Le Sommet pour un Nouveau Pacte Financier Mondial s’est tenu à Paris les 22 et 23 juin 2023. Il a réuni plus de 300 chefs d’États et de gouvernements, organisations internationales et représentants du secteur privé et de la société civile.
Dans le prolongement de l’initiative Bridgetown, l'objectif était ambitieux : promouvoir un système financier international renouvelé, capable de générer un "choc de financements" suffisant pour permettre de répondre aux défis du développement durable et aux critiques du système financier mondial actuel. Mais ces critiques sont-elles suffisantes pour pousser à une réforme de l’architecture financière mondiale ? L’initiative de Bridgetown a-t-elle encore des aspirations sans mécanismes concrets pour les réaliser ?
La critique latente du système financier international
Depuis la fin de la Guerre Froide, trois critiques se dégagent vis-à-vis du système financier international.
La première : une gouvernance jugée oligopolistique et asymétrique, rejoignant l’analyse du pouvoir structurel au sein d’un espace mondial théorisé par Susan Strange. En effet, il permettrait à certains acteurs internationaux, dont les occidentaux, de décider unilatéralement. Ainsi, l’exemple des politiques d’austérité imposées en Amérique latine par le Consensus de Washington favorise la thèse d’institutions financières internationales favorisant les économies les plus avancées, notamment les Etats-Unis, au détriment des moins avancées. L’origine se trouve dans la structure de vote dans ces institutions dont le nombre de voix est attribué par pays selon leur contribution financière, donnant une influence disproportionnée aux économies avancées dans les décisions stratégiques face à celles moins avancées nécessitant l’assistance du FMI et de la Banque Mondiale. À ce manque de représentativité et de légitimité s’ajoute un manque de crédibilité. Les recommandations du FMI ont aggravé la crise financière en Amérique latine dans les années 2000. En réaction, le Consensus de Buenos Aires en 2003 a révélé une volonté croissante des pays du Sud de mettre en place une gouvernance alternative post-occidentale (e.g. la Banque de développement des BRICS).
La deuxième : l’impact négatif sur l’environnement. Les investissements dans des industries polluantes et projets nocifs aux écosystèmes sont pointés du doigt par le Programme des Nations Unies pour l’environnement. Il en va de même pour les financements des énergies fossiles, la surexploitation des ressources naturelles et la déforestation. De plus, le manque de transparence sur la prise en compte des externalités négatives sur l’environnement et la réticence à l’intégration des critères ESG (“environnemental, social et de gouvernance”) alimentent les critiques.
Enfin, dans le sillage des manifestations de Seattle de 1999 et Gênes de 2001, la crise de 2008 a accentué une troisième critique : un système jugé injuste et inégalitaire. Diverses manifestations ont pu s’en faire l’écho dans les sociétés civiles (e.g. Occupy Wall Street aux Etats-Unis en 2011, le mouvement des Indignés en Espagne de 2011). Il en est de même pour la critique du spill-over effect de la politique monétaire américaine sur les économies émergentes, aggravant l’effet “push” sur leurs balances des paiements (e.g. les effets de bord du Tapper Tantrum, le durcissement de la politique monétaire de la Fed post-Covid19).
Des solutions débattues pour améliorer le système international
Le rôle de la Banque mondiale et des autres BMD (Banques Multilatérales de Développement)
La Banque Mondiale souhaite redéfinir sa mission de “prospérité partagée”, qui repose sur l'indicateur du PIB. La Banque Mondiale devrait aussi se recentrer sur l’Afrique, orienter ses financements selon les ODD (Objectifs de Développement Durable) et assurer une plus forte présence auprès des acteurs territoriaux. Également, la Banque Mondiale pourrait devenir un conseiller de coopération internationale vers la stabilité du climat en coordonnant ses fonds climatiques fragmentés (Adaptation Fund, GEF, GCF, etc.). Enfin, les BMD doivent tripler leurs flux financiers de 2022 à 2027, doubler les financements concessionnels des pays riches de 2019 à 2025 et faciliter des outils de financement innovants (droits de tirage spéciaux (DTS), marchés volontaires de carbone) pour accélérer investissements publics-privés et gagner en capacité (jusqu’à 1000 milliards $ par des taux favorables).
Discussion autour des sources de financement du système financier international
Les droits de tirage spéciaux (DTS) émis par le FMI, alloués notamment lors de crises importantes comme celle du COVID-19 (650 milliards $), pourrait financer un Fonds Mondial d’Atténuation des Effets du Changement Climatique de 500 milliards $, alimentant déjà le Fonds pour la réduction de la pauvreté et la croissance (PRGT) et le Fonds pour la résilience et la durabilité (RST). Les transmettre par les BMD augmenterait leur capital de 3 à 4 fois le montant des DTS. Divers formats existent : instruments de capital hybride, titres à maturité long-terme ou perpétuel, obligations à taux d’intérêts du DTS ou mécanismes d’absorption de pertes comme le différemment de paiement. Des oppositions persistent, notamment sur l'incompatibilité avec les règles monétaires européennes.
Également, de nouvelles sources de financement pour le système financier international ont été discutées pour générer des revenus et réduire l’utilisation d’activités néfastes.
- Une taxe mondiale sur l’extraction d’énergies fossiles (150 milliards $ par an ) pourrait financer des fonds pour les pays à faible revenu, tout comme une taxe sur les surprofits énergétiques.
- Également, une taxe mondiale sur les billets d'avion rapporterait 8 à 10 milliards $ tandis que la la suppression de l'exonération fiscale sur le kérosène des vols internationaux rapporterait 18 milliards $.
- De plus, une taxe sur les émissions du transport maritime mondial rapporterait 1000 à 2000 milliards $ d’ici 2050 pour financer l’utilisation et la recherche autour des carburants bas carbone mais a été rejetée lors de la dernière réunion de l’Organisation Maritime Mondial.
- Également, une taxe mondiale sur les transactions financières (TTF) lutterait contre les dérives de la spéculation et rapporterait 156 à 260 milliards $ par an. Elle est soutenue par plus de 70 économistes internationaux, dont Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'Économie.
- Similairement, une taxe sur le rachat d’actions aux Etats-Unis rapportera 74 milliards $ sur 10 ans et une taxe sur le capital et la richesse, supportée par le FMI, de 5% sur les multi-millionnaires et milliardaires, rapporterait 1 700 milliards $ par an.
Les enjeux sur la dette des pays les plus vulnérables
Sur la dette des pays les plus vulnérables, des propositions ont été formulées sur leur allègement, leur restructuration, des clauses suspensives et l’utilisation de debt-swaps.
L'initiative Pays Pauvre Très Endettés (PPTE) permet en 2005 d’effacer la dette et les créances de nombreux pays mais s’est révélée inefficace pour lutter contre la corruption ou l’évasion fiscale qui fait perdre 100 milliards $ par an aux pays émergents. Les fortes mesures d’ajustements structurelles des années 2000 sont critiquées par leur inefficacité et conséquences sur les services publics et la pauvreté.
En 2020, l’initiative de suspension du service de la dette du G20 a permis à 43 pays sur 73 de bénéficier de report de paiement de dettes publiques bilatérales avec des résutats limités. De plus, le Cadre Commun de Traitement de la Dette du G20 en 2021 privilégie des rééchelonnements, repoussant le problème. Les dettes de créanciers privés pourraient, quant à elles, s’alléger par des Brady Bonds de relance verte et inclusive soutenus par des fonds publics de garanties. Les clauses de suspension de dettes pour les catastrophes naturelles peuvent absorber les chocs économiques des risques de dette sans modifier leur rentabilité pour les investisseurs.
Également, des solutions potentielles comme les debt swaps permettent de transformer une dette souveraine en aide publique au développement, comme pour la protection de la nature avec les “debt-for-nature swaps”, par exemple en Equateur (1,6 milliards $).
Enfin, les “Sustainability Linked Sovereign Debt” peuvent réduire les coûts d'emprunts et risques de crédit pour les pays en développement et augmenter la crédibilité des engagements environnementaux par des indicateurs de performance comme en 2022 au Chili et en Uruguay.
Quelles évolutions nécessaires pour réformer le système financier international face aux crises à venir ? Les apports et limites du Sommet
Le Sommet pour un Nouveau Pacte Financier Mondial, n’a pas permis de transformation radicale, mais a ouvert la voie à une dynamique fructueuse.
Apports du sommet
Premièrement, il a permis de renforcer la confiance en transcendant les divisions Nord et Sud. La tenue des engagements passés, notamment le programme d’Addis-Abeba à la suite des accords de Paris et de Kunming-Montréal, ont été mis en lumière. Malgré les tensions géopolitiques liées à la Guerre en Ukraine, cela n’a pas empêché un dialogue fructueux avec la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite ou l’Union Africaine avec une meilleure place pour les pays en développement.
Deuxièmement, le Sommet a été l’occasion de réalisations majeures : 100 milliards $ de DTS ré-alloués, 100 milliards $ pour le climat pour achever l’accord de la COP15, l’accord sur le traitement de la dette de la Zambie avec le G20 Common Framework et le Club de Paris. Des initiatives remarquables sont à noter. L'Agenda de Paris pour les peuples et la planète prévoit une hausse de la capacité de prêt du FMI et de la Banque mondiale de 200 milliards $ sur 10 ans, en optimisant leurs bilans et en assumant davantage de risques. Le renforcement des financements concessionnels du fonds PRGT et l'essor du nouveau fonds RST sont à saluer. L’Agenda de Paris visent à ce que les BMD attirent 100 milliards $ annuel de financement privé.
Enfin, 52 pays et 11 organisations internationales ont émis une déclaration proposant une approche systémique revisitée des BMD par une collaboration accrue avec les fonds thématiques, la révision du Cadre d’Adéquation des Fonds Propres du G20, l'attribution volontaire des DTS aux BMD. Également, l'accès aux financements concessionnels pour les pays à faible revenu, une intégration plus poussée de la nature au sein des BMD et des clauses de suspension de la dette en cas de catastrophes naturelles.
Enfin, les acteurs privés de la philanthropie se sont engagés à transformer leurs systèmes pour répondre aux défis du climat, de la biodiversité et de l'égalité. De même, les acteurs des marchés volontaires de carbone ont plaidé pour une extension de la tarification du carbone pour couvrir 60% des émissions mondiales et vont garantir l'intégrité des marchés carbone en développant les normes les plus élevées en les harmonisant entre les différentes initiatives en cours.
Limites et critiques
Toutefois, comme le soulignent Réseau Action Climat, Oxfam et CARE, les avancées réelles du sommet demeurent inachevées, demeurant un “recyclage de vieilles promesses”. En effet, la fin du financement des énergies fossiles n’a pas été traitée comme le regrettent Re-Course et WWF, d’autant que les BMD continuent de les financer comme avec le JETP avec le Sénégal poussant à la maximisation des réserves de gaz naturel ou au sein des fonds PRGT et RST dont les conditionnalités poussent à l’austérité.
Le manque de considération pour la biodiversité a été déploré par Avaraaz qui proposait de nouveaux DTS en la considérant comme un défi majeur pour le fonds RST et de nouveaux debt-for-nature swaps ainsi qu’une plus forte intégration dans les analyses macroéconomiques du FMI.
L’absence d’un élargissement des prêts concessionnels ou de subventions, de nouvelles émissions de DTS et d’une redéfinition du G20 Common Framework, excluant de fait les pays à revenus intermédiaires, est à déplorer. Le manque de nouvelles sources de financement, de lutte contre l’évasion fiscale et de solutions alternatives à la restructuration de dette est aussi critiquée. Ceci amène à des propositions alternatives discutées dans les sommets passés et futurs G7, G20, FICS, la COP 28, les Fall & Spring Meetings de la Banque Mondiale et du FMI et UNGA, tout en réalisant le bilan en 2025 des progrès déjà réalisés.
Propositions
Il faut donc continuer de voir une véritable refonte du système international qui passerait par plusieurs solutions.
- Une redirection des flux financiers par la fin du financement des activités destructives comme les énergies fossiles et le financement d’activités protectrices comme les écosystèmes forestiers.
- Un changement de pratique des BMD par l'émission des 650 milliards $ de DTS d’ici 2050 pour les pays vulnérables avec la possibilité de les réallouer aux BMD, un rapprochement avec les banques de développement régionales et nationales, un cadre d'alignement de financements sur les ODD et favoriser les échanges de données et de soutiens techniques et financiers pour promouvoir les meilleures pratiques. Également, une réforme approfondie des institutions de Bretton Wood est nécessaire par un meilleur accès du financements des pays à faibles revenus, davantage de subventions, une simplification des processus, de meilleurs instruments financiers, une redéfinition de leur missions, une meilleure collaboration avec le secteur privé ainsi qu’une meilleure intégration du climat et de la biodiversité dans leurs analyses macroéconomiques.
- Un allègement des dettes des pays à faible revenus, par le réexamen du Cadre d’Adéquations des Fonds Propres menés par le G20 et la coordination du processus de restructuration du Cadre Commun de Restructuration de la Dette du G20 et du Club de Paris ainsi que le développement des marchés de debt-swaps et de “Sustainability Linked Sovereign Debt”.
- Des nouvelles sources de financements qui pourraient alimenter par exemple le fonds Loss and Damages ou le bouclier global contre les risques climatiques, ainsi qu’un élargissement de la lutte contre l'évasion fiscale, l’optimisation fiscale et la corruption
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