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Contextualiser l'ambition de la France : se préparer à un monde à +4°C

| Geoffray Marie, junior fellow à l'Institut Open Diplomacy

13 septembre 2023

La France prépare le 3e volet de son Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) et envisage un scénario extrême avec un réchauffement moyen de +4°C d’ici la fin du siècle.

L’adaptation des territoires face aux évolutions du climat est en effet nécessaire : au-delà d’une simple élévation des températures, le changement climatique implique une modification des vents, courants marins, précipitations avec, à terme, un impact sur la biodiversité, des rendements agricoles et de pêche et une augmentation des catastrophes naturelles (inondations et feux de forêts en premier lieu).

En France, le Ministère de l’écologie dévoile en 2006 la Stratégie nationale d’adaptation au changement climatique qui exprime le point de vue de l’État sur les axes à privilégier pour préparer le territoire aux conséquences de l’élévation des températures du globe.

Il faut néanmoins attendre 2011 pour que le PNACC-1 soit publié : 242 mesures sont détaillées pour inclure l'adaptation dans les politiques dans différents domaines (santé, biodiversité, agriculture, financement et assurance, gouvernance, …) jusqu’à 2015.

Le rapport d’évaluation est très positif en estimant que les 3⁄4 des mesures prévues seront achevées d’ici à fin 2016. En outre, d’après les rapporteurs la France serait pionnière dans les politiques d’adaptation en publiant assez tôt un plan très méthodologique.

Peut-on considérer que la France est bien préparée pour autant ?

 

Dans le monde, de nombreux pays se préparent au changement climatique

Dans la mesure où les territoires seront différemment modifiés par le changement climatique, et devront s’adapter en conséquence, il est difficile de comparer les politiques d’adaptation mises en place par les États. Ainsi le dégel du sud de la Sibérie représenterait une opportunité pour l’agriculture russe. A contrario, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité du phénomène météorologique El Niño dans le Pacifique pourrait entraîner de fortes sécheresses en Australie, en Indonésie et dans certaines parties de l’Asie du Sud. Des inondations de grande ampleur seraient à prévoir en Amérique du Sud, au sud des États-Unis, de la Corne de l’Afrique et de l’Asie centrale. En conséquence, c’est une large partie de la production de riz (Asie) et de poisson (Pérou et Chili) qui est menacée ainsi que des millions d’habitants.

Evaluer la capacité d'un pays et de son industrie à surmonter les catastrophes : l'index de résilience

L’Université de Notre Dame a proposé un index de résilience climatique qui prend à la fois en compte la vulnérabilité des pays ainsi que leur capacité à attirer les investissements et à mettre en œuvre des mesures d’adaptation. Sans surprise, les pays riches et développés arrivent en tête (Norvège, Finlande et Suisse) alors que le bas du classement est tenu par des pays en développement qui doivent déjà faire face à des crises alimentaires, sanitaires et politiques (Éritré, République Centrafricaine et Tchad).

Une étude de 2021 de l’Institut Grantham (London School of Economics) essaye d’établir un état-des-lieux des politiques d’adaptation dans une soixantaine de pays. Au niveau des disparités économiques, même si 40% des pays ayant implémenté un plan d’adaptation sont des pays en développement, seulement 3 font partie des pays les moins avancés, à l’instar du Bénin.

Financer les politiques de résilience et d'adaptation : le budget alloué

Les politiques de résilience et d’adaptation impliquent des investissements. Dans son budget 2023, le Président Biden prévoit ainsi 24 Md $ (22 Md €) pour “la résilience et la conservation du climat” ce qui semble bien peu comparé au 1 700 milliards du budget total voté. De son côté, le Royaume-Uni a annoncé lors de la COP 27 vouloir tripler son budget dédié à l’adaptation à 1,75 Md €, ce qui est encourageant.

Parmi les pays du G20, le plus en retard paraît être l’Australie qui n’a prévu qu’environ 20 M € dans son budget 2023-2024. Néanmoins, il est étonnant de voir que les États prévoient si peu de ressources pour devenir plus résilients alors que la Commission Européenne estimait déjà en 2014 que le changement climatique en Europe allait coûter aux membres jusqu’à 4% de leur PIB à la fin du siècle.

Plus récemment, la Maison Blanche estimait en 2022 que sans adaptation, les États-Unis pourraient perdre annuellement 2 billions de dollars de PIB à la fin du siècle. Pour se donner une idée de ce que cette somme représente, le PIB des USA se montait à un peu plus de 25 billions en 2022.

La mise en oeuvre du plan d'adaptation

Ce n’est pas tout de publier un plan d’adaptation, il s’agit de l’appliquer et de le suivre.

L’Australie, avec un plan de seulement six actions prévues, peu de détails et dévoilé en 2021, est très en retard. Il faut dire qu’à la suite de tensions au sein du parti travailliste suivi de l’élection au pouvoir de la coalition libérale-nationale, les institutions en charge de la politique climatique ont été démantelées.

À l’inverse, la Suisse a adopté une stratégie d’adaptation aux changements climatiques en 2012. La confédération helvétique suit actuellement son second plan d’adaptation, qui est très détaillé et méthodique en précisant les buts, contenus, acteurs responsables, ressources, implication des cantons.

D’après l’Institut Grantham, 60% des pays qui ont implémenté un plan d’adaptation ne suivent pas cette implémentation. Parmi les pays les plus en retard du G20 on retrouve l'Australie et le Canada. A contrario, des pays ont déjà publié une évaluation de leur premier plan comme le Chili, les Philippines, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Corée du Sud. Notons que dans l’UE, la Commission Européenne et l’Agence Européenne de l’Environnement incitent les États-membres à développer leur politique d'adaptation, ce qui explique pourquoi les pays européens sont plutôt avancés.

La nature des mesures prises varie selon les pays et les écosystèmes

La majorité des mesures prises sont en général de nature observationnelle : surveiller le niveau des glaciers, des nappes phréatiques, prévoir les épisodes de chaleur, alerter les populations, et finalement peu de mesures d’aménagement.

Néanmoins, il est plus que temps de proposer des mesures concrètes. Le deuxième groupe de travail du GIEC met en avant les adaptations basées sur les écosystèmes pour se préparer aux changements climatiques. Bien que l’efficacité de certaines de ces adaptations diminueraient avec une hausse des températures, le Président Biden a signé un décret à l’occasion du jour de la Terre pour encourager les initiatives d’adaptation basées sur la nature. Ainsi la restauration des marais, le maintien des forêts et zones humides, la conservation de plantes indigènes permettront une meilleure protection des côtes et contre les inondations, la préservation des ressources en eau et en nourriture.

La Norvège fait figure d’exemple en mettant l’accent sur les solutions basées sur la nature dans son plan d’adaptation, notamment pour se protéger des risques d’inondations et de glissements de terrain. En outre, la Norvège a fait un gros effort pour inclure les personnes dans son adaptation. Ainsi le peuple des Samis a largement été consulté et les municipalités bénéficient de moyens pour mettre en place des solutions d’adaptation avec une certaine autonomie.

L’adaptation des villes

En concentrant plus de la moitié de la population mondiale et avec une artificialisation qui les rendent très sensibles aux changements climatiques, les villes sont des lieux où l’implémentation de solutions d’adaptation est à la fois nécessaire et efficiente. Citons ainsi le Pacte mondial des maires pour le climat et l'énergie (Global Covenant of Mayors for Climate & Energy), un regroupement de dirigeants municipaux qui s'attaquent au changement climatique en s'engageant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à se préparer aux impacts futurs du changement climatique. Ainsi la ville de Toronto a pu mettre sur pied un plan de résilience à plusieurs niveaux (logements individuels, quartiers, espaces publics, infrastructures) pour notamment limiter les impacts des fortes chaleurs et des inondations sur la vie des citoyens.

Privilégier les actions dans les villes est une politique également suivie par la Banque Européenne d’Investissement qui a par exemple soutenu Florence et Athènes dans leur adaptation. Pour la première, il s’agissait de planifier la création de reliefs dans des parcs afin de naturellement absorber les fortes pluies et offrir des îlots de verdure en cas de chaleur. Concernant Athène, qui souffre des fortes chaleurs à cause de son urbanisation très dense, le verdissement de la capitale a considérablement amélioré la situation.

Quelle ambition pour la France ?

Que dire de l’ambition de la France de vouloir s’adapter ? On peut noter que le chemin que prend la politique d’adaptation depuis 2006 est très encourageant : là où le PNACC-1 n’offrait surtout qu’une base de connaissance et méthodologique, sans pour autant pousser à des actions concrètes, le PNACC-2 contient moins d’actions mais qui sont beaucoup plus spécifiques aux impacts néfastes que la France rencontrera (notamment inondations, sécheresses et fortes chaleurs). Notons que pour le PNACC-2, 12 ministères ont été mis à contribution pour la mise-en-œuvre et le suivi des actions. La volonté de mieux impliquer les territoires via des consultations s’est fait ressentir, ce qui est louable. Enfin le PNACC-2 a vu son budget total passer d’environ 300 M € à 8,2 Md € de 2019 à 2021.

Néanmoins, dans leurs rapports le Conseil National de la Transition Écologique (CNTE) et le Haut Conseil pour le Climat (HCC) appellent à des mesures plus réactives et curatives : “Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions.“ Selon le HCC, la France n’est pas prête notamment par manque d’objectifs stratégiques et de moyens. Il faudrait aussi privilégier les solutions au niveau local pour mieux tenir compte des besoins des territoires.

C’est une position partagée par l’Institut de l'Économie pour le Climat (i4ce) qui dans son rapport “Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France : De combien parle-t-on ?”, considère que le pays est très loin d’avoir la politique d’adaptation et les moyens qu’il faudrait. L’étude propose 18 mesures essentielles à prendre dès maintenant pour un coût annuel de 2,3 Md €. Sensibilisation, accompagnement des territoires, rehaussement des fonds de la sécurité civile, mettre à niveau les infrastructures de transport et d’énergie, adapter les nouvelles constructions ou rénovation : les propositions sont multi-sectorielles et prennent en compte tous les impacts du changement climatique que connaîtra la France.

Alors que le PNACC-2 touche à sa fin, le Ministère de la Transition Écologique prépare le plan suivant, avec une publication prévue à la fin de l’année. Cette fois-ci 2 scénarios d’évolution des températures d’ici à 2100 sont retenues, notamment celui de +3°C à l'échelle de la Terre, soit +4°C pour la France hexagonale (scénario SSP2-4.5 du GIEC)
D’une part c’est une bonne chose de constater que les politiques prennent enfin en compte des scénarios moins timides (le PNACC-2 tablait sur une hausse de 2 °C de la température moyenne de la planète).

Néanmoins, on peut regretter que la stratégie de la France ne considère pas les 2 autres scénarios du GIEC (SSP3-7.0 : +4°C, SSP5-8.5 : au-delà de +4°C). À titre de comparaison, dans ces scénarios CH2011, la Suisse prévoyait déjà une hausse sur son territoire comprise entre +2,7°C et +4,8°C.

Il est possible d’observer les conséquences des différents scénarios sur l’atlas intéractif du GIEC (https://interactive-atlas.ipcc.ch/).

Même si une consultation publique a été lancée (possibilité de prendre part jusqu’à mi-septembre sur TRACC) en préparation du PNACC-3, ce qui est inédit ; il faut que ce plan soit beaucoup plus ambitieux, mieux doté et surtout qu’il propose des mesures pérennes et pratiques en impliquant davantage les territoires et mettant en avant les solutions basées sur les écosystèmes. D’autant plus qu’au niveau mondial la France ne sera pas le pays le plus touché par le changement climatique. Elle bénéficie de ressources, peut s’inspirer de voisins plus avancés et dispose d’une base de connaissance et méthodologique solide via ses précédents plans.

Lectures additionnelles conseillées

Pour avoir une meilleure compréhension des dynamiques du climat les documents suivant sont bien formulés et accessibles :

En addition, vous pouvez consulter l’étude de l’i4ce et le plan d’adaptation de la Norvège (traduisible avec Word)

 

Les propos tenus dans cet article n'engagent pas la responsabilité de l'Institut Open Diplomacy mais uniquement celle de leurs auteurs.