C’était le 15 mars dernier. Devant un pays sidéré, Jair Bolsonaro est en plein bain de foule, serrant les mains de ses partisans réunis devant le Palais présidentiel, réclamant à une intervention militaire et la fermeture du Congrès. En pleine pandémie, il déclare (en référence à l’attentat dont il fut victime pendant la campagne électorale de 2018) : « Si je ne suis pas mort d’un coup de couteau, je ne vais pas mourir d’une petite grippe ».
Jair Bolsonaro pris d’une quinte de toux lors d’une manifestation contre la fin du confinement (Source : AFP)
Politiquement, la crise sanitaire s’est exprimée de différentes manières au Brésil. Jair Bolsonaro a d’abord cherché à minimiser, voire à nier, la menace que représentait le virus. Mais lorsque la situation s’est aggravée, les premières dissonances sont apparues.
Face à l’inaction du Président, les gouverneurs des États et les maires des grandes villes ont pris leurs responsabilités et ont annoncé des mesures de confinement et de distanciation sociale, en ligne avec les recommandations émises par l’OMS. Le 19 mars, l'État de Rio de Janeiro a annoncé la fermeture pour au moins deux semaines de ses plages, bars et restaurants, imité dans la foulée par l’Etat de São Paulo le 24 mars. Bruno Covas, maire de la ville, lui a emboité rapidement le pas et a décrété l'État d’urgence sanitaire dans la capitale économique du pays.
La ville de Rio placé en confinement (Source : EFE)
La réaction du président brésilien a été immédiate. Le 24 mars, alors que les chiffres officiels font état de 46 morts et 2200 personnes infectées, Bolsonaro s’adresse aux brésiliens. Il se veut rassurant, appelle ne pas céder à la panique, et annonce qu’il faut « revenir à la normalité ». Puis il ajoute : « Ce que font au Brésil certains gouverneurs et certains maires est un crime. D'autres virus ont tué beaucoup plus que cela et n’ont pas causés toute cette panique ».
Le Brésil risque certainement d’être l‘un des pays d'Amérique latine les plus impactés par le coronavirus car à la crise sanitaire vient s’ajouter une crise politique au sein du gouvernement, mais aussi au niveau des pouvoirs judiciaires et législatifs. Cette gestion sanitaire très contestée a entraîné une distanciation simultanée de plusieurs soutiens du gouvernement...
Au Brésil, les tensions politiques s'aggravent avec la crise pandémique
Au-delà des conséquences sanitaires et économiques, le coronavirus a mis en évidence les nombreuses dissensions au sein de l’exécutif brésilien, qui risquent de compliquer la gestion de l’épidémie.
Si Jair Bolsonaro a été élu avec plus de 55 % des suffrages en 2018, son parti est loin d’avoir obtenu la majorité (56 députés sur 513 et 2 sénateurs sur 81). Cette situation l’a amené à former une coalition très disparate pour gouverner, minées par les guerres d’influence internes. Les tensions latentes entre les différentes personnalités contribuent à une forte instabilité, puisque 8 ministres ont déjà quitté le gouvernement en à peine 15 mois.
L’épidémie de COVID-19 est venue renforcer ces antagonismes. C’est le ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta, qui a fait office de catalyseur. Ce médecin de formation était quasiment inconnu avant le début de la crise. Il prend rapidement la mesure de la situation et suit les recommandations de l’OMS en décrétant le confinement.
Mais son action se heurte à Jair Bolsonaro, pour qui le confinement risque de ruiner le Brésil. Le président diffuse plusieurs fake news, et défend le concept de confinement “vertical”, à savoir l’isolement de groupes de personnes à risques comme les plus de 65 ans, et l’usage massif de la chloroquine, pour soigner les malades.
Le ton monte rapidement, d’autant que les gouverneurs des différents Etats se rangent derrière Mandetta, qui voit sa côte de popularité monter en flèche, face à un président de plus en plus critiqué. Après plusieurs semaines très tendues, Mandetta est débarqué du gouvernement le 16 avril par Bolsonaro, qui choisit le médecin Nelson Teich pour le remplacer, davantage en phase avec les positions de Bolsonaro.
L’ex-ministre de la Santé Luiz Henrique Mandetta en conférence de presse (Source : Wikimedia Commons)
Au lieu d’apaiser la situation ce limogeage, en plein milieu de la pandémie, fragilise encore un peu plus Bolsonaro. Les gouverneurs de Rio de Janeiro, Wilson Witzel, et de São Paulo, João Doria, pourtant anciens alliés de Bolsonaro, n’hésitent pas à attaquer le président brésilien frontalement, allant jusqu’à évoquer une possible destitution.
Fidèle à sa logique martiale, Bolsonaro leur répond durement et en appelle à la Cour Suprême pour annuler les mesures de confinement. Mais il perd ce bras de fer politique, d’abord sur le plan judiciaire car la Cour Suprême décide de préserver l’autonomie des gouverneurs sur les mesures de confinement, mais aussi sur le plan de l’opinion publique, qui condamne de plus en plus ses prises de positions et son inaction.
Face à la menace de l’impeachment, Bolsonaro se radicalise
Pour Bolsonaro, les revers se multiplient également au Parlement, où les demandes d’impeachment à son encontre sont nombreuses. Le 15 avril, Rodrigo Maia, le Président de la Chambre des Députés, somme Bolsonaro de rendre public sous 30 jours le résultat de ses tests au COVID-19, qu’il a toujours refusé de présenter, sous peine d’enclencher une procédure de destitution.
Bolsonaro contre-attaque en appelant le 19 avril à une nouvelle manifestation contre le Congrès brésilien et en faveur de la fin du confinement. Debout sur un pick-up devant le quartier général des forces armées, il harangue près de 600 supporters : « Nous ne voulons pas négocier […] La vieille politique est terminée […] maintenant c’est le peuple au pouvoir ».
La majorité de la sphère politique s’indigne : 20 gouverneurs (sur 27) lui adressent une lettre en faveur de la démocratie, suivis par l’Association Nationale des Maires, tandis que la Cour Suprême ouvre une enquête contre ces agissements.
Face à la levée de boucliers, et à la menace de l’impeachment, Bolsonaro s’en remet alors à une méthode issue de la « vieille politique » qu’il critique pourtant régulièrement : le marchandage de poste ministériels, en échange d’un soutien au Parlement. Pour se protéger d’un éventuel impeachment, Bolsonaro aurait ainsi acheté une partie importante des députés du Centrão, des partis du centre-droit qui n’ont pour seule idéologie que celle de rester proche du pouvoir.
A la crise pandémique s’ajoute aussi une crise socio-économique grave
Dans le désordre politique, la situation sanitaire se détériore rapidement. Le système de santé est surchargé et les carences en équipement sont nombreuses. Les chiffres officiels sont modestes, mais sont jugés très éloignés de la réalité en raison du faible nombre de tests effectués.
Des images terribles circulent, comme à São Paulo où les cimetières s’agrandissent de jour en jour, ou à Manaus, où des patients meurent dans les couloirs de l’hôpital. Malgré les mesures préventives prises par différents États, un peu moins de la moitié de la population respecte le confinement. Les premières prévisions de l’Imperial College de Londres à ce sujet, parues fin mars, faisait état de 44 000 morts.
Au niveau économique, la situation est également très difficile, alors que le pays se remet à peine de quatre années de crise économique (2013-2017). Les grandes entreprises sont touchées, mais également le secteur informel, qui compte plus de 38 millions de travailleurs.
Le gouvernement, sous la pression du Parlement, a mis en place un plan d’aide à ces travailleurs, leur permettant de toucher 600 reais (120 euros) par mois, ainsi que des réductions fiscales temporaires destinées aux petites entreprises.
L’ensemble des mesures annoncées a été chiffré à 306 milliards de reais, soit 60 milliards d’euros, des chiffres relativement bas, et qui n’ont pas convaincu les investisseurs, la Bourse de São Paulo ayant perdu près de 30 % de sa capitalisation depuis début mars.
La crise se répercute aussi au niveau social. Le pays se déchire entre pro-Bolsonaro et opposants. Le président brésilien dispose toujours de 33 % d’opinions favorables, un score étonnamment haut. Malgré les critiques des différents médias, Bolsonaro bénéficie toujours d’une grande visibilité sur les réseaux sociaux.
Cependant, cette base solide semble s’éroder progressivement. Depuis début mars se multiplient les panelaços, des concerts de casserole organisés tous les jours à 20h pour protester contre la politique du président. Nombreux sont également les responsables politiques et économiques qui l’avaient soutenus dans sa campagne qui rejettent désormais ses dérapages.
Le départ de Moro pourrait précipiter la fin de l’ère Bolsonaro
Les scénarios à court terme sont pessimistes pour le Brésil. Jusqu’à présent, il semblait hasardeux de tabler sur une destitution de Bolsonaro, le confinement et la part importante d’opinions favorables jouant encore en sa faveur.
Mais un événement récent vient de bouleverser la donne. Le 24 avril, le très populaire ministre de la Justice Sergio Moro a claqué la porte du gouvernement, en dénonçant les ingérences du Président sur son ministère.
Bolsonaro et ses fils, visés par plusieurs enquêtes, dont l’assassinat de la députée de gauche Marielle Franco en 2018, souhaitaient en effet remplacer le chef de la Police Fédérale par un de leur proche.
Jair Bolsonaro aux côtés de son ex-ministre de la Justice Sergio Moro (Source : Wikimedia Commons)
Figure controversée pour avoir envoyé l’ancien président Lula en prison malgré la faiblesse de l’accusation, Sergio Moro bénéficie d’un soutien très important. Il servait de caution d’intégrité à Bolsonaro, le rendant moins extrême aux yeux de l’opinion.
Sa sortie du gouvernement constitue un coup très dur pour Bolsonaro qui en quelques semaines a perdu les deux figures les plus populaires de son équipe. Déjà, les têtes se tournent vers Paulo Guedes, le ministre de l’Economie qui avait réussi à séduire les milieux d’affaires, et qui pourrait être le prochain à quitter le navire. Si la menace d’un impeachment est chaque jour un peu plus réelle, difficile aujourd’hui d’en pronostiquer le résultat, Bolsonaro s’étant en théorie assuré le soutien des députés du Centrão pour se protéger.
Une chose est sûre, cette crise du COVID-19 pourrait bien emporter le président brésilien, la question est désormais de savoir quand.