Les États de l’Asie-Pacifique, notamment l’Australie, la Corée du Sud, le Japon, Taïwan, et la Nouvelle-Zélande expriment leurs inquiétudes face à la menace chinoise perçue directement hors de leurs frontières. Le 2 décembre 2020, les ministres des affaires étrangères de l’OTAN se sont réunis, virtuellement, pour discuter de la menace chinoise avec leurs homologues australiens, japonais, néo-zélandais et sud-coréens. Suite à la réunion, Jens Stoltenberg a déclaré que « bien qu’elle représente un défi, la Chine n’est pas notre adversaire », notant également que « sa montée représente une opportunité pour nos économies et notre commerce ». Évidemment, les mots de Stoltenberg sont là pour rassurer les États de l’Asie-Pacifique, et son idée principale suppose, qu’actuellement, c’est davantage la Chine qui se rapproche de l’Europe que l’OTAN qui se rapproche de la Chine dans le Pacifique. Malgré cela, il est possible que le centre de gravité de l’OTAN évolue vers l’Asie-Pacifique dans les prochaines années.
Vers un rééquilibrage de l’Alliance en Asie-Pacifique ?
Cette évolution de la place de l’OTAN dans le monde va, à terme, poser la question suivante : jusqu’où l’Alliance peut-elle s’étendre et intervenir ? Le facteur chinois pourrait-il pousser l’Alliance à se globaliser ? La réponse à cette question a toutefois déjà été apportée après la fin de la Guerre froide et au milieu des années 2000 alors que l’OTAN étendait son programme de partenariats pour la paix, ouvrait le Dialogue méditerranéen (1994) et l’Initiative de coopération d'Istanbul (2004). Durant cette période, l’objectif était d’utiliser l’OTAN comme moyen de lutte contre le terrorisme global suite au déclenchement de l’article 5 après les attentats du 11 septembre 2001. Aussi, dans leur National Security Strategy de 2002, les États-Unis arguaient que « l’OTAN doit pouvoir agir partout où les intérêts des États-Unis sont menacés ». Cette globalisation de l’Alliance se matérialisa donc par la création de la Force internationale d'assistance et de sécurité en Afghanistan (2001-2014), ou par l’opération de contre piraterie, Ocean Shield (2009), au large de la corne de l’Afrique ou encore par l’intervention en Libye (2011). En procédant à ce premier rééquilibrage, et en l’absence du contrepoids soviétique, l’OTAN montrait qu’il était possible d’étendre ses compétences hors de l’espace géographique strictement transatlantique, et les États-Unis pouvaient répondre aux menaces contre leurs intérêts. Par conséquent, si la rivalité sino-américaine évolue en nouvelle Guerre froide, il semble probable que les missions de l’Alliance soient étendues vers l’Asie-Pacifique comme ce fut le cas pour le Moyen-Orient après 2001.
Le rééquilibrage de l’Alliance vers l’Asie-Pacifique est d’abord une volonté des États-Unis qui, en tant que premier contributeur aux dépenses de l’OTAN, cherchent à faire coïncider les orientations de l’Alliance avec la défense de leurs intérêts. À côté de cela, rappelons également que les États-Unis ont un ancrage et des liens historiques avec le Pacifique. Le Pacific Command (PACOM), est le commandement interarmées des Forces armées des États-Unis le plus puissant parmi les onze autres Unified Combatant Command. Les États-Unis sont et restent donc la seule véritable superpuissance pacifique de l’OTAN.
À l’époque de la Guerre froide, l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE), créée en 1954, faisait office « d’OTAN pour le Pacifique » et avait pour objectif de bloquer la progression du communisme dans cette région. Est-il possible d’imaginer la reconstitution d’une organisation analogue pour contrer les ambitions de la Chine ? C’est l’idée que le Secrétaire d’État adjoint, Stephen Biegun, semblait esquisser en août 2020 lors du forum stratégique entre les États-Unis et l’Inde : « La zone Indo-Pacifique manque de structures multilatérales fortes avec la force d'âme de l’OTAN ou de l'Union européenne […] une nouvelle institution qui reflète nos intérêts et valeurs communs dans la zone Indo-Pacifique serait un grand accomplissement. […] Se joindre à un tel effort serait une décision facile d'un point de vue américain ». Néanmoins, l’extension ou la création d’une organisation semblable à l’OTAN connaîtrait-elle le même succès ? En effet, à la différence de l’Union soviétique, la Chine n’exporte pas son idéologie sur le plan mondial. La Chine est avant tout motivée par la quête de s’établir en puissance commerciale globale et de retrouver sa grandeur impériale dans sa propre région.
Au delà de la projection, une coopération approfondie avec les États du Pacifique
En conséquence, si la création ou l’extension de l’OTAN vers l’Asie reste relativement chimérique, on peut cependant imaginer un approfondissement de la coopération de l’Alliance avec les États du Pacifique. C’est ce que notait J. Stoltenberg, lors du sommet de Londres : « À l'horizon 2030, nous devons travailler encore plus étroitement avec des pays partageant les mêmes idées, comme l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud, pour défendre les règles et les institutions mondiales qui assurent notre sécurité depuis des décennies, pour établir des normes et des standards dans l'espace et le cyberespace, sur les nouvelles technologies et la maîtrise des armements au niveau mondial ».
Ces propos résonnent dans la continuité de la stratégie de l’Alliance en Asie-Pacifique, à savoir : forger des relations avec les États démocratiques clés de la région. L'OTAN a établi des partenariats mondiaux avec la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et la Mongolie en 2012, l'Australie en 2013 et le Japon en 2014. Ces relations sont essentiellement consultatives, mais la plupart de ces partenaires ont contribué aux missions de l'OTAN, notamment en Afghanistan. Une note stratégique de l’Atlantic Council, think tank atlantiste, rédigée par Ian Brzezinski propose plusieurs idées pour coordonner l’action de l’OTAN dans le Pacifique. Selon lui, il faudrait tout d’abord établir un « NATO-China Council », à la manière du « NATO-Russia Council » établi en 1997 dans le but de répondre à l’influence de la Chine et à la compétition des puissances en établissant une dimension plus globale à la rivalité sino-américaine qui deviendrait une rivalité « Communauté transatlantique-Chine ». Ensuite, il propose d’approfondir les liens déjà existants avec les États de l’Asie-Pacifique (Australie, Corée du Sud, Japon, Mongolie, Nouvelle-Zélande) en augmentant le nombre d’exercices (air, terre, mer) sous pavillon militaire de l’OTAN. Enfin, il recommande d’établir un petit quartier militaire en Asie-Pacifique, une sorte de Center of Excellence (COE), afin d’augmenter la présence de l’OTAN dans la région et de former les officiers des pays associés.
Alors que les alliés de l’OTAN ont convenu que la Chine posait un nouveau défi à l’Alliance, ils n’ont pas encore trouvé de consensus sur la manière de l’aborder. La stratégie de l’OTAN à l’égard de la Chine est d’abord motivée par les intérêts de Washington qui espèrent intégrer l’Alliance dans leur rivalité avec Pékin. Ainsi, il se peut que nous assistions à une globalisation de l'OTAN dans laquelle l'agenda de sécurité n'est plus uniquement centré sur l'Europe et l'Amérique du Nord. Un changement de vision de l'OTAN signifierait aussi une nouvelle doctrine vis-à-vis de Moscou et des activités dans l'espace post-soviétique. Le déplacement de l’OTAN vers l’est et vers le Pacifique ne signifiera pas une extension de l’Alliance aux membres de cette région avec le stationnement d’installations ou de personnel militaire permanent à travers l’Asie. En revanche, l’Alliance accordera plus d’attention aux activités chinoises et s’efforcera de renforcer les liens avec les États « able and willing » de la zone. Les orientations stratégiques des membres européens de l’OTAN pèseront aussi dans la nouvelle orientation de l’Alliance, ces derniers se retrouvent confrontés à des exigences géopolitiques différentes. Ils cherchent à continuer la coopération économique avec Pékin tout en étant conscient des risques sécuritaires que cela implique. À terme, deux évolutions sont possibles. Soit les États-Unis arrivent à convaincre les Européens qu’il est dans leurs intérêts de faire coalition face à la Chine dans le cadre de l’Alliance. Autrement, il serait possible de demander aux Européens d’assumer leur défense et leur « autonomie stratégique » sans les États-Unis si ces derniers rentraient en conflit ouvert avec la Chine.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Ronan Corcoran, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille principalement sur les problématiques de l'Arctique et de l'Europe du Nord.