Près d’un an après la chute de Robert Mugabe, le nouveau président Emmerson Mnangagwa tente de trancher avec le style de son prédécesseur et de renouer avec la communauté internationale. Mais la situation politique et économique actuelle du Zimbabwe est encore marquée par les années Mugabe.
Annoncé le 7 septembre dernier, le nouveau gouvernement d’Emmerson Mnangagwa a fait sensation avec la nomination du professeur Mthuli Ncube au ministère des finances et de la nageuse blanche Kirsty Coventry en tant que ministre des sports[1]. Économiste réputé, Mthuli Ncube est un ancien économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement (BAD)[2]. Avec Winston Chintando, le ministre des mines, ils forment un duo de technocrates à même de rassurer les investisseurs étrangers et les bailleurs internationaux dont la confiance et l’intérêt pour le Zimbabwe sont à reconstruire. En parallèle, la nomination de Kirsty Coventry, ancienne médaillée olympique, est un signal d’apaisement à l’attention de la communauté blanche du Zimbabwe, encore traumatisée par la violente réforme agraire de l’ère Mugabe.
Emmerson Mnangagwa, nouveau Président du Zimbabwe
Un gouvernement de combat pour un pays en crise
Au moment où Emmerson Mnangagwa accède au pouvoir en novembre 2017, le pays est exsangue. Le fameux « troisième Chimurenga[3] » qu’a été la réforme agraire au début des années 2000 n’a pas eu les effets attendus sans compter qu’elle a enclenché une série de sanctions internationales dévastatrices pour l’économie zimbabwéenne. Entre 1999 et 2008, le PIB du pays a quasiment été divisé par deux. L’hyperinflation qu’a connu le pays pendant plusieurs années (évalué à 24 411% en 2007 par la Banque mondiale) a détourné les citoyens de la monnaie locale, préférant alors utiliser le dollar ou le rand[4]. Enfin, la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations) considère toujours aujourd’hui le Zimbabwe comme l’un des pays les plus exposés au monde à l’insécurité alimentaire.
Alors, si les foules étaient en liesse dans les rues de Harare pour le départ de Robert Mugabe le 21 novembre 2017, le nouveau président a compris très vite qu’il devait redonner une légitimité à un régime en fin de vie sur lequel les critiques et les pressions s’accumulaient. Très vite, il tranche avec son prédécesseur en déclarant le pays « open for business » et en annonçant vouloir régler les dettes auprès de la Banque africaine de développement et de la Banque mondiale. Dans une tribune intitulée « We are bringing about the New Zimbabwe » publiée dans le New York Times en mars 2018, le président – alors par intérim – du Zimbabwe expliquait sa vision du renouveau zimbabwéen : « un pays avec une économie prospère et ouverte, des emplois pour ses jeunes, des opportunités pour les investisseurs, la démocratie et l'égalité des droits pour tous »[5]. Le nouvel homme fort se veut également rassurant envers les investisseurs étrangers en assurant que la transparence et l’état de droit seront respectés. Plusieurs annonces vont déjà dans ce sens comme l’abandon de l’inscription obligatoire des entreprises minières à la bourse locale[6].
Le « crocodile » peut-il incarner le changement ?
Pourtant, il est difficile de parler de rupture dans la vie politique zimbabwéenne avec l’arrivée d’Emmerson Mnangagwa à la tête du pays[7]. Apparatchik du ZANU-PF[8], il occupe plusieurs postes de ministre et fut même vice-président entre 2014 et 2017 jusqu’à sa brutale éviction. Il a longtemps été considéré comme le dauphin de Robert Mugabe. Si son rôle exact dans les massacres du Matabeleland reste flou, il est clair que dans l’esprit des Zimbabwéens, ces sombres événements constituent une tache indélébile sur le CV du nouveau président. Par ailleurs, ses années en tant que ministre de la Sécurité d’État entre 1980 et 1988 lui ont permis de créer des liens importants avec l’armée et les services de renseignement, notamment avec le vice-président actuel, le général Constantino Chiwenga.
En outre, les conditions de son arrivée au pouvoir témoignent de la porosité du régime actuel avec les militaires. Si l’ascension de Mnanagagwa s’est faite sans violence, le « soft coup » reste un coup d’État organisé par l’armée et non le résultat d’un quelconque mouvement populaire ou processus démocratique. Plusieurs observateurs doutent ainsi de la capacité du gouvernement à pouvoir réellement réformer le pays considérant le poids de l’appareil militaire, dont une partie pourrait se satisfaire d’une forme de statu quo afin de protéger ses intérêts.
De plus, il est peu probable que la Chine, principale partenaire économique du pays, fasse pression sur Harare pour insuffler une transition démocratique. Au contraire, l’intensité du lien unissant les deux pays pourrait être un frein à l’ouverture du Zimbabwe aux institutions internationales et aux pays occidentaux, connus pour leur attachement aux droits de l’homme. Or, Mnangagwa ne peut se permettre de se brouiller avec Pékin dont les investissements restent aujourd’hui indispensables pour le Zimbabwe. Un difficile exercice d’équilibriste attend Mnangagwa, qui devra jongler entre les appels du pied des Occidentaux et le maintien de la précieuse relation chinoise[9].
Constantino Chiwenga, ancien chef d'Etat-major des armées,
à présent vice-président du Zimbabwe
Les élections d’août : un coup d’arrêt ?
Néanmoins, la présomption de bonne volonté du nouveau leader zimbabwéen semblait prévaloir au sein de la communauté internationale jusqu’aux élections de cet été. Appelés aux urnes le lundi 30 juillet 2018, les Zimbabwéens ont témoigné leur enthousiasme pour la première élection sans Robert Mugabe depuis 1980, avec un taux de participation de 75%. Le 3 août, Emmerson Mnangagwa est élu Président de la République dès le premier tour, avec 50,8% des voix, face au leader de l’opposition Nelson Chamisa qui obtient 44,3% des suffrages[10]. Mais entre-temps, une manifestation de l’opposition le 1er août a été violemment réprimée, débouchant sur la mort de six personnes. Depuis, l’opposition ne cesse de contester le résultat de l’élection présidentielle et l’image de réformateur Mnangagwa est durablement mise à mal auprès de la communauté internationale[11].
Après cette violente répression, la question sempiternelle depuis la chute de Robert Mugabe revient : qui gouverne vraiment le Zimbabwe ? Différentes théories s’affrontent. Certains considèrent qu’il y a deux centres de pouvoir au Zimbabwe, un pôle militaire incarné par le vice-président Constantino Chiwenga, ex-chef d’état-major des armées, représentant l’aile dur du régime[12], et un pôle de réformateurs voulant renouer avec la communauté internationale porté par le Président Mnangagwa. Tandis que d’autres estiment qu’en réalité, les deux hommes sont alliés de longue date pour prendre le pouvoir et que les annonces de réformes sont purement cosmétiques[13]. Les scandales de détournement d’argent lié aux diamants sous l’époque Mugabe, profitant notamment aux forces de sécurité, révélés par Global Witness en 2017 seront l’occasion de voir quelle marge de manœuvre le gouvernement possède face à l’institution militaire[14]. À ce titre, l’engagement, ou l’absence d’engagement de poursuites judiciaires sera révélateur.
Un nouveau Zimbabwe à l’ancienne
Comme un terrible symbole rappelant que le Zimbabwe n’est pas tiré d’affaire, le choléra a frappé le pays, notamment la capitale, faisant une cinquantaine de morts[15]. Aujourd’hui, les Zimbabwéens ont le sentiment de retrouver d’anciens démons de l’ère Mugabe comme l’hyperinflation et les queues sans fin devant les magasins[16]. La population ne trouvant plus le moyen de se procurer certains produits essentiels. Selon l’agence des statistiques du Zimbabwe, l’inflation a atteint son plus haut niveau depuis 2010. Si le ministre Ncube tente de rassurer les bailleurs internationaux en promettant de payer les arriérés du Zimbabwe au FMI et à la Banque africaine de développement[17], il n’arrive pas à convaincre les Zimbabwéens de faire confiance au nouveau gouvernement. L’annonce de la séparation des dépôts en dollars et en zollars n’ont fait qu’alimenter la rumeur d’une dévaluation prochaine, faisant encore grimper l’inflation.
Dans une tribune publiée dans le Financial Times le 13 novembre 2018, le président Mnangagwa ne mâche pas ses mots : « Le Zimbabwe n’a d’autres choix que de procéder à de douloureuses réformes »[18]. Se comparant volontiers à Margaret Thatcher face à la situation du Royaume-Uni en 1979, le nouveau président assume totalement ses appels du pied aux bailleurs internationaux et aux investisseurs étrangers avec un programme économique libéral censé réduire le poids du secteur public et privatiser l’économie.
Mais cette tribune sonne également comme un appel à l’aide. Si le président Mnangagwa et son ministre des finances ne ménagent pas leurs efforts pour vendre le « nouveau Zimbabwe », force est de reconnaître que les investisseurs ne se pressent pas vers l’ancien grenier à céréales de l’Afrique australe. Sur le plan interne, les Zimbabwéens restent sceptiques sur la capacité du « crocodile » à véritablement réformer le pays alors que la situation actuelle rappelle certaines terribles scènes du passé. Un an après la chute de Robert Mugabe, le nouveau Zimbabwe ressemble encore beaucoup à l’ancien.
Robert Mugabe, Président du Zimbabwe de 1987 à 2017
[1] MUDZINGWA Tobias, « President announces cabinet », The Herald, 07 septembre 2018
[2] MACDONALD Dzirutwe, « Zimbabwe's Mnangagwa names ex-banker Mthuli Ncube finance minister », Reuters, 07 septembre 2018
[3] Signifiant « rébellion » en langue shona, le Chimurenga évoque les luttes de résistance des Shonas et des Ndebeles contre le pouvoir britannique à la fin du 19e. Ce terme a été réutilisé par la suite pour désigner la lutte contre le pouvoir rhodésien dans les années 60-70 et lors du lancement de la réforme agraire dans les années 2000.
[4] Direction générale du Trésor, « Zimbabwe – situation économique et financière », avril 2018
[5] MNANGAGWA Emmerson, « We are bringing about the New Zimbabwe », New-York Times, 11 mars 2018
[6] La Tribune Afrique, « Zimbabwe : Harare lâche du lest sur la réforme minière », 24 avril 2018
[7] HAMILL James, « The three barriers blocking Zimbabwe’s progress: Zanu-PF, Mnangagwa and the military », The Conversation, 29 décembre 2017
[8] Fondé en 1963, d'obédience marxiste, l’Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique (ZANU-PF) est un mouvement majeur de libération du Zimbabwe puis le principal parti politique du pays depuis l’indépendance. Il est longtemps dirigé par Robert Mugabe, auquel Emmerson Mnangagwa succède en 2017.
[9] LE BELZIC Sébastien, « A Pékin, le président Mnangagwa veut montrer que le Zimbabwe est de nouveau ouvert aux investissements », Le Monde Afrique, 03 avril 2018
[10] BBC, « Zimbabwe election: Emmerson Mnangagwa declared winner in disputed poll », 03 août 2018
[11] COTTERRIL Joseph, « Zimbabwe’s post-election crackdown scuppers investment hopes », Financial Times, 12 août 2018
[12] RFI, « Manifestation réprimée au Zimbabwe : qui contrôle l’armée ? », 05 août 2018
[13] TENDI Blessing-Miles, « Le pacte des nouveaux maîtres du Zimbabwe », Jeune Afrique, 21 août 2018
[14] GLOBAL WITNESS, « An inside job - Zimbabwe: The state, the security forces, and a decade of disappearing diamonds », 11 septembre 2018
[15] Sunday Times, « Cholera death toll climbs to 45 in Zimbabwe », 25 septembre 2018
[16] The Economist, « Zimbabwe’s shops are empty and prices are soaring », 20 octobre 2018
[17] La Tribune Afrique, « Le Zimbabwe solde une partie de ses arriérés auprès des créanciers internationaux », 22 octobre 2018
[18] MNANGAGWA Emmerson, « Zimbabwe has no choice but to embark on painful reforms », Financial Times, 13 novembre 2018
*Léonard Lifar est également consultant en affaires publiques et communication pour la zone Afrique subsaharienne chez 35°Nord.