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Crise écologique et intergénérationnelle : quelle place pour la jeunesse à l’international ? L’exemple de l’UICN

| Delphine Blanchard

4 novembre 2021

La crise écologique et notamment les bouleversements climatiques ont des conséquences dévastatrices sur l’environnement et les populations. Les plus touchés sont paradoxalement ceux dont la responsabilité est quasi nulle, à savoir les jeunes qui subissent de plein fouet les conséquences des activités humaines polluantes. Ils sont à la fois des sujets à protéger, de par leur vulnérabilité, mais également des sujets à écouter dans la résolution de la crise environnementale.

Une jeunesse doublement impactée par les conséquences du changement climatique et le manque d’ambition des Etats

Selon le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), le changement climatique pourrait provoquer 250 000 décès supplémentaires chaque année chez les enfants, d’ici 2100. La jeunesse est extrêmement vulnérable aux catastrophes naturelles, à la pollution de l’air et de l’eau, aux inondations et sécheresses et aux migrations climatiques. Les impacts de la crise environnementale s’intensifient et, avec eux, la nécessité d’agir. Frustrés et lassés d’attendre un réveil politique face à l’urgence climatique, les jeunes dénoncent l’inaction des Etats en matière environnementale qui porte atteinte à leurs droits fondamentaux. En septembre 2019, Greta Thunberg et quinze enfants et adolescents ont saisi le comité des Nations Unies des droits de l’enfant réclamant la reconnaissance du changement climatique mettant en péril les droits des jeunes générations. En effet, en continuant d’ignorer les avertissements des scientifiques sur la gravité de la crise, les Etats agissent en violation de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) de 1989 qui garantit entre autre,le droit à l’égalité et à la non-discrimination (article 2), l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3), le droit à la survie et au développement (article 6).

Les jeunes et les générations futures vont devoir vivre avec les conséquences du changement climatique et de la dégradation de l’environnement. Les décisions d'aujourd'hui impacteront le développement physique et mental des jeunes générations et sont donc cruciales. Dans un nouveau sondage publié par The Lancet en septembre, plus de 50 % des jeunes interrogés dans 10 pays différents se sentent tristes, anxieux, en colère, impuissants et coupables face au changement climatique et aux réponses gouvernementales. Le terme d’éco-anxiété est apparu pour qualifier cette génération « sacrifiée » effrayée par le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et inquiète face à l’avenir.

Les jeunes ne sont pas seulement inquiets, mais aussi frustrés et en colère vis-à-vis des générations antérieures en qui ils ont perdu confiance. Cela a donné naissance à un clivage intergénérationnel qui ne pourra être résolu qu’avec la mobilisation et la participation des jeunes aux décisions nationales et internationales relatives à la protection de l’environnement. Il est en effet indispensable d’ouvrir un dialogue horizontal entre les générations afin de co-construire des solutions pour l’avenir. La jeunesse s’est déjà emparée massivement de cette problématique en jouant un rôle actif dans la préservation du vivant et en dénonçant le manque d’ambition des gouvernements. La récente sortie du documentaire Bigger Than Us illustre les différentes initiatives de la jeunesse partout dans le monde, que ce soit en termes de justice environnementale avec Xiuhtezcatl Martinez aux Etats-Unis, de sécurité alimentaire avec Winnie Tushabe en Ouganda ou encore de lutte contre la pollution plastique avec Melati Wijsen en Indonésie.

La nécessité de se faire entendre à l’international : quelle place pour les jeunes au sein de l’UICN ?

Les voix des jeunes ont besoin d’être entendues et considérées, notamment sur la scène politique et diplomatique internationale. Premières victimes de la crise environnementale, les jeunes se mobilisent partout dans le monde pour faire valoir leur droit de participer aux décisions concernant leur avenir. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a récemment développé un programme autour de l’engagement des jeunes et le développement de partenariats intergénérationnels. L’UICN a participé à l’organisation du premier Sommet mondial de la jeunesse, intitulé « One Nature, One Future », qui s’est déroulé sous forme virtuelle du 5 au 16 avril 2021. Ce sommet inédit a rassemblé plus de 15 000 participants de 170 pays et a constitué une véritable plateforme d’échange et de mise en relation entre les leaders et la jeunesse. Une déclaration a été présentée, le 3 septembre dernier au Congrès mondial de la Nature à Marseille, soulignant la nécessité d’impliquer de manière significative la jeunesse mondiale dans la conservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. L’objectif est d’inclure  les jeunes générations de manière concrète et non pas seulement symbolique dans les processus décisionnels. Dans cette déclaration, la jeunesse appelle à une réelle transformation des valeurs et des approches de la conservation en reconnaissant l’interdépendance de l’humanité avec le vivant, les droits des peuples autochtones et des communautés locales sur leurs terres ainsi qu’une personnalité juridique à la Nature.

L’UICN est en train d’emprunter un tournant décisif dans l’inclusion des peuples autochtones et la participation des jeunes, mais l’intégration de ces derniers reste néanmoins limitée.  En effet, la jeunesse reste absente des sphères de pouvoir et de décision. Le Congrès mondial de la Nature a invité plus de membres considérés comme « jeunes » (de 15 à 35 ans). Cependant, beaucoup n’ont pas les moyens de devenir membre, de se rendre à un tel événement ou d’obtenir un visa. Certains n’ont également pas l’éducation et le capital culturel leur permettant d’être parfaitement intégrés dans un Congrès où seules les trois langues officielles sont l’anglais, le français et l’espagnol. Faute de réels moyens déployés pour leur venue, beaucoup de jeunes manquent donc à l’appel. De manière générale, peu d’organisations non gouvernementales de jeunes ont les moyens d’adhérer au plus vaste réseau mondial de protection de l’environnement car l’UICN fixe des coûts d’adhésion trop onéreux.

Parler des jeunes c’est bien, les intégrer c’est mieux 

À l’UICN, les perspectives d’inclusion de la jeunesse apparaissent néanmoins favorables dans un futur proche. La nouvelle Présidente de l’UICN, Razan Al Mubarak, semble déterminée à amplifier la voix de la jeunesse au sein de l’organisation et une nouvelle stratégie de la jeunesse de l’UICN doit se finaliser avant le 31 décembre 2021.  Elle s’appuiera sur le bilan et les résultats du Sommet mondial de la jeunesse. Un Comité consultatif de la jeunesse devrait également être constitué pour soutenir la mise en œuvre de cette nouvelle stratégie, ainsi qu’une équipe au sein du Secrétariat de l’UICN dont le mandat portera exclusivement sur l’engagement des jeunes.

Cependant, la jeunesse ne sera totalement intégrée que lorsqu’elle aura sa place au sein des comités et des équipes traitant justement de leur propre engagement en matière environnementale. Le temps est venu de laisser une place politique et diplomatique aux nouvelles générations directement concernées par les décisions prises en leur nom. Le conflit intergénérationnel pourra également se résoudre par l’instauration d’une relation de confiance et d’horizontalité entre les générations. Les jeunes sont dotés d’expertises variées et devraient avoir un droit de regard sur toutes les mesures prises concernant leur avenir.

Pour que les jeunes aient voix au chapitre, il faut donc qu’ils soient réellement présents sur la scène internationale et participent activement aux décisions environnementales. L’UICN pourrait aller encore plus loin en envisageant la création d’une délégation de la jeunesse, aux côtés des Etats, des organisations non gouvernementales et des peuples autochtones, et bientôt des collectivités territoriales. Cela pourrait leur permettre de prendre part aux négociations et aux votes des motions afin de rehausser l’ambition en matière climatique et environnementale.

Pour finir, au sein de l’UICN mais aussi de la communauté internationale, les jeunes ne doivent plus être perçus comme un tout homogène mais s’illustrer, à l’intérieur du groupe, par leur hétérogénéité. Chaque jeune, par son expertise, son origine, sa culture, son mode de vie, sa personnalité et son histoire doit pouvoir contribuer à la co-construction du monde de demain, en prenant part aux décisions qui auront un impact sur leur vie et sur celle des générations futures.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Delphine Blanchard est étudiante au sein du master Générations futures et transition à l'Institut d'études politiques de Rennes.