L’attaque russe contre l’Ukraine, le 24 février 2022, a bouleversé l’équilibre géopolitique européen. En Europe du Nord, la Finlande et la Suède, pays traditionnellement non-alignés, ont pris la mesure de l’urgence de redéfinir leurs architectures de sécurité et de défense nationale, face à l’agression de l’Ukraine par un pays partageant avec eux l’espace Baltique.
En mai 2022, la Suède et la Finlande ont ainsi déposé leurs candidatures pour rejoindre l'OTAN. L'invitation a ensuite été renouvelée à l'occasion du sommet de Madrid en juin dernier. Le 4 avril 2023, la Finlande est devenue officiellement le 31ème État membre de l’OTAN impliquant d’une part le renforcement de la sécurité de l’Alliance sur son flanc nord, et d’autre part l’extension de près de 1300 km de frontière entre l’OTAN et la Russie. Concernant la Suède, avec qui la Finlande voulait rejoindre l’alliance « main dans la main », le processus est toujours en cours de ratification par les États membres : tous les Parlements nationaux l'ont ratifié, à l'exception de la Turquie et de la Hongrie.
L’invasion russe de l’Ukraine, un point tournant pour l’Europe du Nord
Pour la Suède, et plus particulièrement encore pour la Finlande, le choc provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, a rappelé l’époque de l’invasion soviétique de 1939 et de la guerre d’Hiver qui s’en est suivi. La victoire à la Pyrrhus pour l’URSS s’était conclue sur la signature d’un traité de paix en 1940 proclamant l’annexion de 10 % de la surface du territoire national finlandais. Pour la Suède, l’invasion massive d’un pays souverain a provoqué un choc et a obligé Stockholm à repenser son architecture de sécurité qui s’était inscrite depuis 1995 dans le cadre européen.
Pour la Finlande et la Suède, la Russie cherche à briser le droit international pour retrouver sa vieille sphère d’influence aux dépens d’États souverains. En décembre 2021, la Russie exigeait un gel de l’élargissement de l’Alliance en Europe et déclarait qu’une adhésion des deux pays nordiques « aurait des conséquences militaire et politique graves ». Le président finlandais, Sauli Niinistö, avait alors répondu que le concept de « sphère d’influence » sous-entendu par la Russie appartenait au passé et que la Finlande se réservait l’option d’adhérer à l’Alliance atlantique comme levier d’action de sa diplomatie.
Ainsi, les demandes d’adhésions suédoises et finlandaises correspondent davantage à une réponse politique à l’invasion russe de l’Ukraine qu’à un réel besoin de sécurité comme pour la Pologne ou les États baltes. Ce faisant, ils envoient une réponse géopolitique à la Russie signifiant qu’elle ne peut pas librement agresser son voisin sans subir de conséquences géostratégiques sur son théâtre stratégique nord-européen.
Que peuvent apporter la Suède et la Finlande dans l’OTAN ?
Autrefois lac soviétique, la mer Baltique s’est progressivement transformée en lac otanien quand l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne se sont émancipés de la domination russe, et ont rejoint l’Alliance atlantique en 1999 et en 2004.
À court terme, l’intégration de la Finlande et de la Suède à l’OTAN permettra de renforcer la sécurité et la profondeur stratégique de de l’Alliance en mer Baltique en intégrant davantage de bulles A2/AD (Anti-Access/Area Denial) – le déni d’accès et interdiction de zone est une stratégie visant à empêcher un adversaire de pénétrer dans une zone grâce à des capacités antiaériennes et antinavires – compliquant ainsi le calcul des forces armées russes.
Concrètement, l’OTAN est en voie de renforcement par des pays possédant de solides forces armées – la Finlande qui a maintenu la conscription peut mobiliser près 300 000 soldats – et une solide industrie de défense, comme le suédois Saab et le finlandais Patria. L’adhésion de la Finlande additionne à l’Alliance l’une des armées les plus crédibles d’Europe occidentale, ainsi que des capacités de renseignement et de surveillance des frontières. Notons par exemple que les forces d’artillerie finlandaises sont les plus importantes et parmi les mieux équipées des membres européens de l’OTAN, avec 1 500 pièces d’artillerie, dont 700 obusiers, 700 mortiers lourds et 100 systèmes de lance-roquettes selon une analyse du Wilson Center.
La Finlande et la Suède promeuvent aussi une participation active de leurs citoyens dans la défense territoriale – le concept de total defence. En Finlande, un tiers de la population adulte est membre de la réserve militaire, ce qui signifie que le pays nordique peut s’appuyer sur l’une des armées les plus importantes d’Europe par rapport à sa taille. Après huit décennies à vivre dans la périphérie de la Russie, « la société est préparée et entraînée à la conflictualité depuis la Seconde Guerre mondiale », a déclaré Tytti Tuppurainen (SPD), ministre finlandaise de l’Union européenne. Par exemple, tous les bâtiments dépassant une certaine taille doivent avoir leur propre abri antiatomique, et le reste de la population peut utiliser les parkings souterrains, les patinoires et les piscines qui sont prêts à être transformés en centres d’évacuation.
La forme que peut prendre l’engagement de ces pays dans l’Alliance pourrait d’abord être une participation aérienne aux missions de police du ciel (dans les États baltes, en Islande ou en Roumanie). Pays de l’espace Baltique, ces nations peuvent aussi contribuer à l’enhanced Forward Presence (Présence avancée renforcée) déployée dans les États baltes et en Pologne depuis 2016. Ils peuvent également apporter leur contribution navale aux Standing Naval Forces (SNF) qui patrouillent dans les espaces maritimes baltiques et nord-atlantiques. Ces déploiements jouent un rôle central dans la posture de dissuasion de l’Alliance en signalant une capacité et une détermination en matière de solidarité, puisque les forces participantes proviennent d’autres états-membres, et pas seulement ceux de la région. Ils servent également d’instrument pour maintenir et développer une nécessaire interopérabilité entre forces armées. La Suède et la Finlande ont toutes deux indiqué qu’elles étaient prêtes à contribuer à ces opérations. Enfin, sous peu, la Finlande et la Suède doivent rejoindre le projet allemand European Sky Shield qui a pour objectif de doter les 14 pays participants (membres de l’OTAN) d’un système de défense aérienne et antimissile commun.
L’adhésion finlandaise et suédoise à l’OTAN, en plus de marquer un renforcement significatif des défenses nationales de ces pays et de la sécurité en mer Baltique, constitue un échec stratégique pour la Russie. Les adhésions devraient permettre, à terme, de consolider le pilier européen de la défense dans l’OTAN en renforçant sa cohérence, facilitant ainsi les initiatives de construction d’une défense européenne. Concrètement, quand l’adhésion de la Suède à l’Alliance sera finalisée seul quatre pays de l’UE manqueront à l’organisation : l'Autriche, Chypre, l'Irlande et Malte.
Adhésion à l’OTAN : quelles conséquences géopolitiques pour la Suède et la Finlande ?
Face à la menace russe et dans le contexte du retour de la guerre en Europe, la Finlande, par son expérience historique, dresse un parallèle évident entre ce conflit contemporain et la guerre d’Hiver (1939-1940). Comme lors de ce conflit du siècle dernier, la Russie a largement sous-estimé les capacités de résilience des sociétés ainsi que les capacités et l’innovation des armées finlandaises et ukrainiennes. Comme en Ukraine, la Russie avait choisi de déployer et de disperser ses forces le long de la frontière finlandaise et échoua à obtenir des percées décisives. À l’opposé, les Finlandais – comme les Ukrainiens aujourd’hui – menaient des combats existentiels pour la sauvegarde de leur patrie. La créativité, l’innovation et l’adaptation, mais aussi la force du sentiment national, s’avèrent donc décisives face à un ennemi numériquement plus fort.
Par sa position géographique aux marches septentrionales de l’Europe, la Finlande entretient une longue relation de voisinage avec la Russie. De 1809 jusqu’à la révolution russe de 1917, la Finlande faisait partie de la Russie impériale. Par la suite, la Finlande a construit une relation diplomatique consciente de l’asymétrie avec son grand voisin oriental. Ainsi, pendant la Guerre froide, la Finlande était soumise à une politique de neutralité subie par l’URSS, la « finlandisation ». À la fin de la Guerre froide, la Finlande et la Suède rejoignirent les instances européennes et développèrent avec l’OTAN un partenariat assez étroit. Les deux pays mirent en place d’excellentes relations militaires avec les États de l’Alliance, en ayant un statut officiel de Partenaire de cette organisation, mais se gardèrent de demander leur adhésion jusqu’à l’invasion russe de l’Ukraine en 2022. Cette proximité préexistante avec les pays de l’Alliance explique aussi la rapidité du processus d’adhésion pour deux États possédant des armées modernes assez bien adaptées aux standards de l’OTAN.
Depuis le 4 avril, date de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, la Russie n’a pas réagi militairement en déployant, par exemple, des troupes à la frontière ou en violant l’espace aérien finlandais comme il est arrivé qu'elle le fasse dans le ciel des États baltes. Mais, l’armée russe a-t-elle les moyens d’appliquer une pression à la frontière finlandaise alors qu’elle s’embourbe en Ukraine ? Cette absence de réaction, au-delà du traditionnel communiqué diplomatique, peut aussi s’expliquer par le fait que depuis la fin de la Guerre froide et l’adhésion de la Finlande (et de la Suède) à l’Union européenne, la Russie considère ces États comme faisant partie de facto du « monde occidental » qu’elle dénonce aujourd’hui. Dans la carte mentale géopolitique du gouvernement russe, ces deux pays étaient déjà considérés comme faisant partie de l’espace stratégique euro-atlantique. En ce sens, l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN ne fait que confirmer la vision géopolitique russe de l’Europe du Nord.
En agressant massivement l’Ukraine, la Russie a montré qu'elle était prête à prendre de lourds risques sur le plan international comme sur le plan domestique, mais avait-elle anticipé ce type d’effet sur l’espace baltique ? Avec l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN, les divers formats de coopération impliquant des pays tels que la Norvège, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Estonie (par exemple, la Coopération nordique de défense, NORDEFCO, et la Force expéditionnaire commune, JEF) seront réorientés vers la mise en œuvre opérationnelle de la dissuasion et de la défense collective de l'OTAN en Europe du Nord. L'intensification de la coopération régionale est le meilleur moyen d'organiser la défense de l'Europe du Nord, étant donné l'étendue du territoire combiné de la région nordique et de la Baltique, de sa faible population et de ses ressources relativement limitées
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