Il y a 10 ans, la banque d’investissement Lehman Brothers faisait faillite, en plein cœur de la crise financière, bancaire et économique qui avait débuté en 2007. Alors submergée par les précédentes années de folies et d’innovations financières, Lehman Brothers disparaissait en laissant à ses créanciers une dette de 691 milliards de dollars. Cet évènement, si fort et aux conséquences si désastreuses ne pouvait laisser l’opinion publique, les politiques et les économistes indifférents. J. Stiglitz assurait qu’il s’en suivrait « un véritable changement dans notre façon d’appréhender l’économie de marché » et que les décideurs politiques prendraient « conscience que le capitalisme ultra financiarisé n’est pas un capitalisme qui assure le bien-être des populations ».
Toutefois, un article récent du Figaro, « Dix ans après rien n’a changé », nuance très fortement cet enthousiasme. Le secteur bancaire et financier, en dépit des réponses apportées à la dernière crise mondiale, serait dans le même état qu’il y a douze ans. Les marchés financiers seraient toujours aussi volatiles et les banques aussi fragiles. La régulation bancaire aurait-elle été vaine ? Aux États-Unis, la dérégulation semble même au cœur de nombreux débats. Ce sont autant d’éléments qui permettent à J. Couppey-Soubeyran de déclarer « qu’on ne peut pas exclure la répétition d’un scénario à la Lehman Brothers ». Que faut-il alors connaître sur le secteur bancaire ? Finalement, ce scénario est-il envisageable ?
Petite histoire bancaire
Les pratiques bancaires apparaissent dès le Moyen Âge, accompagnant ainsi le développement des activités de commerce. En effet, l’apparition du négoce, des places commerciales comme Gênes ou Venise, conjuguée à un essor des besoins financiers des Rois, justifient le développement des pratiques bancaires. Dans ce contexte, les banques se définissent comme des institutions ayant une fonction de collecte et de gestion des dépôts. Elles mettent alors en relation un ensemble de prêteurs et d’emprunteurs. Par le biais du crédit, la banque permet de financer de plus grands investissements et ce, dans les nouveaux secteurs industriels du XIXe siècle. La banque entretient donc un lien très étroit avec ce qu’on peut appeler l’avènement du capitalisme.
Toutefois, le capitalisme est un système économique qui a connu et connaît de multiples transformations. Les banques n’ont pas échappé à ces mutations. Effectivement, si les banques avaient une fonction initiale de collecte et de gestion des dépôts, elles ne se réduisent plus à cette seule activité. Au fil du temps, les banques se sont dirigées vers des activités de marché, d’investissements, et de conseil. Pour certaines, la fonction de collecte et de gestion des dépôts est même devenue secondaire. Par exemple, en 2012, cette fonction ne représentait que 33% des activités de BNP Paribas. Les activités de gestion de portefeuilles quant à elles, y contribuaient à hauteur de 52%.
Si la banque est une institution financière, il convient toutefois de la distinguer des autres intermédiaires financiers (assurances, fonds de pension et d’investissement, etc.). En effet, parmi ces acteurs du système financier, la banque est la seule à créer de la monnaie et à gérer les moyens de paiement. Sur ce point, il convient de noter que les banques font face à la concurrence des fintechs qui proposent des moyens de paiement innovants. Enfin, la banque est l’une des seules institutions financières à réaliser une transformation d’échéances : elle permet la gestion de ressources de court terme (dépôts) tout en finançant des besoins de plus long terme (les crédits). En d’autres termes, la banque concilie les besoins de liquidité des prêteurs et les besoins de financement des emprunteurs.
Pourquoi existe-t-elle ?
La mise en relation d’agents à capacité de financement (déposants) avec des agents à besoin de financement (emprunteurs) est au cœur de l’activité bancaire. A priori, on pourrait pourtant penser que le marché est capable d’assurer seul cette mise en relation, remettant ainsi en question le rôle de la banque en tant qu’intermédiaire financier. En effet, le marché (selon sa définition néoclassique) devrait permettre aux différents agents de se rencontrer et assurer de fait, une bonne allocation des capacités de financement.
Néanmoins, la littérature économique a très rapidement décelé l’existence de défaillances de marché qui constituent un obstacle à la bonne allocation des ressources. La banque serait donc une réponse à ces défaillances de marché.
Le premier article économique qui soutient cette idée est publié en 1977. Les auteurs, H. Leland et D. Pyle, y présentent la banque comme une réponse naturelle aux problèmes d’asymétrie d’information. Ils expliquent que la relation de financement direct entre prêteurs et emprunteurs est asymétrique, dans la mesure où ces derniers disposent d’une meilleure information sur la qualité du projet qu’ils cherchent à financer et sur leur capacité de remboursement.
Ainsi, en l’absence d’intermédiaire financier, le prêteur se trouve désavantagé, ne pouvant étudier aisément la qualité des investissements qui s’offrent à lui. Cette asymétrie d’information peut alors mener à une mauvaise sélection des projets (sélection adverse) et permettre à un emprunteur peu scrupuleux de ne pas respecter ses engagements (aléa moral). Ces problèmes informationnels peuvent compromettre le bon fonctionnement du marché ainsi que sa survie. En effet, pour se prémunir contre le risque de non-remboursement, les prêteurs pourraient exiger une prime de risque plus élevée, réhaussant le coût du financement. Les emprunteurs solvables refuseraient alors de se financer à un tel coût et seuls les emprunteurs peu solvables subsisteraient sur le marché. De même, l’adoption de comportements risqués de la part des emprunteurs pourrait décourager les prêteurs.
Pour pallier ce manque d’information, les prêteurs devraient se charger eux-mêmes de surveiller les emprunteurs et les projets qu’ils financent. Or, ce contrôle individuel est coûteux et ne saurait être réellement efficace. La banque jouerait alors le rôle de « contrôleur délégué ». C’est ainsi que Diamond la présente dans son article « Financial Intermediation and Delegated Monitoring » (1984). Si la banque peut exercer un meilleur contrôle des emprunteurs, elle est aussi mieux à même de sélectionner les projets les plus porteurs. Elle disposerait ainsi d’un avantage informationnel.
Selon Sharp (1990), une banque entretient la plupart du temps, des relations de long terme avec ses clients. Ces relations permettent d’accumuler de l’information et d’instaurer un climat de confiance. De fait, l’avantage informationnel dont dispose la banque atténue le risque de sélection adverse et d’aléa moral. La banque apparaît alors comme une réponse à l’imperfection des marchés. Sans cet intermédiaire, le financement de l’économie ne pourrait se réaliser de façon pérenne.
Un intermédiaire fragile
Si les banques semblent être un intermédiaire indispensable au système capitaliste et à la croissance économique, elles sont aussi porteuses d’instabilité et de déséquilibres économiques. L’histoire a montré que les situations de crise et in fine, de retournement de la croissance, étaient souvent corrélées à des fragilités bancaires. La Grande Dépression de 1873 est par exemple une période de fort ralentissement économique précédée par plusieurs faillites bancaires, en Autriche (Kredit Anstalt) et aux Etats Unis (Jay Cooke &Co). Si les crises bancaires ont des caractéristiques communes, chaque crise reste différente. Dans son ouvrage La crise de 1929, P.C. Hautcoeur admet néanmoins, qu’il existe un type-idéal d’explication des crises financières et bancaires à adapter selon les contextes historiques particuliers.
En 1983, dans leur article « Bank runs, Deposit insurance, and Liquidity », D. Diamond et P. Dybvig sont les premiers économistes à mettre en évidence la fragilité intrinsèque des banques. Selon eux, c’est le rôle même des banques au sein de l’économie qui les rend fragiles. En effet, avec la transformation d’échéances, les banques ont un passif exigible à court terme et un actif mobilisable à moyen long terme. Elles s’exposent alors à un risque de panique des déposants. Plus précisément, lorsqu’une banque gère les actifs des prêteurs (par l’activité du crédit), elle ne doit pas oublier que ces déposants sont aussi de potentiels consommateurs qui peuvent vouloir disposer de leurs fonds à tout moment. Diamond et Dybvig supposent alors que l’économie est caractérisée par trois périodes différentes (respectivement T0, T1 et T2) et successives.
En T0, les déposants confient leur argent à la banque. Dans le même temps, la banque utilise ces dépôts pour accorder des crédits et financer des projets. Or, les rendements de ces investissements ne se réalisent qu’en T2. Le problème est qu’en T1, les dépôts financent les crédits alors même que les déposants peuvent éprouver un besoin de liquidité et souhaiter retirer leur argent. Si beaucoup de déposants désirent retirer leurs actifs en T1, tous ne pourront pas être servis. En effet, ne percevant les rendements de ses investissements qu’en T2, la banque ne peut rembourser tous les déposants et risque de se retrouver en situation d’illiquidité. Cette littérature économique met donc en évidence le risque de faillite bancaire et de « course au guichet ». Toutefois, celle-ci n’explique pas la volonté de retrait des déposants en T1.
Une banque, c’est aussi un intermédiaire financier qui, par ses activités, peut concourir à l’endettement croissant du secteur privé. Les innovations financières notamment, y contribuent fortement. Il semble alors possible de dresser un parallèle entre le processus schumpétérien de destruction créatrice et les périodes de crises bancaires. En effet, les innovations financières (titrisation, prêts à la consommation, etc.) permettent une nouvelle phase de croissance et favorisent l’endettement des ménages, des entreprises et des banques elles-mêmes. Toutefois, ces innovations peuvent dans le même temps, favoriser une spéculation excessive et aboutir au surendettement des acteurs de l’économie. Dans la crise de 2008, il semblerait ainsi que la titrisation et les crédits subprimes mènent un double jeu : celui de destruction créatrice venant bouleverser les pratiques bancaires traditionnelles et celui de création destructrice aboutissant à la crise économique mondiale que nous connaissons bien.
ZOOM sur la titrisation et les subprimes
La titrisation est une technique financière consistant à transformer des créances a priori non-cessibles, en titres financiers échangeables sur les marchés. Les créances en question recouvrent les créances commerciales, les prêts en cours (prêts à la consommation, prêts automobiles, leasing, prêts revolving, prêts immobiliers). En transformant ces créances en titres et en les rendant cessibles, la titrisation constitue une technique de transfert des risques. Elle permet aux prêteurs originels, de céder leurs créances à des investisseurs et de ne plus supporter directement, le risque de non-remboursement des emprunteurs. Cette technique laisse ainsi place à une nouvelle répartition du risque entre les acteurs financiers.
Les subprimes, quant à eux, sont des prêts immobiliers accordés à partir des années 2000 à des ménages américains peu solvables, qui ne remplissent pas les conditions pour souscrire un emprunt immobilier classique. Alors que les emprunteurs traditionnels sont dits « prime », ces ménages modestes sont ainsi appelés « subprime ». Un nouveau mécanisme financier leur ouvre un accès au crédit : les emprunts qu’ils contractent sont gagés sur la valeur de leur bien immobilier, qui ne cesse de monter en flèche.