En coprésidant ce vingt-septième sommet de l’OTAN les 8 et 9 juillet 2016, le chef d’État polonais Andrzej Duda ne pouvait que souligner l’importance du flanc Est. Chose faite : lors de ces deux jours à Varsovie, les relations entre la Russie et l’OTAN semblent avoir occupé la majorité des discussions. Dans un contexte de lutte contre le terrorisme, de transition en Afghanistan ou encore de cyber-attaques, le déploiement de 4 000 militaires en Estonie, Pologne, Lettonie et Lituanie apparaît comme la mesure phare prise ici.
Un Sommet orienté vers l’Est
Les agissements du Kremlin préoccupent les pays membres de l’Alliance. A la lumière de l’agression contre la Géorgie en 2008 ou de « l’intervention militaire illégale » en Ukraine en 20141, ils semblent être « des menaces contre la paix » selon les termes du président Duda à l’ouverture du Sommet. Dès lors, que ce soit par la date ou le lieu, près de 60 ans après le Pacte de Varsovie, rassembler les vingt-huit membres et le futur entrant, le Monténégro, est bien plus que symbolique – le dîner des représentants s’est déroulé dans la salle même où avait été signé ce Pacte en mai 1955, alliance militaire entre l’URSS et la plupart des Etats du bloc communiste voulue comme réponse à la création de l’OTAN en 1949. Dès le début du sommet, le président polonais a ainsi insisté sur « un moment historique qui sera conclu par un franc succès ». Son franc-parler en faveur d’une plus grande vigilance face à la Russie s’est effacé pour laisser place, dans son allocution finale, à un dialogue ferme et constructif, et décrivant la Russie comme le « plus grand voisin » de l’OTAN. Toutefois, les journalistes russes présents lors de ce Sommet à Varsovie évoquaient une possible escalade. Une rencontre doit se tenir ce 13 juillet 2016 entre Moscou et l’Alliance à Bruxelles afin de clarifier les relations.
Officiellement, l’OTAN ne cherche « pas de nouvelle Guerre froide […], ni une course à l’armement ou une confrontation ». Un contingent de 4 000 soldats venus du Canada, d’Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis, sera prochainement déployé respectivement en Lettonie, en Lituanie, en Estonie et en Pologne. Désormais en mesure de fonctionner, le système de défense antimissile balistique, ou « bouclier anti-missile », agit en coordination entre la Roumanie, un radar en Turquie et une base navale américaine en Espagne. Le Secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, a affirmé que « le système [de capacité opérationnelle initiale] que nous construisons est entièrement défensif. Il a été conçu pour protéger contre les attaques [en provenance] d’en-dehors de la zone euro-atlantique et il ne représente pas de menace pour la stratégie de dissuasion nucléaire russe ». Mais ce qui dérange Moscou est bien la présence même de ce radar, que la Russie considère comme un moyen potentiel pour l’OTAN d’en apprendre plus sur ses capacités défensives propres.
La Turquie, membre de l’Alliance, est aussi en froid avec la Russie. La pression est montée depuis novembre 2015 entre Ankara et Moscou, pour cause des diverses violations de l’espace aérien turc2 par l’aviation russe dans le cadre de son engagement en Syrie. La volonté montrée par l’OTAN, à la fois de mener un dialogue ferme avec la Russie, et d’entretenir les forces de dissuasion de ses membres, semble aussi contenter la capitale turque. Lors du Forum des experts du Sommet, Ahmet Ünal Ceviköz, ancien diplomate turc, confiait ainsi : « Avant d’arriver à Varsovie, j’avais peur que tout soit concentré sur les relations du flanc Est avec la Russie ; au final, notre parole a été prise en compte et les éléments se rejoignent ».
Les défis du Moyen-Orient, un rapprochement nécessaire de l’OTAN avec d’autres entités ?
La différence dans la démarche de l’OTAN envers les situations en Europe orientale et au Moyen-Orient se joue sur la question du déploiement de troupes préparées à des interventions militaires. L’OTAN n’a pas pour vocation d’intervenir directement contre l’organisation État islamique en Irak et en Syrie, en plus de la coalition d’une quinzaine de pays actuellement mobilisée. Durant le Sommet de Varsovie, les représentants jordaniens ont à nouveau affirmé leur partenariat avec l’Alliance dans la formation des troupes irakiennes, face au terrorisme. De la même manière, en Afghanistan, l’OTAN engage des troupes depuis 2015 dans le cadre de la mission « Resolute Support » pour rendre autonome à moyen et long termes les forces militaires et de police afghanes, non sans un échange de contreparties : « nous attendons que [le gouvernement afghan] augmente la lutte contre la corruption et mette en place des réformes […] pour moderniser sa société » a déclaré le Secrétaire général de l’Alliance.
Car les conflits du Moyen-Orient dépassent le cadre militaire, et la réponse de l’OTAN doit inclure les dimension politique, sociale et humanitaire à ses méthodes de gestion de crise, ce à quoi l’organisation affirme être peu prête. Pour Felix Arteaga, chercheur au Real Instituto Elcano l’Union européenne est « mieux préparée face aux multiples défis de cette zone ». L’accord signé entre Donald Tusk, président du Conseil européen, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne et Jens Stoltenberg ce vendredi 8 juillet, vise justement à renforcer la coopération entre l’UE et l’OTAN pour la sécurité, la cyberdéfense mais aussi la gestion des flux migratoires, notamment en Méditerranée.
Quelques notes d’espoir ont néanmoins résonné quant au recul de l’EI qui a perdu ces derniers mois 40 % de son territoire en Irak et 20 % en Syrie, comme l’a rappelé Borge Brende, Ministre des affaires étrangères suédois. Mais le président américain Barack Obama a rappelé la nécessité de redoubler d’efforts : « la chute du Califat devient plus certaine, ils vont commencer à recourir à des attaques terroristes traditionnelles. Ils ne peuvent gouverner (…) la seule chose qu’ils savent faire est tuer ».
Si l’Alliance ne souhaite pas se montrer provocatrice dans ses propos et agit dès lors avec des pincettes, le déploiement de troupes à l’Est et la prolongation des opérations au Sud montrent une réelle activité pour les mois à venir.
Face à la Russie et à l’EI, l’importance de la communication stratégique
A l’extérieur du Sommet, par une manifestation dans Varsovie ou par des discours réguliers, des revendications souverainistes s’élèvent contre l’Alliance et une éventuelle obsolescence. En interne, cette mauvaise image reflétée par ce genre de déclarations est associée, pour une part, à la propagande russe. Même si l’organisation État islamique ne semble pas viser directement l’OTAN, de troublantes ressemblances peuvent être relevées entre les stratégies du Kremlin et du groupe terroriste. Jouant sur la « déception » de certains individus envers le « monde occidental », « l’influence psychologique » et « la désinformation », ces deux entités tentent de rallier toujours plus de personnes, selon les termes d’un participant au Forum des experts. Mais si la Russie souhaite façonner et convaincre de sa propre vision du monde, l’EI cherche à recruter des combattants et à créer un sentiment de panique parmi les populations considérées comme ennemies.
Le meilleur moyen de les contrer serait la fermeté mais surtout l’éducation, selon le même analyste. Face à cette communication stratégique très organisée du côté de la Russie, quelques journalistes d’investigations se sont aventurés à décrire ce phénomène « d’usine à Troll », souvent au prix d’une campagne de harcèlement, comme le montrent les portraits de la reporter russe Lyudmila Savchuk3 ou encore de la journaliste finlandaise Jessika Aro4. Face à l’organisation État islamique, dont la diffusion de la propagande n’est pas centré mais relayé par de multiples personnes et son objectif tout autre, les gouvernements semblent avoir pris la voie de la surveillance et du dialogue avec les différentes communautés religieuses. Car l’OTAN a bien conscience qu’elle ne peut répondre à la propagande par de la propagande : sur son site Internet, elle a mis en place un référencement contre les mythes entretenus par les descendants des tsars5. La guerre d’information contre la propagande du Kremlin ou de groupes terroristes est à manier avec précaution, surtout quand elle vient officiellement d’une institution elle-même visée. Mais un employé de l’OTAN affirme : « même s’il y a une prise de conscience autour du sujet, il ne semble pas être assez pris au sérieux ».
1 OTAN, site Internet officiel, « Relations OTAN-Russie : les faits », consulté le 11 juillet 2016 : http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_111767.htm.
2 « La Turquie accuse à nouveau la Russie d’une violation de son espace aérien », Le Monde, 30 janvier 2016, consulté le 11 juillet 2016 [en ligne] : http://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/30/la-turquie-accuse-a-nouveau-la-russie-d-une-violation-de-son-espace-aerien_4856633_3210.html.
3 Lyudmila Savchuk est une reporter russe qui a travaillé pour l’Agence d’Etudes d’Internet – une « usine à propagande » basée à St Petersbourg. PARFITT Tom, “My life as a pro-Putin propagandist in Russia’s secret 'troll factory'”, The Telegraph, 24 juin 2015, consulté le 11 juillet 2016 : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/russia/11656043/My-life-as-a-pro-Putin-propagandist-in-Russias-secret-troll-factory.html.
4 ARO Jessika, journaliste finlandaise : “my year as a pro-russia troll magnet”, Kioski, 11 septembre 2015, consulté le 11 juillet 2016 : http://kioski.yle.fi/omat/my-year-as-a-pro-russia-troll-magnet.
5 OTAN, site Internet officiel, « Relations OTAN-Russie : les faits », consulté le 11 juillet 2016 : http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_111767.htm.
Légende de la photo en bandeau : le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, passe en revue les troupes de la capacité alliée de surveillance terrestre (AGS), Varsovie, 8-9 juillet 2016.
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