A moins de vivre dans une tanière, coupé du monde, vous êtes certainement au courant : les élections générales britanniques du 8 juin dernier sont un échec pour la Première ministre conservatrice Theresa May. Alors même qu'elle avait décidé d'anticiper la date butoir de 2019 pour asseoir sa légitimité démocratique et sa stature de chef de la majorité. Avec 17 sièges de moins à la Chambre des communes – 317 alors que la majorité absolue est à 326 – le pari est perdu, les positions fragilisées. Alors que les négociations sur le Brexit doivent commencer pour celle qui était arrivée mi-juillet 2016 au 10 Downing Street à la suite de la démission de David Cameron sur fond de campagne référendaire ratée quelques semaines plus tôt, la tentation est forte d'en tirer des conclusions quant aux négociations britannico-européennes. Paradoxe, la campagne elle-même a très peu porté sur cette question. Dès lors, « business as usual » ou non ?
L'évolution de l'équilibre politique au Royaume-Uni
Alors que les sondages prédisaient une confortable majorité absolue pour les conservateurs, en avril dernier lors de la convocation des élections générales anticipées, les cartes politiques ont une nouvelle fois été rebattues. État des lieux des forces en présence.
Les conservateurs reculent, perdant la majorité absolue qu'ils détenaient depuis 2015 d'une courte tête. La conséquence logique : former un gouvernement minoritaire avec le soutien sans participation du DUP – Democratic Unionist Party, parti unioniste d'Irlande du Nord. L'échec est net pour Theresa May, qui avait axé la campagne législative sur sa volonté de représenter un exécutif fort et déterminé, et de disposer d'une majorité renforcée pour aborder les négociations pour un « hard Brexit », une rupture nette avec l'Union européenne (UE) afin de retrouver le contrôle des frontières nationales face à une immigration considérée comme trop importante. Un échec quand bien même Boris Johnson, partisan du Brexit et Secrétaire d'Etat des Affaires étrangères et du Commonwealth disait encore le 6 juin en campagne : « Seule Theresa May peut nous donner le bon Brexit ».
Les travaillistes quant à eux progressent nettement, avec 30 sièges supplémentaires pour atteindre 262 députés, mais sans être en mesure de mener une majorité pour autant. Ces derniers restent néanmoins divisés sur la question du Brexit, leur leader depuis 2015, Jeremy Corbyn étant notamment critiqué par un grand nombre d'élus du parti pour une campagne référendaire de 2016 peu allante en faveur du « Remain », considérée comme un des facteurs du vote populaire en faveur du Brexit. Le leader travailliste plaidait néanmoins pour un compromis permettant de conserver pour le Royaume-Uni l'accès au marché unique européen.
Les LibDems quant à eux gagnent 4 sièges pour atteindre 12 représentants. Le parti centriste est néanmoins loin de retrouver son niveau de 2010, où avec 57 députés il avait pu former un gouvernement de coalition avec les Tories de David Cameron. Historiquement pro-européen, si le parti accepte le résultat du référendum de 2016, il considère que le Royaume-Uni est mieux au sein de l'UE : il appelait dans le cadre de la campagne du 8 juin dernier à un second référendum sur la question.
Au vu des résultats du référendum de juin 2016, la question du Brexit amène à celle de l'intégrité territoriale du Royaume-Uni, et à la place de l’Écosse. Le SNP – Scottish National Party, parti indépendantiste écossais, conserve 35 sièges au parlement de Westminster (le deuxième meilleur score historique du SNP), mais en perd néanmoins 21, ce qui affaiblit la position de la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon alors que cette dernière souhaitait appeler à un second référendum sur l'indépendance de l’Écosse, après celui négatif (55,4 % des suffrages) de septembre 2014, sur fond de craintes d'un « hard Brexit » – l'indépendance de l’Écosse pouvant alors être perçue comme une première étape avant une adhésion de cette dernière à l'UE en tant qu'Etat souverain.
Enfin le parti historiquement favorable au Brexit, le UKIP, a disparu purement et simplement de la Chambre des communes avec la perte de son seul représentant. Les élections générales ne font néanmoins qu'acter une situation en germe depuis que le parti a obtenu ce qu'il réclamait, le Brexit, mais s'était montré incapable de gérer l'après-référendum, son leader Nigel Farage abandonnant même la politique.
Brexit : « Business as usual » ?
L'échec des conservateurs le 8 juin dernier est d'autant plus net qu'ils n'ont pas pu imposer leurs thèmes de campagne : l'enjeu avancé pour convoquer des élections générales anticipées, disposer d'une majorité plus solide au Parlement en prévision des négociations sur le Brexit, a été évacué du débat public par les préoccupations quant au financement de la protection sociale, et en matière de sécurité au regard notamment du bilan de Theresay May comme Secrétaire d'Etat à l'Intérieur de 2010 à 2016. Le paradoxe : étant donnée l'évolution des équilibres politiques, ces élections législatives anticipées portent bien en germe une évolution de la position britannique dans les négociations sur le Brexit.
La perspective d'un « hard Brexit », d'une volonté britannique de rompre de manière pleine et entière avec le marché intérieur de l'UE pour pouvoir retrouver le contrôle de ses frontières face à la libre circulation des travailleurs, semble s'éloigner par défaut de légitimité politique et démocratique. La perspective d'un « soft Brexit » se renforce, scénario dans lequel les liens économiques, commerciaux, politiques entre l'Union européenne et le Royaume-Uni seraient repensés (les perspectives restant ouvertes) mais non rompus. Paradoxalement, le vote en faveur du Brexit en juin 2016 avait été notamment motivé précisément par la question de l'immigration. Alors que la position européenne est claire : l'accès au marché intérieur de l'UE est indissociable des « quatre libertés » de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes.
Il reste que l'article 50 du traité sur l'Union européenne, encadrant la procédure de sortie, a bien été activé par le Royaume-Uni le 29 mars dernier. Du côté de l'Union européenne, le ton est clair : « La décision du Royaume-Uni de quitter l’UE est une décision grave, il s’agit de la mettre en œuvre sans perdre de temps »1 souligne Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit pour l'UE. Dès lors, nombre de questions restent ouvertes. Qu'adviendra-t-il des ressortissants européens vivant – et travaillant sur le sol britannique ? Des ressortissants britanniques vivant sur le territoire des 27 autres États membres ? Quel sera le montant de la contribution britannique aux dépenses prévues jusqu'en 2020 dans le cadre financier pluriannuel (2014-2020) de l'UE, et aux dépenses prévues au-delà dans le cadre d'autres projets européens ? Quelles seront les relations entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande ? Qu'adviendra-t-il de Gibraltar – et des bases militaires britanniques à Chypre ? Comment le gouvernement britannique pourra-t-il mettre en œuvre le projet de « Great Repeal Bill » prévu à l'automne pour remplacer par des législations nationales l'ensemble des textes européens applicables au Royaume-Uni ? Les négociations sur la sortie même pourront-elles être bouclées avant la date butoir du 28 mars 2019, soit dans le délai prévu de deux ans ?
Au-delà du règlement de divorce, comment sera gérée la période de transition ? Car l'avancement des discussions sur la sortie conditionne le début des négociations sur l'avenir des relations UE – Royaume-Uni, ouvrant ainsi mécaniquement une période de transition et d'incertitude sans doute relativement longue. « Neuf à dix ans » estime Jean-Luc Sauron, professeur associé à l'Université Paris-Dauphine2.
Face à ces nombreuses questions d'importance, une chose est sûre : c'est l'incertitude qui règne. Le gouvernement britannique est fragilisé – nulle expérience de gouvernement minoritaire avec soutien sans participation d'un allié de circonstance n'a duré plus de six mois au Royaume-Uni. Le leadership de la Première ministre entamé, son avenir politique est sans doute compté, la direction prise au moins en partie brouillée. M. Barnier le disait le 12 juin : « Nous nous préparons à toutes les options, y compris celle du no deal ». Car l'enjeu minimal est bien d'avoir « un partenaire pour négocier »3.
Les négociations sont prévues pour s'ouvrir le 19 juin, soit à peine 11 jours après les élections britanniques. Au-delà du chaos politique actuel au Royaume-Uni, une autre chose est sûre : le temps tourne. Et c'est en faveur de l'Union européenne. Le gouvernement britannique l'a compris, cherchant à limiter le report du début des négociations : selon David Davis, Secrétaire d'État à la sortie de l'UE du Royaume-Uni, les négociations devraient bien commencer « la semaine prochaine », mais « peut-être pas lundi »4.
Finalement, le plus probable semble de nouvelles élections générales anticipées au Royaume-Uni dans un avenir relativement proche. A moins que chaque parti ait plus à y perdre qu'à y gagner : le chaos n'est pas fini.
1 DUCOURTIEUX Cécile, « Michel Barnier sur le Brexit : « Nous nous préparons à toutes les options, y compris celle du no deal » », Le Monde, 12 juin 2017 : http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2017/06/12/michel-barnier-je-ne-vois-pas-l-utilite-ni-l-interet-d-un-report-des-discussions-sur-le-brexit_5143347_3214.html.
2 Conférence « Royaume-Uni – Union européenne : le défi d’une relation en rupture », Forum Open Diplomacy, Paris, 10 juin 2017.
3 DUCOURTIEUX Cécile, « Michel Barnier sur le Brexit : « Nous nous préparons à toutes les options, y compris celle du no deal » », ibid.
3 BERNARD Philippe, « Le chaos post-électoral contraint Londres à reporter le début des négociations sur le Brexit », 13 juin 2017 : http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2017/06/13/le-chaos-post-electoral-a-londres-retarde-les-negociations-sur-le-brexit-bruxelles-s-impatiente_5143427_4872498.html.
Légende de la photo en bandeau : déclaration de la Première ministre britannique Theresa May sur les élections du 8 juin, Londres, 9 juin 2017 (c) Open Government Licence v3.0.
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