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Parce que nous sommes tous des ambassadeurs de l'égalité

| Thomas Friang, Fondateur et Directeur général de l'Institut

8 mars 2020

Il y a 25 ans se tenait la quatrième conférence mondiale pour les femmes en Chine. À ce moment là, la communauté internationale a adopté la « Déclaration de Pékin ». Elle établit un programme d'action en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes. Puis il y a 5 ans, les Nations unies adoptaient les objectifs de développement durable (ODD) qui réaffirment sans hésitation l'égalité femmes - hommes comme une priorité mondiale.

Malgré la Déclaration de Pékin et l'Agenda 2030, l'égalité des sexes demeure un horizon à atteindre. Et cet horizon risque encore de s'éloigner de nous.

Nous connaissons bien le problème, hélas

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Les inégalités politiques comme les disparités économiques s'enracinent toujours dans les violences faites aux femmes. Si de véritables progrès ont été réalisés depuis la création des Nations unies, à commencer par le droit de vote désormais acquis aux femmes dans presque tous les pays du monde, l'égalité est encore loin.

Soyons clairs, les premiers progrès politiques n'ont rien de satisfaisant. Il n'y a que 23 cheffes d'État ou de Gouvernement à l'échelle de la planète. Seulement 20 % des ministres en exercice sont des femmes. Pire : il n'y a que trois parlements nationaux paritaires à la surface du globe, et il existe même trois parlements où ne siège aucune femme !

Sur le plan économique, la réalité n'est pas bien meilleure. Le monde du travail n'a pas encore fait aux femmes toute leur place qu'elle mérite. On connait, dans les économies industrielles, les chiffres principaux. Moins de 3 % des dirigeants d'entreprise sont des femmes. Même score pour le volume des capitaux investis dans des entreprises dirigées par des femmes. La rémunération des femmes est encore inférieure de 25 % par rapport à celle des hommes. Ces problèmes sévissent dans tous les secteurs de l'économie... à commencer par les métiers les plus ancestraux : dans l'agriculture, moins de 13 % des terres de la planète sont administrées et cultivées par des femmes. Le problème fait froid dans le dos quand on sait que 110 pays interdisent des pans entiers de l'économie aux travailleuses, réduisant ainsi le taux d'emploi des femmes de 25 % par rapport aux hommes.

Ces injustices s'enracinent dans les violences faites aux femmes. De terribles témoignages apparaissent chaque jour, révélant la cruauté de ces statistiques bien connues. 750 millions de jeunes filles ont été mariées de force, soit une adolescente sur trois. Plus généralement, les femmes sont les premières victimes des trafics d'êtres humains. Et même si elles y échappent, elles font l'objet des violences domestiques : une femme sur cinq l'a déjà vécu dans sa chair, sachant que la moitié d'entre elles vivent dans des pays où elles ne sont protégées par aucune loi. On entend souvent parler de l'horreur des mutilations génitales, répandues à l'échelle planétaire et légales dans encore 30 pays. Mais on ne s'imagine pas tout à fait les dérives des médias sociaux : une femmes sur dix a déjà vécu du cyber-harcèlement dans la durée.

Alors que faire ?

Il faut commencer par sanctuariser nos acquis. La tentation est grande, dans de nombreux régimes, des États-Unis à l'Indonésie, du Brésil à l'Inde, de faire reculer les droits sexuels et reproductifs ou de mettre un coup d'arrêt à l'autonomisation économique des femmes. Une ligne de fracture apparaît désormais clairement : il y a les pays engagés dans une diplomatie féministe, qui continuent de faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes ; il y a les États indifférents, qui soutiennent ou handicapent le progrès social en fonction de leurs intérêts géopolitiques ; et les nations dont l'agenda conservateur a même pour projet de revenir sur les droits fondamentaux acquis aux femmes, comme celui de maîtriser son corps par la contraception ou l'avortement.

Le défi est donc de bâtir des coalitions féministes, capables de faire progresser la cause et d'endiguer le recul que l'on a déjà observé dans certains États. La présidence canadienne du G7 a commencé ce travail en 2018. Sous l'impulsion de Justin Trudeau, le groupe d'engagement pour les féministes du G7 a vu le jour. C'est le W7, qui sera chargé d'aiguillonner la présidence américaine du G7 en 2020. Le Canada a également mobilisé plus de 3.8 milliards pour aider les femmes en zones de conflits. Avant que Washington n'anime le G7, la France a, quant à elle, joué un rôle décisif pour poursuivre l'élan de Charlevoix. Grande cause mondiale de la présidence française du G7, l'égalité femmes - hommes a donné des résultats concrets. D'abord, la création d'un bouquet législatif des meilleures lois internationales pour faire avancer l'égalité femmes - hommes, mis à la disposition de tous les États du groupe et de leurs partenaires diplomatiques. Ensuite, l'aide financière apportée à l'initiative AFAWA de la Banque Africaine de Développement pour renforcer l'accès des femmes au financement de l'économie.

Ces efforts doivent encore être amplifiés à l'échelle internationale. Le Forum Génération Égalité, accueilli par la France en juillet 2020, a cette vocation : il s'agira de lancer six grandes coalitions, avec des acteurs étatiques comme des entreprises et des ONGs. Leur but ? Faire progresser rapidement et efficacement l'égalité femmes - hommes. Chaque coalition aura un programme d'actions mesurables à 5 ans.

Mais l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas que l'affaire des grands. C'est aussi l'affaire des petits. De chacun de nous, citoyens. C'est pourquoi l'Institut Open Diplomacy a proposé au gouvernement français d'organiser, à travers tout le territoire national, une série de 13 conférences consultatives. Ce seront des points de rencontre régionaux où les Françaises et les Français pourront se rejoindre pour discuter avec les membres du gouvernement et la société civile de la meilleure manière d'amplifier le mouvement. Chacun d'entre nous - électeurs, consommateurs, épargnants, travailleurs, responsables associatifs - représente une part du problème et détient une partie des solutions.

C'est pourquoi nous répondrons avec détermination au mandat qui nous a été confié par Jean-Yves Le Drian, Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, et Marlène Schiappa, Secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes (➜ voir la lettre des deux ministres). Nous sillonnerons la France pour que chacune et chacun puisse trouver comment participer à la diplomatie féministe. Chacun de nous est, à son échelle, un ambassadeur de l'égalité. Si l'État français s'engage à l'international, c'est parce que la société française, vibrante et motivée, peut déclencher une dynamique où chaque famille, chaque réseau d'amis, chaque organisation peut faire la différence.

Thomas Friang est le fondateur et le directeur général de l'Institut Open Diplomacy. Il a présidé son conseil d'administration de 2010 à 2020. Il a créé, grâce à cette association, les groupes de dialogue officiels entre le G20, le G7, et les jeunes. Il a ainsi présidé, sous le haut patronage du président de la République, le Y20 en 2011 et le Y7 en 2019, pour un futur plus équitable envers les générations futures.