Depuis le 1er janvier 2021 le Royaume-Uni a définitivement quitté le cadre juridique de l’Union européenne. En théorie, il est désormais libre de nouer des relations commerciales avec de nouveaux partenaires, mais en pratique sa marge de manœuvre demeure restreinte. En décembre 2016, le secrétaire aux affaires étrangères de Theresa May, un certain Boris Johnson, présente la stratégie du pays pour les années à venir : « Beyond Brexit: a Global Britain ». Selon cette stratégie, le Brexit n’aurait pas pour conséquence de rompre les liens du pays avec les Européens, mais il lui permettrait de conclure plus facilement de nouveaux accords commerciaux avec le reste du monde. Le Royaume-Uni pourrait alors se tourner vers son allié américain ou son ancien empire pour ainsi devenir le nouveau centre de gravité du commerce international de biens et de services.
Quatre ans après, Boris Johnson est devenu Premier ministre, le Royaume-Uni a quitté l’UE et, depuis la conclusion de l'accord de commerce et de coopération entre Bruxelles et Londres, les contours de leur relation commencent enfin à se dessiner. Il est maintenant temps pour le gouvernement britannique de tenir les promesses faites aux électeurs en 2016.
Cependant le Brexit peut-il réellement marquer, pour le Royaume-Uni, le début de nouvelles stratégies de politique commerciale, tournées vers le reste du monde ? En juillet 2017, le secrétaire pour le commerce international Liam Fox annonçait que l’accord commercial qui serait négocié entre Londres et Bruxelles serait « l’un des plus simples de l’histoire de l’humanité ». La réalité s’est montrée plus compliquée que ne l’espéraient les Brexiters. Il se pourrait qu’il en soit de même pour l’avènement d’un Royaume-Uni « globalisé ». Arrêtons-nous sur les principales pistes envisagées par le gouvernement britannique et sur leurs limites.
Le Commonwealth, une « aimable illusion »
En 2019 les 27 représentaient 42 % des exportations du Royaume-Uni et 52 % de ses importations. Le premier défi d’un Royaume-Uni qui entend devenir « global » est donc de trouver de nouveaux partenaires commerciaux qui lui permettraient d’être moins dépendant du marché unique. Sur le papier, le Commonwealth représente une alternative alléchante : 54 États, 2,5 milliards d’habitants, un PIB nominal estimé à 13.000 milliards $ en 2020, environ 15 % du PIB mondial et un taux de croissance de 4,4 % par an depuis 1972. Toutefois, cette piste est loin d’être aussi intéressante qu’il n’y paraît.
La première limite du Commonwealth réside dans ses institutions. Comme l’a relevé le Council on Foreign Relations, le Commonwealth est une organisation internationale classique, les décisions y sont donc prises par consensus. Pour les Britanniques qui jugeaient une UE à 28 où les décisions étaient essentiellement prises à la majorité trop lourde, il y a fort à parier qu’un consensus à 54 ne constitue pas une alternative bien plus efficace.
La deuxième limite est d’ordre économique. Aujourd’hui les économies du Commonwealth sont faiblement reliées entre elles. À titre d'exemple, les États du Commonwealth représentent moins de 10 % des exportations du Royaume-Uni et moins de 9 % de ses importations.
Cela n’a pas toujours été le cas. Initialement, la « Communauté des Nations » permettait au Royaume-Uni de préserver son hégémonie économique sur son ancien empire colonial, malgré la décolonisation par le biais de la « préférence impériale ». En faisant le choix de l’intégration européenne, le Royaume-Uni est passé d’une préférence impériale à une préférence européenne. Cela n’a pas été sans conséquences pour les économies du Commonwealth, grandement dépendantes de leurs exportations vers Londres. Ces dernières ont donc suivi l’exemple du Royaume-Uni et privilégié des relations commerciales avec leur environnement régional immédiat.
En novembre 2020 l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont rejoint le projet de Partenariat régional économique global - RCEP, réunissant l’ASEAN, la Chine, la Corée du Sud et le Japon. Dans le même temps, les pays africains se tournent vers le projet de zone de libre-échange continentale africaine.
Plus de 50 ans après lui avoir tourné le dos, le Royaume-Uni se tourne donc à nouveau vers son ancien empire, ce qui peut questionner quant aux perspectives de succès d’une telle entreprise. En outre, notons que l’Australie, le Canada, l’Inde et le Royaume-Uni à eux seuls représentent les trois quarts du poids économique du Commonwealth, relativisant l’intérêt d’un accord à l’échelle de l’organisation toute entière.
Londres semble donc privilégier, pour l’instant, le développement de relations bilatérales. Toutefois elle devra se montrer particulièrement convaincante afin de persuader ses partenaires de se détourner de leurs propres espaces régionaux au profit du Royaume-Uni. Ces éléments ont conduit les observateurs de The Economist à qualifier, dès 2018, l’hypothèse d’un Royaume-Uni globalisé s’appuyant sur le Commonwealth « d'aimable illusion » : Londres s’est donc tournée vers la négociation d’accords bilatéraux plus prometteurs.
À la poursuite de nouveaux partenaires commerciaux
La stratégie aujourd’hui portée par le gouvernement britannique est donc de conclure des accords bilatéraux.Entre 2019 et 2020, Londres est parvenu à signer plus d’une trentaine d’accords commerciaux, représentant plus de 90 pays, les 27 compris. Pour l'essentiel, ils ne sont pas nouveaux, mais sont le fruit de la reconduite d’accords commerciaux initialement conclus quand le pays faisant partie de l’Union. Dans certains cas, le gouvernement britannique s’est félicité d’avoir obtenu des conditions plus favorables que celles dont il bénéficiait jusqu’à présent grâce aux accords européens : c’est le cas de l’accord signé avec le Japon. Pour le reste toutefois, Londres n’obtient rien de plus que lorsqu’elle était partenaire de Bruxelles. Il ne s’agit donc pas de faire mieux qu’avec l’UE, mais de ne pas faire pire.
Les Britanniques entendent bien-sûr aller plus loin. Londres est actuellement en négociation avec différents pays tels que l’Australie, le Bangladesh, la Nouvelle-Zélande, Taïwan ou la Turquie, mais aussi avec l’Inde. Jusqu’ici protectionniste, la politique commerciale indienne semble changer de direction. Début février, New Delhi annonçait entamer des pourparlers avec Londres mais aussi Bruxelles. Faut-il y voir une tentative pour concurrencer le rival chinois ? Quoiqu’il en soit, Londres compte bien saisir cette opportunité.
Des pourparlers sont également en cours avec certaines organisations internationales régionales dont le Conseil de Coopération du Golf, le Mercosur, mais aussi l’ASEAN dont le Royaume-Uni est devenu un partenaire de dialogue en janvier 2021.
Une autre piste aujourd’hui sérieusement envisagée à Londres est celle de l’Accord de partenariat transpacifique - CPTPP. En juin 2020, Londres annonçait officiellement son intention de rejoindre l’accord. Fin 2020, le Royaume-Uni avait signé des accords bilatéraux avec sept des onze pays du CPTPP ; et en était au stade des négociations avec deux autres. Les Etats-Unis ne figurent pas parmi les signataires du CPTPP : après dix années de négociations, Washington s’est finalement retiré du projet en 2018. Pourtant, c'est vers ce partenaire que les espoirs britanniques sont les plus grands.
Renforcer la « relation spéciale », une perspective pas si prometteuse
Premier partenaire économique du Royaume-Uni après l’UE, les États-Unis représentent 20 % des ses exportations et 12 % de ses importations. De plus, les échanges d’investissements directs entre les deux pays constituent une des relations bilatérales les plus fructueuses au monde. Il n’en fallait pas plus aux partisans du Brexit pour espérer qu’un accord de libre-échange permette une explosion des échanges.
L’hypothèse d’un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne est évoquée depuis le milieu des années 2000. Des négociations ont débuté en 2013, mais elles sont au point mort depuis 2016, avant même l’élection du président Donald Trump. La conclusion d’un accord entre Londres et Washington serait, pour Boris Johnson, la preuve qu’un Royaume-Uni indépendant peut faire mieux que l’UE. Toutefois, en mars 2020, un rapport du gouvernement britannique est venu tempérer ces espoirs d’essor économique. Selon ce rapport, dans l’éventualité d’une suppression de la totalité des barrières tarifaires et de la moitié des barrières non tarifaires, il en résulterait une hausse du PIB britannique de 0,16 % à 0,36 %. Au-delà des bénéfices économiques attendus, finalement très relatifs, la conclusion d’un tel accord ne se ferait sans surmonter la nouvelle donne politique.
Boris Johnson et Donald Trump n’avaient jamais caché leur sympathie mutuelle. Le Premier ministre britannique ne bénéficiera certainement pas de la même relation avec Joe Biden, qui s’est déjà montré attentif au maintien d’une frontière ouverte en Irlande. Selon ses propres déclarations c’est même une condition préalable à la signature de tout accord de libre-échange. L’élection du candidat démocrate n'exclut pas purement et simplement la possibilité d’un accord, mais elle réduit la marge de manœuvre du gouvernement britannique dans sa relation avec Bruxelles.
Par ailleurs, l’éventualité d’un tel accord soulève des inquiétudes au sein de l’opposition et de l’opinion publique.
La première porte sur le statut du service national de santé britannique, le NHS. Les prix des médicaments payés aux sociétés pharmaceutiques américaines par le NHS pourraient augmenter considérablement si un accord de libre-échange venait à être signé. Actuellement, les règles britanniques en vigueur régulent les prix auxquels les sociétés pharmaceutiques peuvent vendre leurs produits. L’assouplissement de cette réglementation pourrait constituer une contrepartie à la conclusion d’un accord de libre-échange pour Washington.
La seconde inquiétude porte sur les normes en matière de qualité alimentaire : la controverse, souvent réduite aux poulets américains nettoyés au chlore, concerne en réalité de nombreux autres produits. La réglementation européenne interdit leur importation, et Bruxelles tient à ce que cette règle soit maintenue par un Royaume-Uni ayant accès au marché unique. Dans le même temps, la levée de cette interdiction constituerait pour Washington une condition sine qua non à la conclusion d’un accord de libre-échange. Le maintien du Royaume-Uni au sein du marché unique et la conclusion d’un accord commercial avec les États-Unis apparaissent alors difficilement conciliables.
En dépit des promesses faites par les partisans du Brexit au cours de la campagne de 2016, la sortie de l’UE ne constituera vraisemblablement pas l’avènement d’un Royaume-Uni « globalisé » qui s’affranchirait de ses partenaires européens et de leurs règles. D’abord, il serait difficile pour Londres de convaincre de nouveaux partenaires de se détourner de leurs propres espaces régionaux sans devoir faire d’importantes concessions, notamment en termes de protection des consommateurs. Ensuite, un assouplissement des normes britanniques en matière technique, sociale, environnementale ne serait ni dans l’intérêt des consommateurs, ni dans celui de leur accès au marché européen.
Si, il y a cinquante ans, l'économie britannique a pu se détourner brutalement brusquement de son ancien empire, c’est car l’intégration européenne représentait une alternative économiquement plus intéressante. Force est de constater qu’aujourd’hui, il ne semble pas exister d’alternative plus avantageuse pour les Britanniques que le marché unique.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Rémi Wagenheim, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille principalement sur les diplomaties européennes ainsi que sur la politique extérieure russe.