Les facteurs environnementaux sont rarement la seule cause des conflits armés. Des facteurs conjoncturels socio-économiques, politiques ainsi que les contextes historiques spécifiques sont le plus souvent à l’origine des tensions qui poussent à basculer vers le conflit violent. Néanmoins, l’exploitation des ressources naturelles et les stress exercés sur l’environnement peuvent être présents dans chaque phase du cycle des conflits, pouvant être à l’origine ou perpétuer leur violence jusqu’à empêcher les processus de paix. Les exemples de dégradations environnementales réalisées au cours de conflits passés ne manquent pas : l’utilisation de l’Agent Orange par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam entre 1961 et 1971, les 727 puits de pétrole incendiés par l’armée irakienne lors de sa fuite du Koweït en 1991 pendant la guerre du Golfe, les essais nucléaires réalisés par les grandes puissances de 1945 à 1998 (sans compter la Corée du Nord qui réalisa des essais en 2006 et 2009)… Cependant peu pourront citer un conflit africain ayant eu un impact majeur sur l’environnement. Contrairement à des conflits internationaux en Asie du Sud-Est ou au Moyen-Orient, les conflits africains sont souvent ignorés de l’opinion mondiale en dépit de la gravité de certains d’entre eux et des lourdes menaces qu’ils font peser sur des populations civiles, ainsi que de leur impact environnemental.
Les écosystèmes du continent africain sont les victimes collatérales des cycles de conflit
Au cours de chacune des phases d’un conflit, l’impact sur l’environnement se fait ressentir. Lors des activités de préparation à la guerre, le pillage des ressources naturelles pour le financement de la guerre, les manipulations environnementales dues aux opérations militaires, le déboisement ou défoliation ou encore les déplacements des populations sont fréquents. Durant le conflit, des impacts tant directs qu’indirects sont constatés : pression sur les ressources naturelles par les forces armées et les populations civiles, pertes de la biodiversité dues à l’afflux et à la présence des réfugiés et personnes déplacées, etc. En phase post-conflit, les impacts continuent et persistent, y compris les impacts collatéraux liés essentiellement au manque de gouvernance tels que la contamination des eaux, des sols et de l’air.
L’écosystème congolais est l’un des cas les plus significatifs de ce type d’impacts. Depuis le milieu des années 1990, les séries de conflits armés en République démocratique du Congo ont affecté les populations d’animaux sauvages, utilisés comme viande de brousse par les combattants ainsi que par les civils et les commerçants. Les antilopes, les singes, les rongeurs, mais aussi les grands singes et les éléphants de forêt ont ainsi vu leur nombre considérablement réduit, tout comme la population d’arbres en proie à une déforestation continue.
L’Afrique a été le continent le plus touché par les conflits en 2020 totalisant 10 des 29 conflits identifiés dans le monde. Selon un groupe de recherche de l’Université de Hambourg, les ressources naturelles jouent toujours un rôle essentiel dans le financement des guerres, notamment à travers l’achat d’armes et de combattants suite à leur exploitation.
Le poids du facteur environnemental dans la reproduction des spirales conflictuelles
Diverses écoles ont théorisé le rôle joué par l’environnement dans le cycle des conflits. Le groupe d'Oslo a notamment avancé que les variables écologiques et socio-politiques se combinent dans des proportions variables pour se retrouver à la racine des conflits. Bien que les causes fondamentales des conflits soient nombreuses (ethniques, politiques, historiques), les conflits liés au contrôle, à l’accès aux ressources naturelles et à leur utilisation ont été une des principales causes de la violence.
Selon l’OCDE, en 2012, les ressources et les services environnementaux contribuent à hauteur de 26 % à la richesse totale des pays à faible revenu, contre 2 % pour les pays industrialisés. L’impact des dégradations environnementales est donc déterminant sur la stabilité et la capacité de résilience des territoires, particulièrement les plus vulnérables.
L’exemple de l'assèchement du Lac Tchad - présent au Tchad, au Nigéria, au Niger et au Cameroun – l’illustre bien. Les conséquences désastreuses pour les populations dont l’économie dépendait de cet écosystème et l’instrumentalisation des tensions par le groupe Boko Haram fait perdurer une situation socio-politique et environnementale critique pour les habitants de la région. L’extrême nord du Cameroun se retrouve également en proie à des arrivées massives de réfugiés fuyant Boko Haram, qui détruisent l’écosystème de la région constitué de savane arbustive afin de faire du bois de chauffage. L’insécurité de la région a également mis en pause des projets de conservation et de gestion durable des ressources, tel que le projet « Sahel vert » voué à la restauration et à la protection de 22 000 hectares de terres dégradées.
Bien que l’impact du changement climatique soit réel dans la région, l’immobilisme politique est également à mettre en cause, en ayant laissé la surexploitation du lac et l’insécurité s’installer au fil des années sans réelle intervention.
Cette dépendance des populations aux ressources naturelles et l’impact actuel et futur du changement climatique en Afrique (réduction des précipitations, hausse des températures de plus de 2°C avant 2100, montée du niveau des océans, réduction du rendement des cultures, etc.) nécessite une meilleure gestion politique des ressources afin d’éviter au mieux des conséquences importantes pour les plus vulnérables, ainsi qu’un accroissement de l’insécurité alimentaire, des déplacements massifs de populations ou encore un faible accès aux ressources en eau.
Une meilleur gouvernance environnementale en Afrique : un nécessaire besoin de suivi et d’alternatives viables
Il est essentiel d’anticiper les impacts du changement climatique et des dégradations environnementales sur les écosystèmes. La destruction de la faune et de la flore au Congo, ou les conséquences socio-politiques découlant de la sécheresse du Lac Tchad sont deux exemples d’une multitude de situations présentes sur le continent africain.
Afin de lutter contre les dégradations environnementales liées aux conflits, il est essentiel d'offrir des alternatives énergétiques, agricoles et hydriques viables aux populations en proies à ces dégradations ainsi qu’à l’impact du changement climatique. L’incorporation de stratégies d’adaptation des populations pourrait permettre de créer des communautés résilientes aux changements environnementaux et aux chocs géopolitiques.
Il est certain qu'un manque de données sur la situation environnementale africaine est un frein réel et compréhensible à l'action politique. L’investissement dans la recherche et la mise en place de systèmes de suivis locaux des évolutions environnementales et climatiques permettrait une meilleure compréhension des dynamiques régionales et une meilleure gestion des ressources.
En 2015, 90 % des États africains ont ratifié l’Accord de Paris, ce qui est encourageant mais peu concluant sans un engagement et une coopération nationale et régionale efficace de ces États. Afin de lutter contre davantage de dégradations environnementales et climatiques, certaines organisations demandent même que les différentes armées du monde, notamment l’armée américaine, s’engagent dans la lutte contre les gaz à effet de serre lors de la COP26.
Le Royaume-Uni accueillera du 1er au 12 novembre 2021 la 26e conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique. Elle aura quatre objectifs : assurer un taux zéro d'émissions et garder la possibilité d'une augmentation de 1,5°C ; s'adapter pour protéger les communautés et les habitats naturels ; mobiliser la finance ; travailler ensemble pour obtenir des résultats. L'Afrique contribue à seulement 4 % des émissions globales de gaz à effet de serre (GES), et pourtant son développement socio-économique est gravement menacé par la crise climatique. La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques estime qu'il est urgent de placer l'Afrique au cœur des négociations climatiques. Il est temps que des décisions à la hauteur de cette urgence soient prises début novembre.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Joseph Delgove est Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy et travaille sur les enjeux de géopolitique du climat et de sécurité climatique.