73 % des Français accordent de l’importance à la politique étrangère des candidats à l’élection présidentielle. Trois quarts de citoyens attentifs et exigeants, voilà qui surprendra les animateurs du débat public qui relèguent les enjeux internationaux en bas de page ou en fin d’émission.
Cette étude menée par OpinionWay pour l’Institut Open Diplomacy(1) et présentée en exclusivité dans Les Echos révèle qu’il y a même 23 % de sondés qui y attachent « beaucoup d’importance ». Force est de le constater : les Français ont bien compris qu’à l’heure de la mondialisation l’international joue sur toutes les politiques qui les concernent.
Ce n’est pas étonnant ! Nous nous demandons si nous pourrons nous retrouver à Noël malgré la COVID ? Cela dépend de notre capacité à éradiquer, par notre coopération à l’OMS, la pandémie de coronavirus. Nos jeunes s’inquiètent pour le climat et l’avenir qui les attend ? C’est un défi qui doit se résoudre à la COP ! Nos entreprises espèrent la fin de la concurrence déloyale ? Cela se joue à l’OMC. Et sur le dumping fiscal ? L’OCDE doit préparer la mise en œuvre de l’accord du G20 de Rome sur la fiscalité minimale des bénéfices.
Les sujets de société qui se jouent à l’échelle mondiale sont omniprésents dans le quotidien. Nos fiches de paie ? Les « candidats du travail » savent que notre modèle social, unique au monde, nécessite de rééquilibrer les rapports géo-économiques pour être préservé dans une concurrence féroce. Nos factures à la pompe ? Les « candidats du pouvoir d’achat » sont bien conscients que ce sujet est terriblement géopolitique, qu’il dépend de notre indépendance énergétique et des alliés (ou adversaires) qui nous approvisionnent. Les masques sur nos visages ? N’importe quel candidat sérieux sait qu’on ne pourra les retirer définitivement que lorsque la pandémie sera éradiquée après une vaccination universelle de la population mondiale.
Les Français l’ont compris : pour gouverner la France, il faut des solutions pour la gouvernance mondiale. Nos frontières se sont ouvertes, grâce aux routes commerciales et aux infrastructures de télécommunication que nous avons bâties. Les fermer, alors qu’elles ont fait notre prospérité et contribué à la paix, leur paraît souvent illusoire. Les maîtriser, grâce à des solutions internationales claires, apparaît clairement comme une nécessité.
2017, l’illusion du souverainisme
Lors de la précédente élection présidentielle, la question internationale qui a été tranchée dans le débat était mal posée. On a opposé « les souverainistes » aux « candidats de la mondialisation ».
C’est un non-sens philosophique car la souveraineté du peuple français n’appartient à aucun camp politique : l'autodétermination des citoyens de cette Nation est même ce qui l’a fondée.
Aucun candidat ne s’engage dans l’idée de se soumettre à un ordre global qui écraserait la capacité des Français à tracer leur propre voie. L’« exception française », si surprenante vu de l’étranger, est une banalité politique pour tous nos concitoyens. Cette farouche volonté de choisir notre propre destin, souvent reçue comme une forme d’arrogance à l’étranger, est le produit du système français lui-même : son désir sincère d’exprimer son libre arbitre, savamment cultivé dans les écoles de la République, y compris quand il s’agit de la place du pays dans l’ordre international.
En 2017, le débat public s’est mal posé car les commentateurs avaient utilisé le terme de « souverainistes » pour qualifier l’extrême-droite et une partie de la gauche radicale, alors que tous les candidats sérieux parlaient de souveraineté, y compris les avocats d’une souveraineté européenne. Et pour cause : notre monde, nettement plus géopolitique, met nos intérêts aux défis dans tous les domaines.
Le meilleur clivage sépare en réalité ceux que j’appellerais aujourd’hui les néo-identitaires et néo-internationalistes.
Les néo-identitaires réduisent systématiquement et exclusivement les enjeux internationaux à quelques totems liés à l’identité de la France (les migrations, l’Islam…).
Les alliances diplomatiques qu’ils proposent aux Français correspondent à des régimes qui - comme eux - s’affirment à l’échelle mondiale par leur revendication identitaire.
Le Rassemblement national affirme clairement sa préférence pour la Russie de Poutine bâtie sur le conservatisme culturel et l’autoritarisme politique présentés à Moscou comme les meilleures réponses aux besoins des intérêts russes, quitte à exclure - voire violenter - toutes les minorités - religieuses, sexuelles, ethniques - vues comme des ennemis politiques. La proximité de Marine Le Pen avec l’idéologue du néoconservatisme de Donald Trump, Steve Banon, fait la symétrie de l’autre côté de l’Atlantique.
En 2022, les néo-identitaires ont même un nouveau porte-parole qui va plus loin : Eric Zemmour, qui revendique même son admiration pour les terroristes islamistes « prêts à payer de leur vie pour leur religion ». Cette projection de la Nation française dans le monde résulte d’une conception fichtéenne de la Nation façonnée intégralement par son héritage culturel, linguistique, religieux et ethnique.
Les néo-internationalistes ont pris acte du monde tel qu’il est et formulent une politique globale qui répond aux défis du quotidien des Français (et pas à leurs interrogations identitaires).
Les alliances diplomatiques qu’ils proposent sont fondées sur des projets concrets à réaliser : la diplomatie féministe, pour réaliser l’égalité entre les femmes et les hommes ; la diplomatie écologiste, pour réaliser la transition écologique ; la diplomatie économique, pour réaliser les ambitions de nos entreprises et nos objectifs en matière d’emploi. Cette diplomatie du réel, fondée sur les projets concrets, correspond à une toute autre vision de la Nation. C’est la vision de Renan, dont les mots ont marqué l’Histoire de France dès 1882 : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »
2022, avantage au néo-internationaliste Emmanuel Macron
Si en 2017 le débat était mal posé, il a en revanche été nettement tranché. La victoire électorale d’Emmanuel Macron est confirmée par une confiance très nette aujourd’hui, fondée sur une victoire idéologique, et un socle politique stable.
74 % des Français estiment que l’influence mondiale de la France est stable ou s’est renforcée durant le quinquennat d’Emmanuel Macron. Parmi ceux-ci, 29 % créditent d’ailleurs le Président pour avoir renforcé la puissance française. Cette performance est remarquable dans un contexte international souvent considéré comme anxiogène voire chaotique. Cette confiance puise dans les principaux succès diplomatiques que l’opinion lui reconnaît : la relance franco-allemande pour répondre aux conséquences économiques et sociales de la pandémie ; sa stratégie de solidarité vaccinale ; sa diplomatie climatique pour défendre l’héritage de la COP 21 après le retrait américain de l’Accord de Paris sur le climat.
Le crédit qui lui est accordé pour avoir renforcé la place de la France dans le monde repose, plus fondamentalement, sur une victoire idéologique du logiciel néo-internationaliste. Les Français ont compris et approuvent la doctrine diplomatique du président de la République fondée sur quatre principes.
- « Savoir remettre en cause nos alliances, plutôt que de ne pas parler des désaccords internationaux » ? 73 % des Français approuvent ce principe d’indépendance posé par Emmanuel Macron, qui rappelle à quel point le néo-internationalisme n’est pas un anti-souverainisme. Les formules chocs comme « l’Otan en état de mort cérébrale » forment la signature de cette diplomatie qui se veut libre.
- « Privilégier la coopération internationale, plutôt que contourner le système multilatéral » ? 70 % des Français approuvent l’attachement d’Emmanuel Macron, le candidat néo-internationaliste, à la défense d’un multilatéralisme efficace, à contre courant de l’action néo-identitaire qui sape les Nations unies (cf. Trump et son retrait de l’Accord de Paris en pleine crise climatique ou de l’OMS en pleine crise pandémique ; cf. les vétos russes en pleine crise humanitaire en Syrie).
- « Défendre nos intérêts grâce à l’influence européenne, plutôt que d’agir seulement par la voie nationale » ? 69 % des Français confirment cette hypothèse très structurante de la diplomatie néo-internationaliste. Les réalités économiques et démographiques ont progressivement validé l’approche néo-internationaliste d’une action communautaire sur la scène internationale pour avoir de l’influence face aux États-continents avec qui nous traitons.
- « Mobiliser les entreprises et les ONG dans l’action internationale, plutôt que de coopérer exclusivement avec des acteurs publics » ? 68 % des Français soutiennent cette idée qui permet les coalitions derrière chaque initiative de cette « diplomatie par projets » issue du logiciel néo-internationaliste.
En dernier lieu, les Français sont clairs : aucun des concurrents d’Emmanuel Macron en 2017 n’aurait conduit une meilleure politique internationale que lui. Pour Marine Le Pen, seulement 20 % des Français estiment qu’elle aurait fait mieux. Elle devance François Fillon (17 %), Jean-Luc Mélenchon (13 %) et Yannick Jadot (12 %). Pire, ces quatre adversaires sont tous clairement déjugés par les Français : entre 35 % (Fillon) et 58 % (Mélenchon) estiment qu’ils auraient moins bien conduit les affaires du pays à l’échelle mondiale.
Alors que les candidats (ou leurs successeurs) portent les mêmes idéologies lors de ce scrutin, il est fort à parier que le néo-internationalisme d’Emmanuel Macron garde un avantage sur le terrain international. Alors vu l’importance que les Français accordent à la politique étrangère du pays, les programmes diplomatiques sont très attendus d’ici au 10 avril 2022. Ils devront être mis au débat rapidement car les Français l’expriment : l’international ayant fait irruption dans chacune de nos politiques nationales, celui ou celle qui brigue la magistrature suprême doit se préparer à siéger au Conseil européen ou au G20 pour défendre les intérêts des Français.