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COVID – Le monde doit-il se tenir au chevet du Berceau de l’humanité ?

| Marie Chatenet

5 mai 2020

Afrique : nous parlons du deuxième continent le plus peuplé au monde après l’Asie… et du troisième au classement de la densité de population. Pourtant, c’est bien le dernier pour le nombre de nouveaux cas de coronavirus.

Le berceau de l’humanité compte aujourd’hui plus de 1,2 milliards d’habitants, mais moins de 45 000 malades déclarés au 4 mai, soit environ 1 % du total mondial. Comment interpréter ce frappant décalage à l’heure où les clefs de compréhension scientifique du virus se font toujours attendre ?

Comme partout dans le monde, l’Afrique ne peut s’appuyer que sur des conjectures des épidémiologistes pour gérer la crise. Pourtant, le continent s’illustre par les chiffres et défie les prévisions.

Plusieurs hypothèses ont été formulé à haute voix pour expliquer l’exception africaine : jeune âge de la population, lacunes dans le système de comptabilisation, mobilité intercontinentale plus faible qu’ailleurs, possibilité de prendre des mesures en amont du fait de l’arrivée tardive du virus sur le continent, effet protecteur du traitement de la malaria ou du vaccin du BCG… Les hypothèses ne manquent pas. Et pourtant la question subsiste : l’Afrique s’en sortira-t-elle durablement mieux dans la pandémie ?

Peut-on parler d’une exception africaine ?

À première vue les problématiques liées, en Afrique, au coronavirus, sont les mêmes qu’ailleurs : sa contagiosité fait sa dangerosité ; et de sa létalité naît la crainte. Et comme partout ailleurs, l’accès aux équipements médicaux est difficile. La fermeture des frontières et les mesures de confinement ralentissent la production et le commerce mondial et empêchent les pays de s’approvisionner en denrées médicales. De plus, la raréfaction sur la scène internationale des biens nécessaires comme les masques, les surblouses ou les respirateurs artificiels rend leur accès plus ardu encore. C’est la loi de l’offre et de la demande, et le continent africain n’y échappe pas. Pourtant, il semble relativement épargné.

Le premier élément de réponse sur lequel s’appuyer est à chercher du côté sanitaire. Les experts prévoyaient une crise sanitaire sans précédent, à partir du moment où le virus pénétrerait sur le sol africain, dû aux failles des différents systèmes de santé. Mais la réponse sanitaire choisie par l’Afrique a été continentale. Et surtout, elle a précédé la question. Le continent n’est pas étranger des épidémies. Il est même, plus qu’ailleurs, habitué à cohabiter avec le danger médical. D’Ebola à Zika, les épidémies ne sont pas inconnues en l’Afrique qui s’est, il y a plusieurs années déjà, dotée d’une politique de santé continentale. Le CDC-Afrique (Centre de prévention des maladies) en est l’institution phare, et le moteur de cette politique. Chapeautée par l’Union africaine (UA), le Centre s’est rapidement mobilisé à l’arrivée du virus sur son sol. Aussi, l’UA a convoqué le 22 février 2020 les différents ministres de la Santé du continent dans le but de mettre sur pieds une réponse collective. Conscient des lacunes que présentent leurs différents systèmes de santé, les Ministres ont choisi de réagir très rapidement.

Les épidémies et autres pandémies n’ayant pas de frontières, la solution continentale a été privilégiée. Ainsi, le continent semble pouvoir s’appuyer sur ses acquis préexistants au coronavirus : une habitude des épidémies, et une politique de santé continentale déjà existante.

En regardant le tableau dans sa globalité, l’Afrique semble prête à affronter une – nouvelle – maladie meurtrière. Mais il faut s’approcher, se pencher sur les détails pour voir apparaître les faiblesses et les failles. Et de ces failles, peuvent naître des catastrophes.

Le danger de « l’effet domino »

Certes, la réponse de l’Afrique au coronavirus est effective, véritable, énergique. Mais le danger réside dans la radicalité. Freiner toutes les priorités habituelles pour ne se concentrer que sur une seule, c’est courir le risque de voir dégénérer d’autres crises en périphérie.

Si les programmes de vaccinations contre la grippe saisonnière ou contre la rougeole – actuellement ralentis – ne reprennent pas, c’est une autre crise sanitaire qui viendra s’installer en Afrique. Si les programmes d’aide ne reprennent pas du service, c’est une famine de grande ampleur qui menace l’Afrique – notamment avec la problématique de l’invasion des criquets pèlerins en Afrique de l’Est. Si les frontières restent fermées, c’est une crise économique sans précédent qui viendra accaparer toute l’attention. Déjà, la chute du prix du baril de pétrole dû à la baisse généralisée de la demande mondiale et à la guerre pétrolière entre Moscou et Riyad fait craindre une crise économique sans précédent pour les gros exportateurs comme le Nigéria, moteur de l’Afrique de l’Ouest.

Ainsi, la crise du coronavirus a attiré l’attention du tous, des gouvernants aux gouvernés. Elle a ralenti le monde entier, et a attiré à elle tous les regards. En Afrique plus qu’ailleurs, ces effets sont démultipliés. Et si le repli est justifié, il doit rester temporaire, pour éviter au continent des crises, certes « périphériques », mais nombreuses et d’une violence encore difficilement quantifiable.

Dans la crise sanitaire, les vulnérabilités sociales et politiques s’aggravent

De même, le nécessaire repli face à la pandémie ne doit pas être l’occasion de faire naître des crises politiques.

En 2020, une quinzaine de pays devaient voir se dérouler des élections (présidentielles, législatives…). Si certains, comme le Cameroun ou le Togo ont choisi de maintenir les élections, d’autres ont joué sur la peur que le virus propage pour organiser ou annuler, des élections.

En Guinée, où des manifestations meurtrières ont lieu régulièrement pour dénoncer les choix politiques du Président en place Alpha Condé, on craint que la situation ne dégénère plus violemment encore. Cette fois, les affrontements se dérouleraient à huis-clos, ce qui est source d’inquiétude pour les observateurs, notamment depuis les élections du 22 mars ayant permis au Président de modifier la Constitution, en sa faveur.

L’ombre de crises politiques violentes planent au-dessus du continent où trois logiques s’affrontent. Certains profitent de la pandémie pour renforcer leur autorité. C’est le cas en Guinée. D’autres voient dans la crise et le nécessaire confinement l’occasion de museler l’opposition politique. C’est le cas de l’Algérie qui a arbitrairement arrêtée des leaders du Hirak. D’autres, enfin, voient dans la gestion politique de la pandémie l’occasion rêvée de redorer leur image auprès de la communauté internationale.

Si la pandémie fait passer au second plan d’autres crises, devenues périphériques, elle met toutefois l’Afrique sur le devant de la scène. Face à une crise mondiale, la réponse continentale de l’Afrique s’est érigée en exemple de ce qui pourrait être une solution multilatérale forte, coordonnée et respectueuses des particularismes.