Les 6 et 7 juin derniers se tenait à Paris le Forum annuel de l’OCDE. L’objectif affiché : offrir de nouvelles perspectives pour une mondialisation plus inclusive. Face à la montée des populismes et nationalismes, une volonté de réflexion éclairée sur de potentielles solutions pour dépasser les grands clivages de l’économie mondialisée.
Parmi ces dernières, l’entrepreneuriat a largement été mis à l’honneur. Au-delà de sa centralité pour le dynamisme de l’activité économique, les débats ont dessiné les contours d’un phénomène en devenir : l’entrepreneuriat inclusif. Combattre les maux de nos sociétés par l’esprit d’entreprise est non seulement possible, mais également souhaitable. Seulement, il importe de préciser ces nouveaux modèles pour tirer bénéfice de tout leur potentiel.
L’entrepreneuriat au cœur des échanges
Dès la session d’ouverture du Forum, Angel Gurria, Secrétaire général de l’OCDE, a souligné le paradoxe de la multiplication des discours sur le partage des richesses alors que les inégalités s’aggravent depuis des années. Rompant avec une certaine inertie, l’entrepreneuriat paraît si attirant parce que l’action et le changement sont au cœur de sa nature.
Pour Steven Koltai de l’Institut Brookings (un think-tank américain spécialisé en sciences sociales), entreprendre permet de résoudre et d’empêcher les conflits en créant des emplois. Dans son livre Peace Through Entrepreneurship1, il montre que la violence naît de conjonctures économiques défavorables, en particulier des situations de chômage de masse. Pensant l’histoire de manière cyclique, il affirme : « C’était déjà le cas dans les années 1920 et 1930 en Europe. Aujourd’hui encore, le déficit de création d’emplois fragilise nos sociétés ». Développer l’esprit d’entreprise serait alors une façon d’inclure les franges marginalisées des populations et de favoriser la mobilité sociale.
Si ces idées sont porteuses d’optimisme, la nuance est toutefois importante, par exemple en ce qui concerne le réel impact des start-ups du secteur des nouvelles technologies sur la société. Elles ont certes permis d’importantes avancées comme la démocratisation des moyens de communication ou de l’accès à l’information. Cependant, leurs effets sur l’économie globale demeurent incertains. Sans prêcher pour des leviers de régulation, Contantijn Van Oranje de StartupDelta – une plateforme de start-ups néerlandaise - souligne le flou autour des conséquences de cette transformation. La crainte majeure est de s’immiscer dans des dynamiques de « création destructrice »2 difficilement contrôlables. Jacques Bughin, directeur du McKinsey Global Institute, le rappelle : seulement 20 % de l’économie globale est à l’heure actuelle digitale. Prédire ce qu’il adviendra si les 80 % restant le deviennent également est à ce stade impossible.
Allocution d’ouverture du Forum par Angel Gurria, Secrétaire général de l’OCDE, Forum de l'OCDE, Paris, 6 juin 2017 (c) Sarah Lemaire.
L’entrepreneuriat l’inclusif : phénomène de mode ou réelles solutions ?
L'engouement est perceptible autour de « l’entrepreneuriat inclusif ».
Selon Chiara Condi qui a créé l’initiative « Led by Her »3 permettant à des femmes victimes de violences de se reconstruire en créant leur entreprise, il s’agit de promouvoir l’entrepreneuriat féminin, encore trop minoritaire4. Son défi quotidien est de raconter les aventures entrepreneuriales autrement, pour ne plus se focaliser uniquement sur quelques figures de réussite comme l'américaine Sheryl Sandberg (actuellement directrice des opérations chez Facebook), mais montrer que toutes les femmes peuvent entreprendre. Nicola Hazell, directrice de la diversité et de l’impact pour « BlueChilli Group » (une start-up australienne dans l’innovation), confirme : « Nous avons remarqué que malgré de nombreuses opportunités, les femmes créent encore trop peu d’entreprises. Pour changer le statu quo, il faut faire valoir une nouvelle histoire autour de l’entrepreneuriat ». Elle a donc lancé « SheStarts », un programme visant à accompagner et accroître le nombre de femmes à l’origine de start-ups dans la tech. Dans un autre registre, Roxanne Varza, qui pilote le projet Station F de Xavier Niel5, affirme que le plus grand campus de start-ups au monde basé à Paris et dont l’ouverture est prévue fin juin 2017, tirera sa singularité de sa diversité, accueillant de nombreuses start-ups pas seulement de la tech, et pas forcément françaises. Pour que l’entrepreneuriat soit réellement inclusif, elle prône une approche ouverte sur l’international. Aux yeux d'Aape Pohjavirta, « Chief Evangelist » pour Funzi (une start-up finlandaise dans l’éducation numérique), l’esprit d’entreprise est une qualité distribuée de façon égale au sein des sociétés. La nouveauté est qu’à notre époque, les entrepreneurs se sentent concernés par les questions sociales qui les entourent.
Définir l’entrepreneuriat inclusif reste une gageure. Étant données la charge subjective liée à la notion d’inclusion et la variété de secteurs que peut impliquer l’entrepreneuriat, cette complexité est compréhensible. Deux tendances émergent néanmoins. Un entrepreneuriat intrinsèquement inclusif (qui prend en compte des minorités, ou des groupes marginalisés par exemple) coexiste avec un entrepreneuriat instrumentalement inclusif dont la vocation serait de résoudre des problèmes de société par l’entreprise (comme l’entrepreneuriat social). C'est une synthèse de ces deux types qui permettrait de forger un entrepreneuriat réellement inclusif à long terme.
L’éducation : un défi majeur pour développer l’entrepreneuriat inclusif ?
Au-delà d'un enjeu de définition, il importe finalement de permettre à l’entrepreneuriat inclusif de s’étendre.
À ce titre, l’éducation apparaît comme un chantier de taille. À travers la formation à l'entrepreneuriat et plus généralement la pensée de nouveaux modèles d’apprentissage, Nicola Hazell milite pour enseigner et favoriser l’entrepreneuriat dès le plus jeune âge. Anticipant les transformations du monde du travail, elle affirme : « Nous serons tous un jour ou l’autre amenés à entreprendre ». En réponse à la critique de l’auditoire selon laquelle les écoles de commerce apprennent aux étudiants à créer des entreprises profitables avant d’être inclusives, Chiara Condi répond : « J’ai travaillé avec des grandes écoles françaises, et ce n’est pas forcément le cas. On y apprend à résoudre des problèmes avant tout. La question de profit entre en jeu plus tard ». Le changement de mentalité serait-il déjà lancé ?
Quand on lui demande quels conseils elle pourrait donner, Roxanne Varza souligne l’importance d’apprendre les langages informatiques, et rappelle que l’on peut être entrepreneur sans créer sa propre entreprise. Il s’agit avant tout de considérer des problèmes comme des opportunités et de mettre en œuvre des schémas pour les résoudre. Car « l’entrepreneuriat, c’est avant tout un état d’esprit », ajoute Nicola Hazell. Entreprendre, c'est aussi sortir des modèles d’entrepreneuriat types pour innover. Sidney Valenta, un chef d’entreprise belge, le confirme : « Il ne faut pas uniquement penser le mot entreprendre avec start-up. De même, il n’y a pas que les start-ups de la tech qui réussissent ». Sortir du cadre particulier « Silicon Valley » serait aussi une manière d’inclure plus d’individus dans des activités entrepreneuriales.
1 KOLTAI Steven R. & MUSPRATT Matthew, Peace Through Entrepreneurship. Investing in a Startup Culture for Security and Development, Brookings Institution Press, 30 août 2016, 240 pages.
2Un concept théorisé par l’économiste Joseph Schumpeter.
3 DAUVERGNE Géraldine, « Led By HER : quand entreprendre aide à se reconstruire », Les Echos Entrepreneurs, 7 mars 2016 : https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/aides-reseaux/led-by-her-quand-entreprendre-aide-a-se-reconstruire-208030.php
4 Selon une étude de la BPI, la part de femmes créatrices d’entreprises en 2013 en France était de 30 %.
5 PIERROT Sébastien, « Roxanne Varza : Xavier Niel lui a confié les clés de son incubateur Station F », Capital, 17 janvier 2017 : http://www.capital.fr/entreprises-marches/roxanne-varza-xavier-niel-lui-a-confie-les-cles-de-son-incubateur-station-f-1200257
Légende de la photo en bandeau : conférence sur l’entrepreneuriat inclusif avec (de gauche à droite) Chak-hee Ahn (OCDE), Roxanne Varza (Station F), Aape Pohjavirta (Funzi), Nicola Hazel (BlueChilli), Chiara Condi (Led By Her), Forum de l'OCDE, Paris, 6-7 juin 2017 © OCDE.
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