La pandémie de la Covid-19 a dans un premier temps ravivé les fractures au sein de l’Union européenne, alors que les tentatives de repli et le manque de solidarité ont exacerbé les insuffisances et les contradictions. Avant les projets de plan de relance européen à la fin du printemps 2020. Dans son environnement extérieur, l'UE doit par ailleurs faire face à une relation atlantique qui s’effiloche et une affirmation toujours croissante de la puissance chinoise. Alors que l’Organisation des Nations unies fête cette année ses 75 ans, et avec elle l’ordre mondial né de la Seconde Guerre mondiale, les équilibres évoluent. La nouvelle Commission européenne se voulait « géopolitique » à son entrée en fonction en décembre 2019. Quels sont le rôle, les ambitions et les moyens de l’UE dans le nouvel ordre international ? Comment utiliser ses atouts et pallier ses faiblesses pour affronter collectivement les défis à relever pour s’affirmer comme puissance internationale ?
L’Union européenne, un récit fondé sur des valeurs communes
« L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités » : l’article 2 du traité sur l’UE fixe les valeurs fondamentales promues en son sein, et dans tous les domaines.
C’est donc également le cas au plan économique, au sein d’un grand marché intérieur de 450 millions d’habitants et autant de consommateurs potentiels, fondé sur l’économie sociale de marché. Cette dernière est construite sur les traditions d’Etat-Providence de ses Etats membres. L’ordo-libéralisme qu’elle met en œuvre, notamment en favorisant la libre concurrence, doit profiter aux consommateurs. Au-delà des différences entre ses Etats membres, l’UE se distingue nettement des autres régions du monde par la forte articulation entre économie de marché et cohésion sociale, et de moindres niveaux d’inégalités.
Ces valeurs, l’Union européenne entend également les promouvoir sur la scène internationale, dans une approche inclusive et complémentaire au regard des organisations internationales. Son attachement particulier aux droits de l’homme, aux problématiques sociales ou à l’action pour le climat s’expriment aussi dans le cadre de son action extérieure. Ainsi, l’UE reste le premier contributeur au monde en matière d’aide au développement. Elle entend également conditionner la signature d’accords commerciaux au respect de l’environnement, pierre d’achoppement notamment avec le Mercosur.
Au plan régional, le Haut-Représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana, énonçait dans sa stratégie de sécurité pour l’UE de 2003 son intention d’entourer l’UE d’un « cercle de bonne gouvernance », garant de la stabilité de ses marges.
Sur le plan de la défense, l’UE reste fortement liée à son partenaire transatlantique dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord - Otan, en l’absence d’une armée européenne, d’une doctrine commune, et d’une institution de défense européenne capable de défendre l’Union. C’est donc au sein de l’Otan que cette dernière assure avant tout sa sécurité et la défense de son territoire, tout en mettant l’accent dans le cadre de ses actions extérieures sur les opérations civiles et sur la sécurité humaine. Depuis 1992, les Etats membres se sont ainsi mis d’accord sur les missions à mener en commun en matière de sécurité, autour des missions de Petersberg : la prévention des conflits, la gestion de crise, l’action humanitaire et les actions de maintien de paix.
Dans ce cadre, en tant que puissance avant tout commerciale et économique, l’UE fonde sa stratégie d’influence sur le « soft power ». Elle se distingue des autres grandes puissances, Etats-Unis, Chine ou Russie, par sa conviction qu’un multilatéralisme inclusif est essentiel pour répondre aux défis actuels - alors que les Etats-Unis de Donald Trump cherchent à remettre en cause le système multilatéral de 1945. Mais également par l’importance que l’UE attache aux valeurs, conditions de la coopération, au contraire de la Chine, moins attentive aux enjeux des droits de l’homme critiqués comme des valeurs occidentales. Ou encore par son attachement au lien transatlantique, malgré les soubresauts de cette relation.
L’UE entend ainsi fonder son action sur un récit cohérent, construit sur ses valeurs fondamentales, qu’elle entend promouvoir en son sein comme sur la scène internationale. Au-delà des mots, c’est la capacité de confrontation de l’UE au réel qui est en jeu, face aux contestations et critiques internes, comme face aux nouveaux défis nés ou exacerbés par la pandémie de la Covid-19.
Renforcer les atouts européens pour asseoir la puissance de l’UE
Constituée d’Etats aux traditions, cultures et visions stratégiques diverses, faire converger les intérêts au sein de l’UE constitue un défi de taille. Pour le relever, les pères fondateurs se sont concentrés sur la construction du marché commun et le développement des échanges commerciaux, sur les « solidarité[s] de fait ».
Au-delà des enjeux économiques, l’éloignement des citoyens vis-à-vis du projet européen constitue un défi de taille. La répartition complexe des compétences entre échelles politiques, de la commune à l’UE en passant par l'État membre, nourrit l’image d’une Europe impuissante, et renforce la perte de sens du projet politique européen. Aussi, les crises répétées minent la confiance : crise politique et démocratique avec l’échec du traité établissant une constitution pour l'Europe en 2005, crise financière grecque puis des dettes souveraines à partir de 2008-2010, crise migratoire à partir du milieu des années 2010, crise du Brexit depuis 2016 et plus récemment crise sanitaire. L’UE ne paraît pas à la hauteur des attentes et des besoins. De manière paradoxale, ces périodes de crises soulignent en réalité les fortes attentes, croissantes, des citoyens envers l’UE.
Pour consolider l’UE, d’aucuns appellent à un approfondissement politique, que la crise sanitaire pourrait catalyser. Convergence, résilience, transformation seront les mots clés des prochaines années : le Conseil européen des 16 et 17 juillet 2020 a permis d’acter un plan de relance historique par son ampleur et ses outils, à confirmer à travers un accord sur le budget de l’UE pour 2021-2027.
Prototype politique, l’UE est en ajustement permanent, malgré et à travers les crises. Sa dynamique repose sur la volonté, plus ou moins affirmée, de ses Etats membres et de ses citoyens. Les lignes de fracture, de dissensions, peuvent ainsi évoluer, d’un classique schéma sud-nord et est-ouest à un schéma plus complexe illustré notamment par le rapprochement franco-allemand sur des instruments de dette commune. Les autres puissances internationales peuvent ainsi être tentées d’adopter la stratégie du « diviser pour mieux régner ». Lors de la crise de la Covid-19 au printemps 2020, la Chine a voulu se positionner comme puissance généreuse à travers la « diplomatie du masque », tandis que le Royaume-Uni peut être tenté de chercher à diviser les Etats membres dans les négociations sur le Brexit. Favoriser la cohésion, politique comme économique et sociale, constitue sans doute un des plus grands défis de l’UE : de la réalité de divergence à l’intention de convergence, et aux actes.
Face aux nouvelles incertitudes internationales, la Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen, entend se repositionner au sein de son environnement et assumer pleinement la dimension géopolitique de l’Union. Fervente militante du multilatéralisme, l’UE devra s’appuyer sur de nouveaux partenaires au sein du système international, dans une approche fondée sur le respect des règles et des valeurs. La Chine, éloignée sur de nombreux sujets, peut constituer un partenaire sur des sujets spécifiques, comme le climat. L’UE entend également renforcer sa coopération avec les pays africains : c’est auprès de l’Union africaine qu’Ursula von der Leyen a effectué son premier déplacement international en décembre 2019. Le sommet UE-Afrique du 9 décembre 2020 doit constituer un temps fort dans le renforcement de cette coopération. Les Etats membres entendent par ailleurs faire vivre les accords internationaux : l’initiative E3 portée par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne entend ainsi faire respecter l’accord sur le nucléaire iranien.
Pour porter ces ambitions, l’UE doit encore affirmer son poids économique, alors que la crise de la Covid-19 au printemps 2020 a mis en lumière la fragilité de son économie et une dépendance dans des domaines clés. La réflexion sur la protection des secteurs stratégiques est à l’ordre du jour. Flexibilisation des aides d’Etats aux actifs stratégiques européens, mise en place d’un système de contrôle des investissements étrangers le 11 octobre 2020, appels à créer et protéger des « champions européens » et accroître notre autonomie industrielle… Les projets de coopération industrielle en matière d’hydrogène, de construction d’une filière européenne de batteries électriques, ou de défense, illustrent la volonté de converger à travers des initiatives concrètes. Pendant la crise, les Etats membres ont démontré leur cohésion et les institutions européennes leur capacité à coordonner les actions dans la mise à disposition de moyens. Et ceci à un rythme beaucoup plus rapide que lors des crises économiques de la fin des années 2000 et du début des années 2010.
Pour construire une Europe puissante, capable de mettre en œuvre ses valeurs comme de les promouvoir à l’échelle internationale, la coordination et la convergence sont des prérequis. Si elle se trouve au milieu du gué, l’Europe sait souvent sortir renforcée des crises : une construction inclusive, toujours en mouvement. Ce réveil doit devenir pleine réalité : l’enjeu est bien celui de la place de l’UE sur la scène internationale. Évitons, comme Dominique Moïsi le craignait en 2006, de devenir « un lieu à visiter avec nostalgie pour son glorieux passé et présentant quelques ressemblances avec un musée ».