En décembre 2019, Ursula von der Leyen, alors récemment élue à la tête de la Commission européenne, se rendait sur le continent africain pour sa première visite officielle hors de l’Union européenne - UE. Direction Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie, mais surtout siège de l’Union africaine - UA pour une rencontre avec son homologue, Moussa Faki-Mahamat. Mme von der Leyen met symboliquement en pratique sa volonté d’engager « une stratégie globale à l’égard de l’Afrique », annoncée dans son « programme pour l’Europe ».
L’année 2020 s’annonçait sous le signe des relations eurafricaines : nouvelle stratégie Afrique-UE publiée en mars, sommet UE-UA en octobre, négociations pour la refonte de l’accord de Cotonou arrivant à échéance en décembre, etc. Et pour la France, la préparation d’une saison culturelle de grande ampleur : Africa2020. Un calendrier bien chargé pour une année 2020 hautement symbolique, puisqu’elle marque l’anniversaire des indépendances d’un grand nombre d’États africains. On se laissait déjà aller à rêver d’un écho de 1960, la première « année de l’Afrique ».
Mais la Covid-19 est venue perturber le calendrier eurafricain. Face à la menace de la pandémie, le 6e sommet UE-UA est reporté à 2021. Le continent se voit prédire les pires catastrophes, notamment sanitaires. Pourtant, en Afrique, les chiffres viennent contredire les plus fatalistes : face à la Covid, le continent s’en sort, et cela contribue à donner une nouvelle image du continent, tourné vers l’avenir.
Entre concurrence des puissances et complémentarité des investissements en Afrique
Longtemps, le continent africain a été considéré par quelques puissances européennes comme une chasse gardée où seule une poignée de privilégiés pouvait y faire affaires. Les règles ont bien changé au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
Après l’heure des indépendances, vient celle de la négociation des partenariats sur la scène internationale. Les anciennes métropoles, notamment la France et le Royaume-Uni, ont mis sur pied des formes de coopération visant à accompagner le développement des jeunes États africains. Au fil de la construction européenne, l’Europe, notamment à l’initiative des deux anciens empires coloniaux, a entrepris des partenariats avec l’Afrique par une multitude d’accords successifs : ce furent Yaoundé I puis II, Lomé I, II, III puis IV, et enfin Cotonou en 2000.
Cependant, l’Afrique est toujours un continent où s’affrontent les puissances. Chacun cherchant à conserver ses appuis, ses partenariats, ses investissements fructueux.
En effet, pendant ces soixante années d’indépendances, d’autres ont cherché à créer des partenariats avec l’Afrique. La guerre froide a été l’occasion pour les États-Unis et les Soviétiques de prendre à leur tour pied sur le continent. Certains ont tenté de chercher une autre voie, celle des non-alignés. En 1955, à Bandung, de nombreux États se réunissent pour dire non à la logique des blocs qui s’imposent. Dès cette époque, la Chine populaire de Mao commence à regarder vers l’Afrique, alors non encore entièrement décolonisée. Progressivement de plus en plus de puissances investissent en Afrique, sous couvert d’aide au développement comme l’Inde, le Brésil, et même depuis quelques temps la Turquie.
Malgré les tentatives africaines de faire parler le continent d’une seule voix via l’Union africaine, cela reste difficile. Depuis sa fondation en 2002, l’UA est l’instance panafricaine suprême pour le dialogue avec les autres organisations dans le cadre de projets concernant le continent dans son ensemble. En dépit de ces volontés, le bilatéralisme est bien souvent la méthode de dialogue privilégiée par certains États africains, mais également par certains États européens, même si l’Allemagne tente de montrer la voie, notamment dans son Plan Marshall avec l’Afrique, où elle appelle les européens à « cesser de faire cavalier seul » en Afrique.
Les Africains entre eux ont montré les limites du multilatéralisme par leurs difficultés à concrétiser la coopération interne au continent comme, avec la création de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine - ZLECA, repoussée à janvier 2021. C’est en dépassant ce stade, et en allant vers davantage de coopération multilatérale qu’il sera possible de faire parler l’Afrique d’une seule voie.
Malgré la multiplication des partenariats par les États africains, l’UE reste encore le premier partenaire économique et commercial du continent africain. Mais si celle-ci souhaite conserver cette place de partenaire privilégié, la question d’une meilleure prise en compte des attentes africaines semble à revoir.
Vers un partenariat égalitaire
Depuis la refonte de l’UA au début des années 2000, se tient tous les trois ans un sommet UE – UA. Le 5e sommet qui s’est tenu à Abidjan en novembre 2017 a permis de tracer une nouvelle feuille de route des thèmes prioritaires dans la coopération entre les deux continents. Les priorités se résument en 5 grands axes : transition verte, transformation numérique, libre-échange continental, paix et bonne gouvernance, défi migratoire et mobilité des personnes.
Mais alors que l’Afrique se fait courtiser par diverses puissances, l’UE lui parle de questions migratoires et sécuritaires. Certes, il s’agit là d’enjeux importants et cruciaux, en raison notamment de l’importance du drame qui se joue en méditerranée, mais cela ne constitue pas les seules priorités du continent. Alors que l’Afrique souhaiterait œuvrer en priorité sur les trois premiers axes de coopération qui se sont dessinés à Abidjan, l’Europe insiste sur les deux derniers, constituant parfois des incompréhensions entre les deux entités.
L’un des reproches que les Africains opposent au partenariat UE-UA est le manque de prise en compte de la part des Européens de l’Afrique en tant que partenaire sur un pied d’égalité. L’UE aurait ainsi tendance à vouloir imposer ses valeurs, contrairement aux autres partenaires économiques et commerciaux de l’Afrique.
L’UE s’est fondée sur un certain nombre de valeurs détaillées dans l’article 2 du traité de l’UE. L’alinéa 5 de l’article 3 de ce dernier dispose que : « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts […]. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies ». Dans un partenariat, l’UE a donc « vocation » à tenter d’exporter les valeurs sur lesquelles elle s’est elle-même bâtie. Elle fait face dans ce cas à un certain nombre de critiques, et d’accusations d’une forme de paternalisme.
Une redéfinition du partenariat eurafricain apparaît aujourd’hui nécessaire, et la Commission européenne semble avoir pris la mesure des efforts à mener pour entamer une redynamisation de la coopération. Cependant, ce que demandent les Africains aujourd’hui, est tout d’abord une meilleure prise en compte de leurs intérêts. La renégociation des accords de Cotonou signé en 2000 permettrait à l’Europe de prouver sa bonne volonté dans ce domaine. L’UE aurait en effet tout à gagner dans la prise en compte de l’Afrique comme d’un partenaire égal pour un partenariat plus équitable.
Ce partenariat plus équitable ne peut cependant se mettre en place tant que les mentalités européennes continueront de garder une image négative et stéréotypée de l’Afrique.
Vers un soft power africain ?
Dans les médias français et européens, l’Afrique est la cible de nombreux clichés. Apogée de cette méconnaissance du continent africain, le discours de Nicolas Sarkozy, président de la République française de l’époque, le 26 juillet 2007 à l’Université Ckheik-Anta-Diop de Dakar, où celui-ci déclare que : « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Tollé ! De tous bords, on s’offusque, des historiens lui répondent.
L’histoire et la culture sont pourtant le premier pas vers la connaissance de l’autre, vers la mise en place de partenariats équilibrés.
Dix ans plus tard, un autre président français, Emmanuel Macron, cherchant à ne pas reproduire les erreurs de communication de son prédécesseur, lance dans un discours prononcé à Ouagadougou : « La culture c’est aussi ce qui doit permettre de changer les regards que nous portons l’un sur l’autre et c’est avec cette ambition que j’ai décidé de lancer en 2020 une saison des cultures africaines en France ».
Traditionnellement, les saisons culturelles avaient pour but de mettre en lumière un pays, comme ce fut le cas pour la Roumanie en 2019. Cette annonce d’une saison culturelle regroupant un continent entier, dans toute sa diversité tant politique que culturelle, n’était donc pas une évidence. Mais, en dépassant les critiques qui lui sont adressées, l’objectif porté par Africa2020 est de permettre un changement du regard français dans un premier temps – espérons européen par la suite – et de mettre en lumière la diversité des Afriques.
Il y a un paramètre cependant que personne n’aurait pu prévoir dans la programmation de cette saison culturelle : la crise sanitaire mondiale de la Covid-19. Alors que l’Europe, notamment la France, l’Italie et l’Espagne, ne parvenait déjà plus à gérer la crise sanitaire et que les hôpitaux commençaient à prendre l’eau, les Occidentaux commencèrent à tirer la sonnette d’alarme sur une potentielle catastrophe sanitaire à venir en Afrique. Près de 10 mois après, chiffres à l’appui, il n’en est rien. Prenant la mesure de l’ampleur de la crise en Europe, l’Afrique a agi, et même réagit. Dès le début, des mesures ont été prises. Peut-être ici une « habitude » de gestion des risques épidémiques, qui permettent une meilleure adaptation face à la crise.
Les deux continents auraient ainsi tout à gagner dans la mise en place d’un partenariat plus égalitaire afin d’avancer ensemble dans le monde post Covid qui se dessine.
En finir avec les clichés sur l’Afrique
Le fameux « renouvellement des vœux » avec l’Afrique ne doit pas faire oublier aux Européens que le continent africain est un partenaire à part entière. Il n’est plus, et ce, depuis longtemps, la chasse gardée de quelques États européens.
Les Européens doivent changer leur manière de percevoir l’Afrique. Sans quoi, les Africains risquent bien de privilégier la coopération avec d’autres acteurs internationaux dans la poursuite de leur émergence économique, commerciale, mais également diplomatique et culturelle.
C’est à l’Afrique de choisir ses partenaires. Si nous voulons faire partie de l’avenir de ce continent, il ne tient qu’à nous de l’écouter.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Pauline Cherbonnier et Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy et est spécialisée sur les problématiques relatives à Afrique de l’Ouest et à la diplomatie de défense.