La visite d’Etat du Président Emmanuel Macron en Chine du 8 au 10 janvier est l’occasion de revenir sur la relation France-Chine. Que peut raisonnablement espérer la France de l’Empire du Milieu, au-delà de l’affichage répété mais avant tout symbolique d’une « relation particulière » qui existerait entre les deux pays ?
La reconnaissance de la République populaire de Chine par la France en 1964, l’acte fondateur de la « relation particulière »
En janvier 1964, au cœur de la Guerre froide, le Général de Gaulle a décidé de reconnaître la République Populaire de Chine. La France, poursuivant sa politique d’indépendance nationale, est alors devenue le premier État important du bloc occidental à reconnaître le régime communiste chinois1. A cette date, le Président français avait perçu que la reconquête de la Chine par le régime républicain de Tchang Kaï-chek n’était plus qu’une chimère et qu’il était nécessaire de reconnaître « le monde tel qu’il est » selon ses propres mots. Cette action de De Gaulle revêt pour les Chinois une symbolique particulière car elle est survenue alors que les relations entre la Chine et l’Union soviétique étaient au plus bas et que leur pays particulièrement isolé sur la scène internationale. En effet, la reconnaissance du régime communiste par les Etats-Unis n’est intervenue que 15 ans plus tard en 1979. S’il est difficile d’évaluer l’impact de la reconnaissance française sur la décision américaine, sa portée diplomatique est importante.
Couverture d’une biographie chinoise du Général de Gaulle (c) Doublant.com
Cet acte fondateur des relations diplomatiques entre la France et la Chine est désormais rappelé lors de chaque grande rencontre officielle bilatérale. Il est devenu peu à peu une composante essentielle du mythe de la relation particulière unissant deux États entendant mener une politique étrangère indépendante. Entre la France et la Chine, il serait donc possible de trouver des intérêts convergents malgré la différence de régime politique. Paris et Pékin ont ainsi pu défendre tous deux leur droit à développer une force nucléaire autonome en refusant d’adhérer au traité de 1963 sur l’arrêt des tests nucléaires et en ne ratifiant le Traité de Non-prolifération (TNP) de 1968 qu’en 1992.
Pourtant, au-delà de cette convergence ponctuelle d’intérêts diplomatiques, on peut déceler une fascination plus profonde vis-à-vis de la Chine de la part des élites française, une fascination qui pourrait expliquer le succès d’affichage de cette relation particulière qui flatte notre égo national.
Une relation alimentée par le mythe de la « Chine éternelle » et la fascination exercée par Mao
En janvier 1964, la décision de de Gaulle était motivée par ce qu’il avait deviné de l’équilibre futur des relations internationales. Il avait ainsi déclaré en Conseil des Ministre : « La Chine est une énorme chose, elle est là, elle existe. Vivre comme si elle n’existait pas, c’est irréaliste […]. Ce qui est sûr, c’est qu’un jour ou l’autre, la Chine sera une grande réalité politique, économique et même militaire »2. Pourtant, au-delà des calculs froids de la géopolitique, cette décision était aussi probablement motivée par une certaine conception plus romantique de la « Chine éternelle ». Le Général percevait la Chine comme « un Etat plus ancien que l’Histoire, constamment résolu à l’indépendance, s’efforçant sans relâche à la centralisation […] mais conscient et orgueilleux d’une immuable pérennité, telle est la Chine de toujours »3.
De Gaulle n’a pas été le seul homme d’État français fasciné par la Chine, qu’il s’agisse de son Empire multimillénaire ou de sa révolution communiste. Si le maoïsme était à la mode dans les années 1970, la fascination pour le grand timonier s’est étendue bien au-delà des cercles étudiants. De retour d’un voyage en Chine en 1964, François Mitterrand qualifiait Mao « d’humaniste »4. La droite n’étant pas en reste, comme l’a prouvé l’apologie écrite par le Président Valéry Giscard d’Estaing en 1976 où il qualifiait le Président chinois de « phare de l’humanité ».
Cette fascination intellectuelle pour la Chine de la part de l’intelligentsia française, couplée à une ambition messianique universaliste, n’est pas nouvelle et a pu desservir la France par le passé. Ainsi, alors que les Britanniques négociaient la cession de l’île de Hong-Kong en 1842 pour développer ses activités commerciales en Extrême-Orient, la France se voyait octroyer le statut de protecteur du catholicisme.5 Cette ambition missionnaire de la France a pu être bénéfique pour la sinologie mais les avantages qu’elle en a retiré en termes économiques ou d’influence culturelle ont été moins évidents.
L’attitude de la France vis-à-vis de la Chine a donc pu, par le passé, manquer de rationalité et notre pays peiner à défendre son intérêt bien compris.
Qu’attend la Chine de la France ?
Dans son ouvrage L’Inertie de l’Histoire paru en 20136, Yuan Xuetong, l’influent directeur du département de Relations internationales de l’Université Tsinghua à Pékin, explique que la part de PIB de la France dans l’économie mondiale ne cesse de diminuer mais que Paris entend plus que jamais déployer une diplomatie internationale ambitieuse et indépendante pour « défendre son rang ». Il indique ainsi que l’ambition gaulliste de la France peut servir la Chine dans sa compétition avec les Etats-Unis en apportant un certain équilibre et une légitimité au duopole sino américain. Pourtant, Yuan Xuetong exprime clairement que si la France n’entretient aucun contentieux majeur avec son pays, « elle peut difficilement être qualifiée de partenaire stratégique de la Chine »7. En effet, les Etats-Unis, le Japon ou la Russie sont des partenaires autrement plus importants que la France pour l’Empire du Milieu.
La Chine peut encore chercher le soutien français sur certaines questions diplomatiques, Xi Jinping avait ainsi appelé le Président français à jouer un rôle modérateur dans la crise nord-coréenne. Dans ce cas, Pékin cherche avant tout le soutien français pour faire contrepoids aux Etats-Unis. Sur des questions plus concrètes, la Chine peut également chercher l’appui de la France dans des domaines où elle ne peut obtenir l’aide de Washington. Un exemple : voulant se doter d’un laboratoire pour l’étude des agents hautement pathogènes (laboratoire P4) la Chine s’est tournée vers la France car les Etats-Unis craignaient qu’un tel outil ne soit utilisé pour développer des armes biologiques. C’est également la France qui, en 2003, avait été à l’initiative - n’ayant pas abouti - d’une discussion sur l’abolition de l’embargo sur les armes imposé à Pékin par l’Union européenne depuis la répression de 1989.
Cependant, les relations commerciales entre les deux pays sont plus que jamais déséquilibrées et à l’exception de quelques gros contrats, les entreprises françaises peinent encore à accéder au marché de l’Empire du Milieu. La part des exportations françaises dans le commerce chinois se situant toujours loin derrière l’Allemagne mais également derrière le Royaume-Uni, à un niveau équivalent à celui de la Suisse.
Avion Boeing décoré pour le cinquantenaire des relations franco-chinoises (c) Henry Li et Roy Luo.
La France, avec l’Europe, pourrait mener une diplomatie plus pragmatique et plus ambitieuse
Dans un contexte d’affaiblissement du leadership américain, la France et la Chine ont tout intérêt à continuer à collaborer sur certains dossiers. Les deux pays peuvent s’entendre pour défendre le multilatéralisme, notamment sur les questions climatiques, ou encore coopérer en Syrie. Cependant, sur des dossiers comme celui de la Corée du Nord, la France ne doit pas se faire d’illusion quant au pouvoir d’influence qu’elle peut exercer sur la Chine. Le danger étant que la « face » donnée à la France par la Chine dans les discussions diplomatiques fasse oublier les véritables enjeux de la relation France-Chine, qui sont avant tout économiques.
Les entreprises françaises et européennes ont pu trouver d’importants débouchés en Chine dans l’industrie nucléaire civile ou l’aéronautique. Dans ces domaines l’ouverture relative de la Chine peut s’expliquer par sa volonté de développer ses propres industries nationales à partir de la technologie étrangère. A ce titre, la visite d’Emmanuel Macron en Chine pourrait accélérer les négociations sur un projet de construction d’une usine de retraitement de déchets radioactifs, ou permettre la signature de contrats pour plusieurs dizaines d’avions Airbus. Cependant l’appui du Président reste très ponctuel, les négociations pour l’usine de retraitement étant par exemple engagées depuis plus de 10 ans.
Il y a bien sûr des sujets économiques où les relations bilatérales sont importantes, par exemple dans le domaine des villes durables, du tourismes ou de l’industrie du luxe. Pour aborder ces questions, un Dialogue économique franco-chinois de haut niveau a été mis en place depuis 2013. Lors de la dernière édition qui s’est tenue entre le 30 novembre et le 1er décembre 2017, la Chine a évoqué la possibilité d’augmenter ses quotas pour l’importation de viandes de porc et de bœuf, de produits high-tech ou encore de lait en poudre pour enfants. Pourtant au-delà des annonces, les avancées sont modestes. Ce type de discussion bilatérale atteint rapidement ses limites tant la Chine est plus que jamais réticente à ouvrir son économie et défend sa position de négociation en s’appuyant sur la force de son marché intérieur.
Cheval-dragon construit à l'occasion du cinquantenaire des relations France-Chine (c) Ltoinel.
Pour véritablement peser dans les négociations commerciales, la France ne peut donc pas se contenter d’un tête-à-tête avec la Chine. Seule, elle ne peut pas exiger la réciprocité de la Chine dans l’ouverture de son économie nationale, éviter la pratique du dumping ou lever les restrictions aux importations étrangères. Ces négociations stratégiques ne pourront aboutir que si elles sont portées au niveau européen. Pour ce faire, la France peut avoir un rôle à jouer sur la scène européenne et contribuer à rééquilibrer les relations économiques de l’Union avec la Chine. Le contexte est favorable : depuis quelques mois la position de l’Allemagne vis-à-vis de la Chine tend à se durcir8, et la Chancelière, absorbée dans une crise politique interne, pourra difficilement jouer le rôle de leader qui lui incombe habituellement.
Cette visite d’Etat sera peut-être pour le Président Macron l’occasion de jouer la carte européenne en mettant en œuvre son ambition de faire l’Europe « une puissance économique, sociale, écologique et scientifique qui pourra faire face à la Chine, aux Etats-Unis »9.
1 Formellement, le Royaume-Uni avait reconnu le régime communiste dès 1950 mais n’y avait pas envoyé d’ambassadeur et n’avait cessé pour autant ses relations officielles avec Taïwan. Cette reconnaissance de la Chine communiste, ambiguë, n’avait dès lors pas véritablement permis à la Chine de se sentir partie prenante de la communauté internationale.
2 Déclaration au Conseil des Ministres du 8 janvier 1964. Cité dans La France en Chine, Bernard Brizay, Perrin, 2013, p 488.
3 Paroles prononcées lors de la conférence de presse donnée par le Général de Gaulle le 31 janvier 1964 pour justifier la reconnaissance par la France de la République populaire de Chine.
4 « Mao est un humaniste. Mais cet humaniste-là, qui mène une révolution conquérante depuis plus de trente ans (...) qui accepte les devoirs d'un militant et qui se soumet aux disciples formelles, échappe aux définitions ordinaires ». François Mitterrand, La Chine au défi (p. 28), René Julliard Ed., Paris, 1961.
5 Une convention additionnelle au Traité de Whampoa de 1844 consacre la France comme protectrice des missionnaires catholiques en Chine.
6 L’Inertie de l’Histoire( 历史的惯性), Yuan Xuetong, China Citic Press, pp. 211-212, 2013.
7 « 法国难以成为中国真正的战略合作伙伴 », op. cit. p. 212.
8 Klaus Larres, « China and Germany: The Honeymoon Is Over», The Diplomat,16 novembre 2016 : https://thediplomat.com/2016/11/china-and-gemany-the-honeymoon-is-over/
9 Extrait des vœux d’Emmanuel Macron prononcés le 31 décembre 2017.
Légende de la photo en bandeau : Emmanuel Macron lors du Sommet économique franco-chinois de 2015 de Toulouse (c) Pablo Tupin-Noriega.
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