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Le World Health Summit : entre ambitions affichées en santé mondiale et réalité des actions, un sommet contrasté

| Yara El-Eleywa Le Corff

22 octobre 2021

Le World Health Summit entend proposer une approche actuelle sur une grande majorité des enjeux de santé mondiale

Créé en 2009 à l’occasion du 300ème anniversaire de l’hôpital universitaire La Charité de Berlin, le World Health Summit (WHS) se tiendra du 24 au 26 octobre. Ce sommet, forum stratégique sur la santé mondiale, est organisé sous le haut patronage de la Chancelière allemande, Angela Merkel et du Président de la République française Emmanuel Macron, ainsi que de la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et du Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, ès qualités.

Le WHS a vocation à œuvrer pour l’amélioration et l’innovation en santé mondiale en favorisant la rencontre des leaders de la santé, via une approche portée sur le développement en santé, avec en ligne de mire les Objectifs de Développement Durable (ODD). Comme l’indique l’un des mottos du WHS, « health is more than medicine and health is a human right ».

Le volet académique du WHS est assuré par le M8, qui consiste en une alliance d’universités, d’académies de sciences et de médecine, ainsi que d’institutions de recherche, dont l’objectif principal est de mener de la recherche translationnelle (dite de « bench-to-bedside », ou « de la paillasse au lit du patient »).

Inscrit dans une démarche de travail et de promotion de la santé mondiale, le WHS a accueilli le lancement de quelques publications pour asseoir sa légitimité, et notamment le rapport « Health : A Political Choice ; Act Now, Together » de 2020, issu d’une collaboration entre l’OMS et le Global Governance Project appelant les gouvernants à unir leur réponse contre la COVID-19. Le 27 juin 2021, le sommet régional du WHS s’est ainsi soldé par la Déclaration de Kampala, signée notamment par le Président de l’Ouganda, Yoweri Kaguta Museveni et le Directeur général de l’OMS, qui souligne l’importance de la solidarité et de la collaboration entre pays pour assurer l’équité vaccinale contre la COVID-19 et l’amélioration de la distribution des doses, encore très disparate, malgré les efforts mis en œuvre par le mécanisme COVAX, ouvert en avril 2020.

La Déclaration de Kampala rappelle que le vaccin doit être un bien public mondial, dont la limitation ou la pénurie nuit aux populations et à l’économie mondiale. Le World Health Summit suit donc les traces de l’initiative GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunisation), elle-même parmi les démarches fondatrices du programme COVAX, dont l’objectif est d’accélérer la mise au point et la fabrication de vaccins contre la COVID-19 et d’en assurer un accès juste et équitable, à l’échelle mondiale.

Forum d’action politique ou agora des organisations internationales en santé, le positionnement du World Health Summit interroge

Faisant prévaloir un réel positionnement stratégique et efficient dans l’écosystème de la santé mondiale – en attestent les qualités et expériences des participants (scientifiques et universitaires, hommes politiques, représentants de l’industrie, membres de la société civile) – le programme 2021 du WHS « coche » tous les sujets d’actualité en la matière : la sécurité et la gouvernance sanitaires mondiales après la COVID-19, l’impact de la COVID-19 sur la santé des migrants et des réfugiés, ainsi que sur la santé mentale, le degré de préparation des systèmes de santé nationaux en anticipation de futures pandémies (« pandemic preparedness »), ou encore l’impact du changement climatique sur les systèmes de santé et l’empowerment des jeunes citoyens sur les questions de gouvernance en santé mondiale. Pour l’édition 2021, le WHS a également innové en ouvrant l’initiative « Entrepreneurs in Global Health », qui met à l’honneur six start-ups œuvrant dans le domaine de la santé mondiale.

Le WHS s’empare ainsi d’un grand nombre de sujets, avec un accent mis, par ailleurs, sur le renforcement du rôle de l’Union européenne dans la santé mondiale et le « One Health », concept contemporain récemment invoqué pour promouvoir une prise de conscience de l’interdépendance des santés humaine, animale et environnementale.

Touche-à-tout, et ne constituant pas l’émanation d’une organisation internationale reconnue dans le champ de la santé – si l’OMS est évidemment l’un des partenaires du sommet, aucun lien juridique ou fonctionnel ne semble exister entre eux – le WHS se situe au carrefour des sommets d’opportunité qui donnent une résonance internationale à des questions contemporaines, et des événements réellement politiques, comme le premier Sommet mondial sur la santé (le « Global Health Summit »), qui s’est tenu à Rome le 21 mai 2021 et a réuni, sous la présidence de la Commission européenne et de l’Italie, les dirigeants du G20, les responsables d’organisations internationales et régionales ainsi que les représentants d’organismes de santé mondiaux.

Il est ardu, dès lors, de comprendre le rôle d’un tel sommet dans un écosystème d’organisations œuvrant et communiquant de manière stratégique sur les enjeux sanitaires mondiaux. Le WHS est en réalité un forum de réflexion et d’expression, qui ne semble pas avoir d’autre vocation plus opérationnelle. Son atypie de positionnement est confortée par le déséquilibre des représentations en son sein : majoritairement investi par les représentants et experts allemands, le WHS laisse une place relative à la présence française.

La discrétion de la France, volontairement engagée sur les enjeux de santé mondiale, au sein du World Health Summit questionne son importance

L’implication de la France au bénéfice des grands enjeux de santé mondiale est indéniable. Forte de sa tradition historique en matière de coopération sanitaire internationale (co-création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en 2002, implication dans UNITAID depuis sa création en 2006, coopérations entre établissements français et internationaux), la France contribue, annuellement, à hauteur de 500 millions d’euros au bénéfice des fonds multilatéraux. Elle a, en 2019, accueilli la Conférence de Reconstitution du Fonds mondial à Lyon, dont elle est le deuxième membre contributeur après les États-Unis avec 4,8 milliards d’euros versés depuis sa création. Le 27 septembre 2021, à Lyon de nouveau, elle a accueilli la cérémonie de lancement des travaux du campus de l’Académie de l’OMS, dont l’ouverture est prévue en 2024.

La France a toujours affiché, a fortiori à la suite de la pandémie de COVID-19, une réelle exemplarité en santé mondiale. Fait remarquable au niveau international, a été créé en France un poste d’Ambassadeur pour la santé mondiale, rattaché au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et siégeant notamment au Conseil d’administration du Fonds mondial ainsi que d’UNITAID. Ce poste particulier ou son équivalent, témoin d’une volonté politique forte en santé mondiale, existe, dans une forme plus restrictive, aux États-Unis (Ambassador-at-Large and HIV/AIDS Coordinator), et a également été ouvert dans les pays nordiques (Suède, Norvège, Finlande, ainsi qu’au Danemark). Ni l’Allemagne, ni l’Italie, ni l’Espagne, ni le Royaume-Uni ne semblent pour l’instant avoir embrassé cette perspective.

La présence française clairsemée au sein du World Health Summit interroge donc. Bien que placé sous le haut patronage du Président de la République, le sommet n’a connu qu’un seul président français, à sa création en 2009, Axel Kahn. La France n’est ni représentée au sein du Conseil du sommet, ni de son Comité scientifique, ni du Comité exécutif du M8, ni de ses ambassadeurs. Les institutions françaises ne sont opérationnellement représentées au Sommet que par le biais de l’Alliance M8, au sein de laquelle siège « l’Université de Paris » (née de la fusion entre les universités de Paris-Descartes et Paris-Diderot, ainsi que de l’Institut de Physique du Globe de Paris).

Il est également intéressant de constater, même si ces éléments ne suffisent pas à l’analyse, la disparité significative en nombre d’intervenants entre les pays participant au Sommet. Si le caractère international de l’événement est avéré (plus d’une cinquantaine de pays y sont représentés, de tous les continents), cinq pays trustent la grande majorité des forums de discussion : le Royaume-Uni (31 speakers recensés), les États-Unis (45), la Suisse (64), la France (16) et l’Allemagne (90).

Si la forte présence suisse s’explique largement par le fait qu’un nombre significatif d’experts proviennent de l’OMS (dont le siège est à Genève), la disproportion entre la représentation française et allemande, alors que le sommet est placé sous le haut patronage de leurs chefs d’Etat respectifs, interroge. Certes, au nombre des intervenants français se trouvent le Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, et l’Ambassadrice pour la Santé mondiale, Stéphanie Seydoux, dont les enjeux sanitaires internationaux sont au cœur des missions. La discrétion française au WHS reflète néanmoins une certaine désaffection, d’autant plus dommageable qu’elle ne rend pas justice au travail précurseur et incontournable de la France en santé mondiale.

En tout état de cause, le WHS reste un sommet incontournable, que la France ne doit pas délaisser. L’organisation d’un sommet régional du WHS (qui se produit annuellement, depuis 2013) en France pour la première fois, alors qu’il s’est déjà tenu en Suisse, au Portugal, et qu’il se tiendra en Italie en 2022, pourrait changer la dynamique française au sein du sommet. Dans cette attente, une meilleure communication sur le sommet par les autorités françaises et des incitations à la participation des établissements et des acteurs de la santé mondiale en France – la participation au sommet est digitale et gratuite – permettra une plus grande mobilisation nationale.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Yara El-Eleywa Le Corff, Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille principalement sur les questions de santé mondiale.