Le Sommet social de Porto s’est tenu les 7 et 8 mai 2021 sous la Présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne (UE). Les échanges ont porté sur la mise en œuvre d’un socle européen des droits sociaux. Le sommet a réuni les acteurs concernés par le dispositif ainsi que les vingt-sept chefs d’État et de Gouvernement.
Trois ans après la présentation du Socle européen des droits sociaux, la dimension sociale de l’Europe reste à construire. Les droits sociaux s’appuient sur vingt principes clés pour mieux faire respecter les droits des citoyens. L’UE a décliné des objectifs dans un plan d’action jusqu’en 2030.
À l’heure où la crise sanitaire de la covid-19 - et la coopération fragile entre les États pour y faire face - éloigne les citoyens de la croyance en un projet européen, il importe de revigorer les valeurs de l’Europe : la paix, la solidarité et le bien-être des citoyens.
Aux perturbations permanentes propres à l’évolution du projet européen s’ajoutent les diverses crises conjoncturelles sur l’emploi et la protection sociale générées par la pandémie. Elles nécessitent des réponses sociales en complément des coopérations renforcées entre États pour donner vie à des projets fédérateurs.
Les États européens ne sont pas en mesure de maîtriser seuls ce monde en mutation. Le projet européen reste en constante construction par ces crises induites. Seul un avenir commun basé sur une Europe sociale donnera aux citoyens des raisons d’y croire. C’est la capacité des États à faire face ensemble à la crise du covid-19.
Une Union européenne bousculée par de multiples crises
Le projet politique porté par l’UE est celui d’un système institutionnel régi par une séparation des pouvoirs, et notamment une justice indépendante. À ce titre, l’UE a dû sanctionner la Pologne en décembre 2017. À L’origine de cette mesure se trouvent des réformes de la magistrature polonaise réduisant son indépendance des pouvoirs législatif et exécutif. L’impartialité dans l’application des normes de droit est une caractéristique du régime démocratique. La crise de la démocratie polonaise - et aujourd’hui hongroise - met à l’épreuve le système des valeurs sur lequel s’érige le projet européen.
Dans le domaine économique, des mesures monétaires non conventionnelles ont été conduites en Europe pour assainir les effets de la crise de bulles de crédit de 2007-2008. Si elles ont contribué à restaurer la confiance en marquant de façon forte l’engagement des autorités monétaires à préserver l’avenir de la zone euro, la crise induite des dettes souveraines a érodé la cohésion sociale. Les politiques purement financières ont affaibli les classes moyennes et marginalisé davantage les plus exclus en Europe. Elles sont allées à l’encontre du projet initial fraternel de bien-être collectif.
La crise migratoire est également un enjeu de crise pour l’Union. En 2015, l’Europe a su se mettre en guerre contre un ennemi qu’elle s’est inventé. Elle a vécu une crise d’accueil des personnes fuyant des sévices et des régimes non démocratiques. Ce manque de coopération entre États s’est matérialisé par un refus de répartition des quotas de ces personnes arrivant sur le sol européen, en application d’un mécanisme respectant le droit européen.
Enfin, une crise de confiance semble s’ancrer en Europe. Les rapports entre les institutions et les citoyens continuent à se chercher. Nul doute que la citoyenneté européenne a besoin d’un renouveau. Celui-ci passe par une véritable participation citoyenne à la Conférence sur l’avenir de l’Europe, fort enjeu des années 2021 et 2022.
Sans l’expression des attentes des citoyens de l’Europe, le projet ne pourra pas progresser et risque d’être mis à mal par des crises à répétition et des prises de pouvoir de mouvements populistes, mauvaises réponses à l’inquiétude des citoyens sur leur bien-être futur.
La résilience européenne s’est toutefois manifestée à l’aune des réponses à ces diverses crises
La crise du système financier a tout d’abord démontré que les acteurs ont valorisé impunément leurs intérêts particuliers au détriment du bien-être collectif. L’Union européenne a tiré des leçons des dommages générés : un ensemble de régulations a été conçu par les institutions visant la stabilité financière et la non-fragmentation de la zone euro.
Sur le plan judiciaire, les sanctions à l’encontre de la Pologne et la Hongrie, provoquées par les réformes de leurs systèmes judiciaires entrent dans une procédure particulière prévue à l’article 7 du Traité de l’UE qui a été activée.
Concernant la question des expatriés, la sortie du Royaume-Uni de l’UE a motivé une position commune des 27 États pour défendre le sort de ces résidents désormais étrangers. À titre d’exemple, les citoyens de l’UE au Royaume-Uni et les citoyens britanniques dans l’UE gardent leurs prestations sociales acquises avant le retrait. Cette mesure vise à préserver les droits aux prestations de sécurité sociale fondés sur l’assurance, l’emploi ou la résidence et acquis avant le retrait du Royaume-Uni de l’UE.
Dans le domaine de la cohésion sociale, c’est à Göteborg en novembre 2018, que Jean-Claude Juncker et Marianne Thyssen ont conforté le fait que l’Europe ne peut pas continuer à se construire sans dimension sociale. En portant la déclaration signée par les chefs d’État, l’Europe reconnaît que sans cette dimension sociale, elle risquait de s’éloigner des citoyens et de perdre leur adhésion.
Ainsi, les questions relatives à la protection sociale des citoyens ont été intégrées au socle commun des droits sociaux. Sur ce socle commun basé sur vingt principes, les États se sont engagés à déployer des indicateurs dans chaque pays membre afin de converger et d’atteindre des objectifs ambitieux à l’horizon 2030.
En parallèle, les notions telles que la protection sociale, l’économie sociale et solidaire ou encore la question d’une Europe plus inclusive se trouvent dans de nombreux documents de travail, directives et rapports de la Commission Jean-Claude Juncker. La reconnaissance du tissu associatif européen renforce cette dynamique attentive à la dimension de cohésion sociale et implique les citoyens dans une perspective d’inclusion. En revanche, si l’inclusion sociale a été étudiée par la commission Juncker, elle reste inachevée tant sur le plan de sa lisibilité que sur l’efficacité et la pérennité des outils encourageant une Europe plus sociale.
Avec la crise du Covid-19 et l’accélération des transformations numérique et écologique, les risques de précarité de l’emploi, ainsi les défis en matière de formation continue, de santé, de garde d’enfants de qualité menacent de s’accentuer.
L’Union politique fait toutefois preuve de résilience en adaptant les réponses qu’elle donne aux crises. Actuellement, les réponses aux problématiques sociales générées par des pandémies sur la santé encouragent des coopérations plus étroites entre les États.
L’ « Europe sociale » permettrait aux citoyens de l’Union de croire à nouveau au projet européen
Le projet européen a été malmené par les crises sanitaires et les transformations numériques et écologiques. Le chemin poursuivi par l’UE a permis de garantir la paix et de favoriser les échanges. Mais il a été semé d’embûches et a été sujet à de constantes transformations. Les raisons de croire en un avenir commun - mis à mal au sein de l’Union - passent par la construction de l’équilibre social européen, produisant une Europe sociale.
En 2014, la Commissaire Marianne Thyssen indiquait poursuivre deux objectifs pour la politique sociale : d’une part, « favoriser la création d’emplois et améliorer la protection sociale », d’autre part « lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ».
Depuis, le socle européen des droits sociaux constitue les prémices d’une Europe plus sociale. Cependant des interrogations demeurent quant à la lente déclinaison opérationnelle en contexte de crise sanitaire. Une protection sociale convergente ainsi qu’une directive des travailleurs détachés, revisitée en 2018, illustrent concrètement ce qu’une Europe inclusive peut apporter aux citoyens. Ces deux exemples, l’un impulsé par la Commission et l’autre par le Parlement, vont dans le sens d’une protection accrue des citoyens. L’exclusion sociale due aux inégalités ambiantes catalysées par la crise de la Covid-19 — perçues ou réelles — devient désormais une préoccupation permanente et à part entière de l’Union européenne.
Le socle des droits sociaux installé, le moment est venu en 2021 de mettre en œuvre des actions pour concrétiser les vingt principes qu’il porte. Une première expérimentation réussie peut être la création d’un fonds à hauteur de 100 Md€ pour contribuer au financement de l’emploi auprès des États en difficulté qui en font la demande (pour faire face au chômage partiel et éviter une crise de l’emploi).
Si plus de convergence est nécessaire sur certains domaines, l’articulation reste à trouver entre le niveau national et européen. Puisque chaque État dispose de son propre système social, le défi du plan de relance sera d’encourager le partenariat social, et la négociation avec les acteurs sociaux pour faire avancer les transformations économiques, ainsi que les défis structurels : vieillissement de la population, numérisation, travailleurs de plateformes sans protection sociale.
Par ailleurs, une politique transversale gagnerait être consacrée aux projets des associations, chantiers d’insertion, coopératives, mutuelles en lien avec les institutions financières en faveur de l’économie sociale et solidaire. Leur financement pluriannuel serait ainsi sécurisé pour favoriser la création d’emplois et de cohésion sociale.
La consultation lancée par la Commission, qui a pris fin le 26 avril dernier, montre que cette recommandation fait le plus consensus parmi les contributions des associations au plan d'économie sociale. Face aux crises récentes, les organisations de l'économie sociale ont démontré une remarquable capacité à contribuer au renforcement et à la construction de communautés résilientes et à la gestion de transitions majeures.
L'économie sociale englobe une variété d'entreprises, d'organisations et de formes juridiques. Elles partagent l'objectif de donner la priorité aux personnes et d'avoir un impact positif sur les communautés locales. Le modèle économique de l'économie sociale vise à réinvestir la majeure partie des bénéfices dans l'organisation et/ou dans une cause sociale, et à adopter une forme de gouvernance démocratique.
La "Déclaration de Mannheim sur l'économie sociale" propose des mesures concrètes pour libérer tout le potentiel de l'économie sociale dans l'UE. Parmi les 10 mesures proposées fin mai 2021, la Commission est invitée à travailler à travers différents domaines politiques afin de développer des actions adéquates pour stimuler le développement du secteur.
Ce sont ces organisations, miroir d’une diversité européenne, terroir de participation citoyenne et de création d’emplois et d’intégration sur le marché du travail qui peuvent revigorer le projet européen. La solidarité et l’altérité qui façonnent les actions de ces associations sont dignes d’intérêt, car elles apportent une plus-value au vivre ensemble. L’avenir du projet européen passera par le rassemblement des demandes des citoyens, ce qui les rapprochera. L’année 2021 est une année charnière.
Une Europe plus sociale, miroir de la diversité européenne, peut devenir un levier pour façonner les politiques européennes au service de l’intérêt général. Mais pour cela, elle doit :
- Redonner au rêve européen des valeurs de solidarité, de bien-être collectif et de respect de la dignité de chaque homme sur cette terre est possible
- Réparer les liens sociaux et recomposer l’équilibre social en Europe qui fait masse contre l’europhobie et l’euroscepticisme.
La Conférence sur l’avenir de l’Europe jouera un rôle central puisqu’elle concentrera les contributions des citoyens sur neuf thèmes, dont la santé, le climat, les valeurs fondamentales ou encore l’UE dans le monde. Le lancement de la conférence ayant eu lieu le 9 mai dernier, la première séance plénière est quant à elle prévue le 19 juin, deux jours après un événement à l'intention des citoyens européens. Les premières conclusions politiques sont attendues au printemps 2022 lors de la Présidence française du Conseil de l’UE. Du travail de synthèse à l’horizon.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Gabriela Martin, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille principalement sur les enjeux de l'Europe sociale, et les relations entre l'Union Européenne et l'Amérique latine.