Le processus de paix engagé en Somalie depuis plusieurs années mobilise beaucoup de médiateurs extérieurs. Il est donc courant que d’autres pays y interviennent. Souvent présentée comme simple théâtre d’opérations humanitaires et sécuritaires, la Somalie est pourtant une actrice à part entière des dynamiques régionales. Dès lors, comment ce pays en crise depuis 30 ans occupe-t-il la scène internationale ?
Quelle diplomatie pendant la guerre civile ?
Contrairement à ce qui pourrait être admis, la longue instabilité politique somalienne n’a pas été synonyme de mort diplomatique. En janvier 1991, Mohamed Siad Barre, à la tête du pays depuis près de 22 ans, est destitué et son régime autoritaire prend fin. La Somalie connaît ensuite une guerre civile pendant laquelle les diverses organisations combattantes qui avaient réussi à renverser le Général Barre, se disputent l’accès au pouvoir. Ces groupes armés sont, entre autres, le Congrès de la Somalie unifiée, le Mouvement patriotique somali et le Mouvement national somali.
Rapidement, on observe un effondrement des structures institutionnelles, un risque accru de famine et un Etat qui n’est plus. Face à une situation qui s’enlise et surtout met en péril des civils, l’ONU lance la mission Onusom en avril 1992 pour assurer l’acheminement de l’aide humanitaire. Quelques mois plus tard, pendant l’hiver 1992-1993, les États-Unis dirigent l’opération onusienne Restore Hope qui est finalement un échec et marque des pertes humaines symboliques, aussi bien chez les Somaliens que pour les Casques bleus. C’est ainsi que les Américains et d’autres nations décident de retirer leurs contingents abandonnant les populations à leur sort. Cette décision laisse définitivement le champ libre aux mouvements de guérilla et aux seigneurs de guerre qui s’affrontent et renforcent l’instabilité sur le territoire.
En parallèle, des conférences de paix sont menées sans être véritablement efficaces ou adaptées aux spécificités somaliennes. Ces tentatives d’accords sont appuyées par les acteurs internationaux et les pays voisins qui n’ont pas d’intérêt à laisser cette situation de flou politique, humanitaire et sécuritaire s'enraciner. À ce moment-là, bien qu’elle n’ait plus de corps diplomatique officiel, la Somalie et plus particulièrement ses factions claniques sont au cœur des discussions internationales. Dans un contexte de détresse humanitaire, la nécessité de résoudre cette crise qui se complexifie pour les uns, et de contenter des ambitions politico-territoriales pour les autres, donne lieu à un déploiement significatif d’outils diplomatiques.
Finalement, ce qui a été observé tient davantage de l’ajustement par de la médiation, des négociations et des essais de coalition. La diplomatie n’est pas un luxe, et a ici le mérite de laisser ouverts des canaux de communication qu’il aurait été dramatique de perdre, ne serait-ce que dans l’espoir d’une sortie de crise. Le tout est imparfait, les relations diplomatiques sont indéniablement asymétriques et impliquent des acteurs dont la légitimité de la représentation est difficile à établir.
Une diplomatie redynamisée aux enjeux multiples
Le mois d’octobre 2000 et la formation du Gouvernement National de Transition - TNG - marquent un premier pas vers un changement démocratique dont on n’osait plus rêver. Mais cette nouvelle administration ne parvient pas à exercer son autorité sur un territoire donné, le processus ne prend pas, et les luttes continuent. Quelques années après, à la suite de la Conférence de Mbagathi au Kenya, le TNG devient le Gouvernement Fédéral de Transition. C’est une nouvelle tentative, mais le Président élu est contesté et peine à engager des actions pour une transition démocratique effective.
Le manque de consensus entre les élites politiques a longtemps ralenti la possible émergence d’institutions étatiques pérennes et légitimes.
En 2012, un projet de Constitution est adopté par une nouvelle Assemblée et ce qui est maintenant le Gouvernement Fédéral Somalien - SFG - tente de faire entrer le pays dans cette phase de transition. Petit à petit, c’est le retour d’un cadre institutionnel, et il faut souligner qu’un effort est fait par le président élu au suffrage indirect Hassan Sheikh Mohamoud pour davantage impliquer les autorités régionales, dont le Jubaland et le Puntland ayant le statut de régions autonomes. Bien que tout cela reste très fragile, ce gouvernement tend vers une meilleure représentation du peuple somalien et gagne en crédibilité sur la scène internationale.
Cette volonté politique qui a longtemps manqué, et qui n’est pas à son paroxysme aujourd’hui, transparaît tout de même dans le Foreign Policy Agenda, agenda de politique étrangère, édité en 2015. Ce document officiel est le premier livre blanc de la politique étrangère somalienne. Il y est précisé que la Somalie doit « rapidement faire en sorte de renforcer la confiance dans le gouvernement au niveau national et international. [...] Ainsi que renforcer et consolider sa présence diplomatique auprès de partenaires stratégiques et d’organisations multilatérales ».
Pour la diplomatie somalienne, les objectifs sont clairs, mais ne sont pas simples pour autant. Il faut passer, dans l’imaginaire collectif et aussi dans la réalité, de l’Etat failli à l'État fragile et présenter la Somalie comme un partenaire fiable qui peut dorénavant pleinement contribuer aux dynamiques régionales.
De l’agenda de politique étrangère de 2015, on retiendra notamment l’accent mis sur la diplomatie économique afin d’attirer des investissements directs étrangers avec la création d’un bureau dédié le SomInvest, et pour diversifier les partenaires. Autre ambition, définie dans l'agenda de 2015, placer la diaspora somalienne au cœur de cette diplomatie et utiliser « ses diverses compétences et connaissances » : celle-ci devient ainsi un outil diplomatique. Enfin, soulignons la nécessité réaffirmée d’une intégration régionale forte via l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté d’Afrique de l’est (EAC), l’Union africaine, et la Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique (OIC).
Bien que les grandes lignes aient été définies et le cadre posé, il convient de rappeler que les processus diplomatiques, vers ou depuis la Somalie, restent compliqués.
Trouver sa place dans une région à la stabilité précaire
La Corne de l’Afrique est une région aux dynamiques complexes et particulièrement instable depuis la fin des années 2010.
Comme on l’a vu, les luttes intestines ralentissent la marche démocratique somalienne. Mais la capacité de nuisance du groupe terroriste islamiste al-Shabab, surtout localisé au sud du pays, reste élevée et donc problématique. Leurs attaques ciblent principalement des parlementaires et des membres du gouvernement. La menace est réelle, à tel point qu’en 2009, al-Shabab contrôle environ 80 % de la Somalie. Ce chiffre met en exergue un autre frein au processus de paix : les gouvernements de transition élus n’ont pas les moyens humains et financiers d’assurer la sécurité du territoire. C’est notamment pour pallier cela que l’Union africaine, soutenue par l’ONU et l’Union européenne, lance en 2007 la Mission de l’Union africaine en Somalie - AMISOM. Dans son mandat, il est question de « permettre un transfert progressif des responsabilités en matière de sécurité, de l'AMISOM aux forces de sécurité somaliennes ».
Le gouvernement de transition est tenu de s’impliquer véritablement dans la lutte anti-terroriste. La diplomatie somalienne doit assurer des partenariats stratégiques transnationaux pour un combat qu’elle ne peut pas mener seule et dont les conséquences sont internationales. En outre, ce travail de coopération permet d’éviter tout isolement qui serait propice à l’expansion du mouvement terroriste al-Shabab.
En parallèle, le Ministère des affaires étrangères et de la promotion des investissements doit nouer des alliances tout en observant le Somaliland en faire de même. Cette région somalienne autoproclamée indépendante en 1991 a une politique diplomatique. Cette entité n’est pas reconnue par la communauté internationale, à l’exception de Taïwan depuis 2020, mais sa diplomatie, bien que réduite, est effective. À titre d’exemple, le Somaliland entretient de bonnes relations diplomatiques avec l’Ethiopie et ses liens avec le Kenya se sont renforcés tout au long de l’année 2020. L’ouverture courant 2021 d’un consulat kényan dans la capitale du Somaliland est même prévue. Cela n’a pas manqué de provoquer une vive réaction du côté somalien, sans compter que la Somalie et le Kenya sont à couteaux tirés depuis quelque temps.
Des crispations internationales suite au report des élections générales
Après un premier report en Juin 2020, le Gouvernement fédéral somalien et les régions autonomes s’accordent le 17 septembre 2020 sur l’adoption d’un suffrage indirect pour les prochains scrutins. Même si certaines problématiques restent présentes, ce consensus rassure les acteurs locaux et internationaux. En pleine transition démocratique les questions électorales sont à la fois épineuses et primordiales.
Mais le 12 avril 2021, la Chambre basse du Parlement fédéral annonce qu’elle prolonge son propre mandat et celui du Président Farmaajo pour une durée de deux ans, suite à des désaccords entre le gouvernement central et certaines régions autonomes qui paralyseraient la mise en oeuvre de l’Accord électoral approuvé en septembre.
L’opposition somalienne fait savoir que cette manœuvre est anticonstitutionnelle. L’ONU et d’autres bailleurs condamnent cette décision qui met en péril les efforts de transition démocratique menés depuis environ dix ans. L’Union européenne envisage même des sanctions. En attendant la réaction d’autres acteurs clés, notamment les pays voisins, il est clair que cette nouvelle crise politique nuit d’ores et déjà à la légitimité somalienne sur la scène internationale.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Anne-Frantz Dollin, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, s'intéresse à la Corne de l'Afrique.