En 2017, après 38 ans au pouvoir, l’ex-président angolais, José Eduardo Dos Santos, a choisi de ne pas se représenter sous la pression populaire et face aux difficultés économiques. Il a désigné un dauphin, une personnalité issue du parti-État, le Movimento Popular de Libertação de Angola (MPLA), qu’il pensait pouvoir manipuler pour protéger ses intérêts et ceux de sa famille. Or son ancien ministre de la Défense, João Lourenço, s’affirme de plus en plus et semble vouloir réformer l’Angola, au détriment de l’empire Dos Santos.
C’est dans ce cadre que Estelle Maussion, journaliste au magazine Jeune Afrique et spécialiste de l’Angola, publie un livre d'enquête sur le système Dos Santos, menacé par les velléités de réformes du nouveau président. Elle répond aux questions de Léonard Lifar, Fellow de l’Institut Open Diplomacy.
Dans votre livre "La dos Santos Company. Mainmise sur l'Angola", vous revenez sur l'incroyable histoire de la famille dos Santos, liée au destin de l'Angola. Quels en sont les principaux protagonistes ?
Le personnage le plus connu est José Eduardo dos Santos, le père de famille et chef de clan, qui a présidé l’Angola pendant trente-huit ans, de 1979 à 2017. C’est un discret fils de maçon devenu président à trente-sept ans, à la mort de son mentor politique, Agostinho Neto. En pleine guerre civile - doublée du contexte international de Guerre Froide - il met en place un système de pouvoir lui assurant une mainmise sur le pays.
Puis, il y a sa première fille, Isabel, l’étoile de la famille, femme d’affaires à la projection internationale, globe-trotter et jet-setteuse, mariée au collectionneur d'œuvres d'art et homme d'affaires congolais Sindika Dokolo.
Ensuite, il y a José Filomeno, le premier fils de José Eduardo, venu tardivement sur le devant de la scène mais qui semble devoir payer pour le clan. Il doit comparaître devant la justice angolaise pour fraude.
J’ajoute deux autres personnalités importantes, non membres de la famille mais très proches: le général Kopelipa, le monsieur sécurité de José Eduardo aussi indispensable en temps de guerre que de paix, et Manuel Vicente, l’ancien vice-président et numéro deux du pays, habile homme d’affaire et négociateur qui semble avoir su manœuvrer pour traverser le changement de régime sans encombre.
S’ils ont des caractères différents, ces protagonistes ont un double point commun : ce sont des personnalités hautes en couleur qui ont vu leur destin basculer avec l’arrivée du nouveau président João Lourenço.
L'ancien président angolais, José Eduardo dos Santos © Belga
Comment caractérisez-vous ce que vous appelez la "dos Santos Company" ?
C’est le meilleur moyen, selon moi, de décrire le système de pouvoir politique, économique et social que José Eduardo do Santos a mis en œuvre pendant trente-huit ans.
Première caractéristique, ce système est autoritaire : il laisse peu de place aux voix autres que celle du parti présidentiel, véritable parti-Etat, le MPLA.
Deuxième caractéristique, ce système est né dans un contexte particulier, la guerre civile ; puis il s’est développé et amplifié après le retour de la paix en 2002. Il est monté en puissance avec le temps, ce qui a engendré la formidable ascension de la famille dos Santos, avant le début de la chute avec la passation de pouvoir entre dos Santos et Lourenço.
Troisième caractéristique, cette gouvernance fonctionne sur l’accaparement des ressources et richesses du pays par une élite, membres de la famille et proches du clan, sur la confusion entre fonds publics et privés, sur une certaine opacité, le recours à la corruption et au népotisme, même si ces membres le contestent.
Dernier point, ce système n’est pas purement angolais mais bien mondialisé, disposant de ramifications et partenaires à l’étranger.
Focus | Sam Pa, le Queensway Group et le système dos Santos
Sam Pa est un intermédiaire chinois devenu l'icône sombre de la ChinAfrique. Il a une réputation sulfureuse d’homme d’affaire investissant avec sa compagnie “Queensway Group” (basée à Hong-Kong) dans des pays isolés politiquement et déstabilisés financièrement, comme le Zimbabwe, le Congo ou encore l’Angola. En 2004, Queensway Group a fondé la société China Sonangol, une coentreprise sino-angolaise avec la compagnie nationale pétrolière angolaise.
L’année suivante, Sinopec, l’une des plus grandes compagnies pétrolières publiques chinoises, s’est portée caution d’un prêt de 3 milliards de dollars consenti à China Sonangol. Ce prêt, accordé par un groupe de banques privées occidentales, a permis à Queensway de se lancer dans l’exploitation pétrolière et la construction d’infrastructures en Angola. Sam Pa, ses associés et plusieurs membres du clan dos Santos, ont pu bénéficié d’importantes commissions et de se répartir des marchés, notamment d’infrastructures.
En 2015, Sam Pa a été arrêté par les autorités chinoises dans le cadre de la lutte anti-corruption tandis que le nouvel exécutif angolais a repris en main la Sonangol. Le gouvernement dénonçait alors de graves erreurs de gestion. L’ensemble des membres du conseil d’administration ont alors été relevés de leurs fonctions.
Quelles sont les raisons qui ont mené au choix d’Eduardo dos Santos de ne pas se représenter en 2017 et de laisser la place à João Lourenço, l'ancien ministre de la Défense, à la Cidade Alta ?
Ce système de pouvoir, bâti par et pour José Eduardo dos Santos durant trente-huit ans, était centré sur sa personne. Il a commencé à vaciller avec sa propre décision de ne pas se représenter comme candidat du MPLA aux élections générales de 2017. C’était un tournant inattendu pour la plupart des observateurs à l’époque.
Pour le comprendre, il faut revenir au cours de l’année 2016. José Eduardo dos Santos fait alors face à une série de difficultés. Sur le plan économique, le pays est en crise depuis la chute du cours du pétrole mi-2014. Au niveau social, les tensions sont croissantes avec des manifestations de jeunes de plus en plus fréquentes. La situation n’est guère meilleure sur le volet politique. Même au sein du parti présidentiel, des critiques se font entendre, notamment contre l’omniprésence des dos Santos.
A ce contexte difficile s’ajoute un autre facteur plus personnel mais à mon avis déterminant : son état de santé qui, s’il est un sujet tabou par excellence, semble se dégrader. Tout cela explique la décision de José Eduardo dos Santos de passer la main. Peut-être a-t-il calculé qu’il valait mieux pour lui et sa famille passer le relai en essayant de contrôler au mieux la chute. Mais il ne s’attendait sans doute pas à une stratégie de rupture aussi forte de la part de son successeur…
Isabel Dos Santos, fille de José Eduardo dos Santos
La fille de l'ancien président, Isabel dos Santos, première femme africaine milliardaire en 2013, a récemment déclaré que la lutte contre la corruption ne devait pas devenir une "chasse aux sorcières". Assistons-nous au lancement de réformes en Angola ou plutôt à des règlements de comptes entre différents clans ?
Dès la campagne pour les élections générales de 2017, João Lourenço a joué la carte de la rupture, promettant notamment d’en finir avec la corruption. A son arrivée à la Cidade Alta, il a procédé à des limogeages en série, en particulier contre les dos Santos, renvoyant Isabel dos Santos de la direction de la compagnie nationale pétrolière Sonangol et son demi-frère José Filomeno de la tête du fonds souverain angolais doté de cinq milliards de dollars.
Ces changements ont marqué les esprits dans le pays comme à l’étranger. En parallèle, le nouveau président a lancé de nombreuses réformes pour libéraliser l’économie, améliorer les comptes publics, encourager l’investissement privé et remettre de la transparence dans l’attribution des contrats, entre autres.
Ces réformes sont engagées mais, pour la plupart, pas encore effectives. Elles tardent à produire des effets sur le pouvoir d’achat et donc les conditions de vie de la population, dont la majorité vit avec moins de deux dollars par jour.
Par ailleurs, certaines décisions de Lourenço ont semblé aller dans le mauvais sens ou vouloir maintenir l’ancien système. Par exemple, beaucoup d’observateurs ne comprennent pas pourquoi Manuel Vicente, dont la réputation est entachée par des affaires de corruption, n’est pas inquiété par la justice. D’autres se demandent pourquoi le contrat de construction du port de Caio dans le nord du pays, un temps retiré à la société de l’homme d’affaires Jean-Claude Bastos de Morais, lui a finalement été attribué alors même que la gouvernance de son propriétaire, ancien gestionnaire du fonds souverain angolais, est critiquée.
Au final, il est certain que les dos Santos accusent une perte d’influence et que João Lourenço n’hésite pas à critiquer leur gestion passée pour obtenir le soutien de la population. Mais, il est encore un peu tôt pour trancher entre véritable nouvelle gouvernance et règlements de comptes politiques.