Élue au Parlement européen pour la première fois en 2019, Valérie Hayer a négocié le budget pluriannuel pour le Parlement européen, rapporteure pour les ressources propres. Elle est membre du groupe Renew Europe et coordinatrice au sein de la commission des budgets. Elle est également conseillère départementale du département de la Mayenne.
Comment fonctionne le Cadre financier pluriannuel ?
Quelle est l’utilité du Cadre financier pluriannuel (CFP) au-delà des budgets annuels de l’Union européenne ? Comment s’articule-t-il avec le plan de relance de 750 milliards approuvé en juillet 2020 par le Conseil européen ?
A l’origine, le Cadre financier pluriannuel avait pour objet la résolution de crises interinstitutionnelles fréquentes, relatives à la répartition des fonds européens. Dans ce but, il détermine l’utilisation des ressources allouées à l’Union européenne dans chaque domaine, pour chaque année. Avec le plan de relance Next Generation EU, le budget européen pour les sept prochaines années, de 2021 à 2027, s’élève à plus de 1 800 milliards d’euros, dont presque 1 100 milliards pour le CFP seul.
Par conséquent, l’Union de 2027 s’imagine dès 2020, ce qui a des avantages et des inconvénients. Certes, cette anticipation favorise la stabilité budgétaire, et apporte une garantie d’importance pour les financeurs, dont les citoyens. Toutefois, les prescriptions de ce cadre sont extrêmement rigides, ce qui nuit à la capacité d’adaptation et de coordination face à une crise imprévue. Ce fut le cas, entre autres, pour la crise migratoire survenue en 2015.
Comment le budget de l’UE s’articule-t-il avec celui des États membres ? Quelle est la valeur ajoutée du budget européen ?
Le budget européen s’articule autour de trois axes. Tout d’abord, certaines actions bénéficient directement aux États à travers la redistribution. Ces dépenses sont élaborées pour accompagner les budgets nationaux, comme dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) ou des fonds de la cohésion pour nos territoires.
Ensuite, des décisions sont prises dans le but de rationaliser et d’approfondir des politiques communes, pour aller au-delà des résultats qu’un État seul pourrait atteindre. Cela peut se matérialiser par des économies d’échelle ou des cibles plus ambitieuses assorties des budgets adéquats. C’est le cas du programme spatial européen ou de certaines mesures environnementales. Sont également inclus des mécanismes d’accompagnement pour les pays qui en manifestent le besoin, afin de favoriser la coopération entre pays sans critères de moyens.
Enfin, ce budget a pour but de prendre ensemble les dispositions qui n’ont de sens qu’à l’échelle européenne. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières en est un bon exemple. En imposant aux importateurs de régler les droits à polluer dont s’acquittent déjà les entreprises présentes sur le territoire européen, l’Union répond de manière uniforme à un enjeu d’égalité. Ce futur dispositif est donc un instrument crucial de cohérence institutionnelle et continentale.
Le CFP, un outil au service de l’ambition européenne ?
Entre nouvelles priorités et politiques traditionnelles, entre budgets annoncés et budgets réels en euros courants ou constants 2018, le CFP sert-il réellement et sincèrement l'ambition d'influence mondiale de l'UE ? Un exemple : avec l’annonce du Pacte vert et du respect de ces ambitions dans le budget, l'Union européenne a été présentée comme un modèle de gouvernance. Ce CFP constitue-t-il un outil adapté et suffisamment ambitieux ?
On peut faire le pari que de nouveaux défis apparaîtront d’ici 2027, et la force de l’Union européenne est de savoir s’adapter au contexte contemporain. Le prochain Cadre financier pluriannuel prévoit de renforcer de nombreux secteurs comme la recherche, la défense ou encore la préservation de la biodiversité. Cela démontre la capacité du Parlement à prendre des engagements dans des domaines urgents. Mais les enjeux traditionnels n’ont cependant pas disparu ni perdu en importance. C’est pourquoi nous avons insisté pour la conservation de budgets clés, comme celui de la PAC qui est essentielle aux agriculteurs. Il s’agit d’atteindre un équilibre entre tous ces impératifs.
Néanmoins, le besoin d’investissements croissants mène à des prises de conscience. Même avec les efforts consentis pour le plan de relance, la taille de son budget limite la capacité de l’Union à être un acteur sur la scène internationale. Le budget annuel de l’Union correspond à environ 1 % de la richesse produite par les 27 États membres. Aux États-Unis, ce chiffre s’élève à plus de 20 % de la richesse nationale pour le budget fédéral. Au sein de l’UE, les contributions nationales ne sont plus suffisantes. Les partenariats public-privé sont indispensables pour répondre aux priorités stratégiques fixées à Bruxelles. De nouvelles sources de revenus doivent-être imaginées et développées.
Au-delà des aspects économiques, le CFP peut-il constituer un moyen pour le Parlement d’affirmer sa légitimité et son poids au sein du système institutionnel européen ?
Si le Parlement européen n’est pas autorisé à amender le projet soumis par la Commission, son droit de veto lui octroie un poids conséquent dans les négociations précédant le vote. L’opposition de l’organe législatif au projet de Cadre initial, émise en juillet dernier, est un exemple éloquent qui a ému les observateurs. Les députés élus en 2019, dont beaucoup de nouveaux élus, ont fait preuve d’une volonté renouvelée : le Parlement européen peut exercer une véritable influence lorsqu’il travaille de manière unie et transpartisane. Alors que, jusqu’à présent, le budget européen était surtout l’affaire des chefs d’État et de Gouvernement, nous souhaitons démontrer que nous pouvons jouer un rôle actif, et être force de propositions au nom de tous les citoyens.
Négociations budgétaires européennes et ambition démocratique européenne
A la suite de son refus de la première proposition de budget pluriannuel à l’été 2020, le Parlement européen a montré qu’il ferait preuve de fermeté sur ses priorités, tant en termes de moyens budgétaires que d’outils comme celui sur l’Etat de droit. Alors que les objectifs ont été revus à la hausse, en termes budgétaires comme sur les ressources propres grâce à la feuille de route du 10 novembre 2020, comment s’assurer qu’ils soient réellement mis en œuvre avec une ambition constante ?
Tout d’abord, les gains de ces négociations sont d’un montant inédit au sein d’une Union à 27. Le Parlement européen a ainsi pu obtenir 16 milliards d’euros supplémentaires. Cette somme permettra de consolider de nouvelles compétences, avec le triplement du budget lié à la santé, ou de renforcer des programmes existants comme Erasmus. En outre, les parlementaires ont réussi à s’accorder pour introduire des critères de dépenses sectoriels précis. Ainsi, la biodiversité devra représenter 10 % des dépenses du CFP à l’horizon 2026, une cible à l’origine absente du projet de la Commission et de l’accord entre chefs d’État et de gouvernement, en plus de l’objectif de 30 % des dépenses en faveur du climat.
Pour graver ces mesures dans le marbre, le Parlement s’est battu pour que le calendrier des ressources propres - sujet éminemment pressant - soit juridiquement contraignant. Ces ressources propres sont le seul moyen pour l’Union de financer ses ambitions politiques et de rembourser l’emprunt européen, contracté en commun, pour Next Generation EU. Il n’est pas envisageable de rembourser l’effort de relance par l’augmentation des contributions nationales, qui sont notamment financées par les impôts des contribuables. De même, réduire les programmes européens pour permettre le remboursement n’est pas une solution viable. Notre objectif a été de garantir que l’emprunt soit remboursé par les contributions des géants du numérique, par les entreprises qui pratiquent l’optimisation fiscale ou encore les entreprises étrangères qui importent au sein de l’UE sans en respecter les normes environnementales. C’est pourquoi les ressources propres doivent être au cœur des prochaines discussions. Il s’agit d’un combat à mener, à long terme, pour accroître la capacité d’autonomie financière de l’Union, par rapport aux contraintes budgétaires nationales.
Alors que les interprétations divergent selon les commentateurs, dans quelle mesure ces accords sont-ils juridiquement contraignants ? Comment l’Union peut-elle travailler avec les parlements nationaux, et préserver les intérêts de chacun ?
Bien entendu, la décision finale est du ressort des parlements nationaux. Aujourd’hui, les traités ne permettent pas à l’Union de lever l’impôt. Ce sont les représentants de chaque Etat qui devront autoriser la perception de ces nouveaux revenus communautaires, dans le plein respect de leur souveraineté. Les chefs d’État et de Gouvernement ne pourront aucunement être tenus responsables d’une opposition au sein de leur parlement. Je fais toutefois confiance à la Commission pour élaborer des accords qui sauront satisfaire toutes les parties. Notre rôle, au sein du Parlement européen, sera d’aller sensibiliser nos confrères à ce sujet et à nos propositions.
Les chefs d’État et de Gouvernement se voient néanmoins imposer une obligation de moyens dans le cadre de cet accord interinstitutionnel du 10 novembre 2020. Le Parlement pourra attaquer le Conseil européen auprès de la Cour de Justice de l’UE en cas de manquement à ses obligations, en cas d’obstruction ou de retard dans le calendrier de négociations et de mise en œuvre de ces nouvelles rentes financières. De surcroît, une telle procédure peut également être motivée par l’insuffisance des fonds dégagés par ces nouvelles ressources propres. Cette dernière clause est capitale : même en cas de refus des parlements nationaux, les États membres auront pour obligation de continuer à travailler ensemble pour couvrir le remboursement de la dette. A partir de 2028, l’UE devra rembourser entre 20 et 25 milliards d’euros par an. C’est pourquoi, à mon sens, cette question doit faire l’objet d’un débat apaisé et complet.
Quels avenir pour l'Union ?
Alors que certaines questions font l’objet d’âpres débats parmi les États membres, voire ont longtemps paru encalminés comme le projet d’Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS) ou la taxe sur le numérique, certains objectifs semblent très ambitieux. Vous semblent-t-ils atteignables, d’ici 2021, 2023 ou 2024 selon les différentes temporalités fixées ?
Ces échéances ont été élaborées pour être réalistes et courageuses à la fois. Nous avons pu voir, au cours de ces derniers mois, la capacité du système européen à faire des propositions et à nouer des compromis en un temps record pour faire face à la crise sanitaire. Chacun devra s’engager pour que ces objectifs - qui visent à protéger les citoyens européens - soient tenus. La Commission s’est engagée à présenter des propositions dès juin 2021 sur ces nouvelles mesures.
Alors que les crises se multiplient sur la scène internationale, que disent ces négociations budgétaires de l’état de l’Union, de sa capacité à construire une véritable puissance, unie dans la diversité ? Alors que la présidence de Donald Trump a pu servir d’aiguillon à bien des égards, comment affermir la solidarité et continuer à avancer vers l’objectif d’autonomie stratégique ?
Si c’est une bonne nouvelle, l’élection de Joe Biden à la Maison blanche ne doit pas freiner le processus mis en marche ces derniers mois. Se complaire dans l’attente d’un retour - incertain - du parapluie défensif américain serait une erreur fondamentale. L’Union européenne était une puissance qui s’ignore, mais c’est maintenant une puissance en devenir. Un grand nombre de sujets doit être abordé à l’échelle non plus que nationale mais européenne, et c’est la réponse à ces défis qui permettra de définir la place de l’Europe dans la mondialisation. Elle a d’ailleurs d’ores et déjà fait la preuve de sa capacité à définir des standards internationaux, dans le domaine de la transition écologique ou avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Alors que l’Europe fait face à des tensions internes, les débats qui en découlent doivent lui permettre de se recentrer sur ses valeurs centrales, comme l'État de droit. L’Union ne peut plus être gouvernée par intermittence et à l’unanimité par les chefs d’État et de Gouvernement, en fonction de leurs intérêts politiques nationaux. L’Union actuelle n’est pas celle de 1957, les mécanismes de sa gouvernance doivent s’adapter. Travailler de concert est donc plus nécessaire que jamais.