L’accord global sur les investissements - AGI conclu par l’Union européenne et la Chine le 30 décembre 2020 représente une étape importante dans l’évolution de leur relation bilatérale. Initiées en 2013, les négociations commerciales entre Bruxelles et Pékin ont fini par aboutir à un accord de principe, que l’on peut qualifier d’encourageant, mais sur lequel il convient de rester prudent. Les engagements pris, importants mais vagues, doivent encore être précisés lors de futures négociations. L’accord en lui-même rentre dans une phase de révision et de ratification pouvant aller jusqu’à deux ans. Le chemin reste long et semé d’embûches.
Un rééquilibrage commercial attendu
Le principal objectif de cet accord de principe est de poser les bases d’une relation commerciale équitable, notamment sur le plan des investissements, qui soit plus favorable à l’Union européenne d’un côté, et qui mette fin aux pratiques commerciales de la Chine, souvent considérées comme déloyales de l’autre. Moins médiatisée que l’offensive commerciale réalisée par Washington depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, l’approche européenne peut néanmoins se vanter d’avoir obtenu des concessions inédites de la part de Pékin.
Toutefois, la conclusion de cet accord de principe a, une fois de plus, mis en lumière les difficultés de concertation entre les États membres. La volonté politique de la présidence allemande influencée par les intérêts de son industrie, et dans une moindre mesure celle de Paris de parvenir à un accord avant fin 2020, a ravivé chez certains le sentiment d’être relégué au second plan, derrière le couple franco-allemand.
Que peut-on cependant retenir de cet accord de principe ? En matière d’investissements, les concessions sont venues quasiment exclusivement de Pékin, l’UE estimant que ses règles, en adéquation avec les GATS - General Agreement on Trade and Services dans le cadre de l’OMC, sont déjà accommodantes avec la Chine. Les négociations ont donc principalement porté sur l’accès des acteurs économiques européens au marché chinois. Cet accès concerne différents secteurs d’activité, particulièrement l’industrie manufacturière, qui représente plus de la moitié des investissements de l’UE, dont 28 % dans l’industrie automobile et 22 % dans la production de matériaux de base. Dans ce secteur, les concessions faites par la Chine sont tout à fait inédites et répondent aux attentes de rééquilibrage de l’Europe.
En outre, l’accord de principe concerne de nombreux secteurs tels que la finance, la santé privée, la R&D, le transport maritime, l’immobilier, ou encore les services liés à l’environnement. Il est également prévu une levée majeure de restrictions pour la venue d’investisseurs européens en territoire chinois.
Les règles prévues par cet accord de principe remettent par ailleurs en question des pratiques inhérentes au fonctionnement de l’Etat chinois et de ses entreprises. Il est par exemple attendu que les entreprises d’Etat, qui représentent 30 % du PIB, agissent en adéquation avec les règles de concurrence convenues. L’accord envisage des obligations de transparence sur les subventions d’Etat, particulièrement dans le secteur des services. Enfin, l’Union européenne est parvenue à obtenir de la Chine qu’elle s’engage à respecter les règles de l’OMC quant au transfert forcé de technologie, définies par l’accord TRIPS - Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights sur la propriété intellectuelle. Les deux parties se sont accordées sur un mécanisme de résolution des contentieux et de suivi de la mise en application de l’accord.
La quête d’autonomie stratégique européenne offre une victoire diplomatique chinoise
Presque deux ans après avoir qualifié la Chine « de rival systémique », Bruxelles revendique par visioconférence interposée, la conclusion d’un accord inédit, révélateur d’une nouvelle étape dans les relations sino-européennes. S’inscrivant dans une volonté d'harmonisation des traités bilatéraux des États membres, l’Europe s’exprime d’une seule voix et affirme adopter une position moins naïve face à la Chine. En jouant le rôle de médiateur entre Pékin et Washington, Bruxelles cherche à affirmer son autonomie stratégique, en agissant selon ses propres ambitions sans attendre l’aval de Washington. Le désengagement des Etats-Unis durant le mandat présidentiel de Donald Trump, a poussé l’Union européenne à privilégier ses propres intérêts face au grand rival chinois. Cet accord a attiré l’ire des américains, qui ont reproché aux européens l’absence de consultation, à trois semaines de l’investiture de Joe Biden.
Pendant ce temps, la pression s’accentue sur Pékin : les Etats-Unis, le Canada, rejoints dernièrement par le Royaume-Uni tout juste sortie de l’Union européenne, ont mis en place un embargo sur les produits soupçonnés d'utiliser le travail forcé, avec dans le viseur, le coton et les tomates en provenance du Xinjiang. En guise de tacle envers Bruxelles et d’appel du pied en direction de Washington, Londres s’est associée aux sanctions économiques et a dénoncé avec virulence « la barbarie » des autorités chinoises.
L’année 2020 aura permis de questionner l’influence chinoise sur la scène mondiale. Celle-ci a essuyé de nombreux revers, notamment sur sa gestion non transparente de la pandémie de Covid-19 et de sa diplomatie du masque, faisant grandir la défiance des sociétés occidentales. C’est sur le terrain économique que la Chine joue sa carte, seule économie qui a su résister aux conséquences de la pandémie, en enregistrant une croissance en 2020, ce qui en fait le moteur de la croissance mondiale.
La conclusion de cet accord de principe s'inscrit ainsi comme une véritable victoire diplomatique pour Pékin : Xi Jinping sort renforcé et réaffirme avec force la résilience de la puissance chinoise. Face à la pression américaine, Pékin a adopté une stratégie de diversification des alliances, en raflant la double mise, avec le RCEP - Regional Comprehensive Economic Partnership d’un côté et l’Accord global sur les investissements de l’autre. Ce dernier d’ailleurs couronne les nouvelles ambitions climatiques de la Chine, avec un volet consacré au développement durable. Une telle évolution est en adéquation avec le Green Deal européen et l’annonce récente de Pékin de parvenir à la neutralité carbone à l’horizon 2060. Cette nouveauté se concrétisera par la mise en place d’un mécanisme d'exécution rigoureux permettant le contrôle du respect des règles par un groupe d'experts indépendants.
Controverses autour de l’engagement chinois
En dépit des avancées sur le climat, l’accord reste controversé et fait l’objet de critiques liées aux faibles garanties chinoises quant au respect des droits de l’Homme. La Chine a indiqué qu’elle œuvra à la ratification de certaines conventions de l’Organisation internationale du travail, dont celle relative au travail forcé. Ce timide engagement laisse penser que la question épineuse des Ouïghours a été évoquée lors des négociations, mais qu’un engagement fort de Pékin sur le sujet n’est pas à l’ordre du jour. En effet, les vagues promesses du côté chinois sur les droits humains ne font pas consensus. Ces engagements non contraignants restent très limités et aucun mécanisme de contrôle ni de sanction n’ont été actés, pour en assurer le respect. Rappelons que, depuis son adhésion à l’OMC en 2001, Pékin n’a pas respecté ses engagements pris pour le respect des droits de l’homme. Peut-on considérer qu’une telle démarche est suffisante, dans une période où la Chine démontre plus que jamais son opacité sur des sujets aussi graves que la répression des Ouïghours dans le Xinjiang ou l’épidémie de Covid-19 ?
C’est dans ce contexte de méfiance que l’accord, actuellement en cours de traduction, a été publié le 22 janvier 2021. La prochaine étape sera sa soumission au Conseil et au Parlement européen. Ce dernier s'est récemment affirmé comme le défenseur des valeurs européennes, en adoptant en décembre, une résolution condamnant le travail forcé des Ouïghours et des minorités Kazakhs et Kyrgyzes au Xinjiang, et certains parlementaires européens appellent à faire barrage à un tel accord.
Son avenir est d’autant plus incertain que celui-ci peut être utilisé, comme un levier de pression dans un jeu d’équilibre géopolitique plus large, un retrait de l’accord de l’une des parties étant également à envisager. La ratification de l’accord doit théoriquement intervenir en 2022, sous la présidence française de l’Union européenne, date à laquelle une première évaluation de la tenue des engagements chinois sera effectuée.
La ligne de crête s’avère donc complexe à tenir pour l’Union européenne : choisir les négociations, c’est prendre le risque de voir celles-ci s’éterniser et d’être accusé de complaisance sur le non-respect des droits de l’Homme. Mais choisir l’option du statu quo comprendrait le risque de voir des Etats membres de l’UE négocier de manière bilatérale avec Pékin, aggravant de fait le déséquilibre actuel. Les deux prochaines années, qui précèdent la ratification, seront donc cruciales pour l’avenir des relations sino-européennes.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que ses auteurs. Louise Fontaine est une Junior Fellow de l'Institut Open Dipomacy spécialisée sur la géopolitique de la Chine. Guillaume Tawi, également Junior Fellow, s'intéresse à la politique extérieure de la Chine.