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La crise climatique est là. De moins en moins de personnes en doutent. Les records de chaleurs, la médiatisation de Greta Thunberg et la visibilité du Friday for Future ont fait du climat un sujet qui ne laisse plus indifférent. Fin novembre, le Parlement européen a même déclaré l’état d’urgence climatique, un symbole très puissant. Dans ce contexte, personne n’est resté insensible au risque d’annuler purement et simplement la COP 25 après le renoncement du Chili malgré la technicité de ces réunions. Il est donc important de comprendre ce qu’aurait impliqué une telle annulation, si l’Espagne n’avait pas pris le relai de l’organisation.
La COP 25... une COP dont personne ne veut ?
Commençons par rappeler l’histoire de l’organisation de cette COP 25 qui semble d’emblée avoir été placée sous le signe du désamour.
Tout a commencé avec l’alternance politique brésilienne. Brasilia est alors revenue sur son engagement d’héberger la COP comme initialement prévu. Le Chili et le Costa Rica se sont ensuite portés candidats, Santiago remportant la mise, alors que San José s’engageait à accueillir la pré-COP (qui a bien eu lieu en septembre).
Le Chili avait initialement annoncé que la COP se tiendrait début 2020 à cause de la réunion de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) qu’il devait recevoir en novembre. Puis il a été finalement acté que la COP pourrait se tenir, comme d’habitude, à la fin de l’automne.
Entre-temps, le Brésil a aussi créé le suspens, annonçant l’annulation de la semaine du climat d’Amérique latine programmée à Salvador de Bahia, autre événement majeur de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC). Puis Brazilia a annulé son annulation, la réunion a eu lieu en août.
Enfin, l’échec du sommet d’urgence organisé en septembre à New York par le Secrétaire général de l’ONU n’était pas un bon signe non plus. Ce sommet devait accélérer les engagements des Etats, mais il n’a pas rencontré le succès escompté par Antonio Guterres.
Les préparatifs se sont finalement mis sur les rails et semblait donc se dérouler normalement… jusqu’à ce qu’une augmentation du prix des transports en commun au Chili ne déclenche une vague de protestations massives. Fin octobre, le Chili a donc renoncé au sommet de l’APEC et à la COP 25. Les spéculations sont alors allées bon train au sein de la communauté du climat : COP annulée ? COP reportée ? COP délogée ?
Finalement l’événement a été confirmé aux dates initiales. Le sommet est aujourd’hui accueilli par Madrid. L’Espagne a volé au secours de la CCNUCC et du Chili - qui par ailleurs garde la présidence de la COP. Pendant quelques jours, le monde de plus en plus inquiet de la crise climatique aura donc vécu avec la possibilité d’une année sans COP.
Quelles leçons tirer de ces péripéties, si leçons il y a ? D’un côté, on ne peut que regretter que les aléas politiques ne mettent en danger le processus des négociations climatiques. D’un autre, on peut applaudir l’engagement de certains pays qui ont tout fait pour maintenir les événements clés de l’année climatique : le Costa Rica, mais aussi - et surtout - l’Espagne qui, en un rien de temps, a su se mobiliser pour confirmer la COP 25.
En fin de compte, le risque réel d’annulation pose une question lancinante : est-ce que la COP pourra changer quoi que ce soit, de toutes façons ?
Fondamentalement, à quoi servent les COP ?
L’acronyme COP renvoie « conference of parties ». C’est la réunion annuelle des Etats-parties à la CCNUCC, la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique. Y sont généralement discutés : 1) le cadre international de lutte contre le changement climatique ; et 2) les engagements pris par les Etats en la matière.
Les COP forment des cycles de négociations. La COP 15 - en 2009, à Copenhague - et la COP 21 à Paris en 2015, ou encore la COP 26 à Glasgow en 2020 sont considérées comme des COP majeures car des décisions importantes y ont été prises.
Les pays participent principalement aux discussions à travers des groupes d’Etats ayant – en théorie – des intérêts communs et pouvant ainsi peser d’un poids plus important lors des négociations. Pour en citer quelques-uns, on compte : le G77 qui rassemble les pays en développement, auxquels s’adjoint régulièrement la Chine ; le SDIS, groupe des petites îles en développement ; celui des négociateurs africains, le like-minded group of developing countries ; ou encore les Etats de l’Union européenne.
Du fait des divergences entre ces groupes, d’épineuses discussions ont lieu lors des COP. Par exemple, le principe des « responsabilités partagées mais différenciées » reconnaît la réalité globale du changement climatique mais réclame de plus ambitieuses contributions financières et technologiques aux pays émetteurs historiques (les pays industriels). D’autres questions particulièrement sensibles ont traversé les négociations, comme la question du contrôle des émissions ou encore celle de la contribution financière des Etats riches au Fond vert.
Aujourd’hui, pourtant, l’utilité des COP est remise en question car l’Accord de Paris - adopté à la COP 21 - a mis en place un nouveau système.
L’Accord de Paris a-t-il achevé le rôle de la CCNUCC ?
La COP 21, organisée par la France en décembre 2015, a représenté une avancée majeure. L’Accord mondial alors adopté - parfois appelé « esprit de Paris » - autour a créé un consensus sur la réalité du changement climatique. Le texte fixe comme objectif très ambitieux de limiter l’augmentation des températures à + 1,5°C au-dessus des niveaux industriels et non plus + 2°C comme c’était le cas auparavant.
Autre avancée majeure de la COP 21 : la mise en place des contributions déterminées au niveau national à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont des objectifs non-contraignants que les Etats se fixent eux-même en matière de changement climatique. Ce simple mécanisme constitue une avancée majeure. Lors de la préparation de la COP 21, cet accord a fait consensus car il laisse les pays décider souverainement de leur niveau d’engagement.
Par le passé, les négociations climat étaient considérées auparavant comme un processus top-down : les décisions globales étaient imposées aux Etats. Nous sommes passés à une logique bottom-up où les pays décident eux-mêmes de leurs contributions. Il est prévu que les CDN soient renouvelées tous les cinq ans, afin de progressivement revenir sur une trajectoire de limitation des températures à + 1,5°C. La prochaine révision doit avoir lieu en 2020, lors de la COP 26, hébergée à Glasgow.
En fait, l’Accord de Paris a transformé l’utilité des COP
L’Accord de Paris présente néanmoins de nombreux défauts et lacunes qui justifient de continuer les COP dans le cadre de la Convention Cadre des Nations unies sur le Changement Climatique (CCNUCC).
La première est qu’en plus d’être non-contraignants, les engagements nationaux sont loin d’atteindre les objectifs climatiques. On peut sincèrement douter que les nouvelles ambitions qui seront présentées à Glasgow suffiront pour revenir sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris.
Il y a une autre problème clé, de nature politique cette fois : aujourd’hui l’esprit de Paris lui-même est fragilisé. L’alternance politique et l’arrivée au pouvoir de dirigeants climato-sceptiques dans des économies clés, ou peu engagés dans la lutte pour le climat a changé la donne. Les Etats-Unis d’abord, sous la présidence de Donald Trump, ont engagé le processus de retrait de l’Accord. Mais d’autres économies majeures ont réduit leur engagement climatique : c’est le cas entre autres du Brésil ou des Philippines. A noter aussi la position très ambiguë de la Chine, dont les engagements climatiques sont très sérieusement remis en question par ses nouveaux investissements dans le charbon.
L’Accord de Paris est probablement le meilleur que la communauté internationale pouvait espérer en 2015. Le consensus sur la réalité du changement climatique et la nécessité de le limiter a été adopté. Mais le défi reste devant nous.
Le rôle de la CCNUCC a donc été transformé : la COP doit désormais garantir que les Etats pourront disposer de tous les outils nécessaires à leur effort climatique. Concrètement, il s’agit de s’accorder pour mettre en oeuvre l’Accord de Paris et de s’assurer que les pays maintiennent leurs ambitions. Et ce, même si la CCNUCC n’a normalement pas vocation à directement soutenir des politiques ou mesures permettant de réduire les gaz à effet de serre car elle ne finance pas ni ne met en oeuvre directement des projets. Ce rôle est celui, entre autres, d’autres agences des Nations unies, comme par exemple son programme pour le développement (PNUD) ou celui pour l’Environnement (PNUE).
Donc qu’aurions-nous fait sans la COP 25 ?
Dans ce contexte, nous devons nous interroger sur les conséquences réelles qu’aurait eues une annulation de la COP 25.
Probablement ces conséquences auraient-elles été, du point de vue des négociations, limitées. Le principal point de discussion concerne l’article 6 de l’Accord de Paris sur les marchés internationaux du carbone, point non-réglé par la précédente COP 24 de Katowice. Les autres points auraient probablement pu être traités lors de la COP 26 ou les réunions intermédiaires. Plusieurs employés du secrétariat de la CCNUCC reconnaissent en privé que les principaux enjeux des négociations appartiennent désormais au passé et que leur charge de travail va en diminuant. Certains se sont même réjouis en apprenant que la COP ne se tiendrait pas au Chili : d’après eux, cet incident aurait pu faire comprendre aux Etats que les négociations sont désormais moins importantes et qu’il est inutile d’organiser des COP chaque année.
Les principales conséquences d’une annulation totale auraient été de l’ordre de la communication. Chaque année, les COP rassemblent grand nombre d’acteurs non-gouvernementaux qui y présentent leurs travaux, partagent leurs défis et succès… C’est aussi l’occasion d’attirer l’attention des médias et gouvernements sur les questions climatiques. S’il ne faut pas attendre de grandes avancées lors de la COP 25, il aurait certainement été dommageable qu’elle soit annulée.
Il faut désormais profiter de la crise pour repenser la CCNUCC
Ces imprévus autour de la COP viennent avant tout poser la question de l’utilité du Secrétariat permanent de la CCNUCC. Du moins dans sa forme actuelle, fort de ses 500 employés et son budget annuel d’une trentaine de millions d’euros. Devons-nous conserver une telle organisation ? Son rôle s’amoindrit à mesure que l’attention se déplace sur la mise en oeuvre de l’Accord de Paris. Des insiders s’interrogent, considérant toutefois le signal négatif que cela pourrait envoyer à la communauté internationale.
Certainement faudrait-il donner une nouvelle ambition au Secrétariat de la CCNUCC. Il existe plusieurs pistes possibles pouvant aller dans ce sens. Il pourrait par exemple travailler à une plus importante mobilisation des acteurs non-étatiques. C’est déjà le cas avec l’initiative Global Climate Action dont les résultats restent cependant décevants. Un mandat plus ambitieux et plus clair permettrait d’accélérer les efforts de mise en oeuvre. Parmi les autres pistes, on compte celles du suivi des mesures climatiques des Etats, ou encore de nouvelles activités visant à directement soutenir les politiques des pays.
Revoir les objectifs d’une institution onusienne n’est pas une chose facile. Cela nécessite un consensus de la part des Etats membres qui est toujours très difficile à obtenir. Cela demande aussi souvent des ajustements budgétaires. Au vu de la crise climatique, il semble cependant urgent de repenser la CCNUCC et de s’assurer qu’elle ne devient pas une inutile et coûteuse machine bureaucratique.