolution condamnant l’annexion de quatre régions de l’Ukraine par la Russie. 17 ont voté pour s’abstenir, 8 n’ont pas voté, et 5 ont voté contre. Cette séquence a rappelé que le continent n’est pas un monolithe politique. Biden doit ainsi acter de la réticence de la majorité du continent à s’aligner sur une vision occidentale du monde.
L’administration Biden semble témoigner d’un intérêt accru pour le continent. Un premier signal fort de ce regain d’intérêt a été l’importante contribution des Etats-Unis au Partnership for Global Infrastructure and Investment (PGII), lancé durant le sommet de Krün en juin 2022. Les Etats-Unis contribuent à hauteur de 200 milliards à ce programme destiné à diriger 600 milliards des projets d'infrastructures vers les pays en développement, notamment sur le continent africain.
Au-delà de ce programme par lequel les USA entendent mobiliser le plus d’investissements, l’administration Biden multiplie les initiatives pour refonder leur relation avec les dirigeants Africains. L’US-Africa Leaders Summit, qui s’est tenu à Washington du 13 au 15 décembre 2022, entérine le tournant de la politique africaine des Etats-Unis sous l’administration Biden. Le 1er US Africa Leaders Summit avait été organisé par Barack Obama en 2014. Accords commerciaux, aide humanitaire, investissements privés, l’administration Biden a engagé 55 milliards de dollars dans des priorités communes du gouvernement des Etats-Unis et de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. L’US-Africa Leaders Summit fut ainsi l’occasion d’officialiser le don de 504 millions de dollars au programme Millenium Challenge Compact afin d’améliorer l’efficacité du transport de marchandises sur le corridor Cotonou-Niamey. Ces initiatives ne seraient, selon Biden, que le commencement de cette nouvelle relation.
Ce regain d’intérêt est une excellente nouvelle pour le développement économique africain. Néanmoins, certains économistes redoutent les tensions géopolitiques qui résulteraient d’une lutte d’influence politique entre la Chine et l’Afrique. D’autant que la Russie, autre puissance concurrente pour l’influence géopolitique sur le continent, si elle demeure hors de la course au financement d’infrastructures, a surtout étendu son influence par un soutien militaire à ses alliés.
Les flux d’investissements étrangers à destination des infrastructures ne sauraient être considérés uniquement sous le prisme de la prédation politique. Alors ambassadeur de Chine à Washington, le Ministre des affaires étrangères de la République Populaire de Chine, Qin Gang, a affirmé au média Semafor : “Nous croyons que l’Afrique doit être une interface pour la coopération internationale, et pas celle de la concurrence pour l’influence géopolitique.” Le développement socio-économique du continent verra-t-il naître une coopération sino-américaine ?
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