L’OTAN se cherche et se situe vraisemblablement à un carrefour à la suite de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, du Brexit et de la menace terroriste grandissante en Europe. Son handicap majeur réside dans son absence de justification politique : c’est une organisation internationale de coopération, contrairement à une organisation internationale d’intégration comme l’Union européenne qui serait plus à même d’organiser la défense du territoire européen de façon indépendante. L’échec du projet de CED (Communauté européenne de défense) en 1954 reste pourtant bien présent dans les mémoires. L’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, créée en 1949, se politise de plus en plus et réfléchit à une approche globale mais le logiciel hérité de la Guerre froide est toujours le même, la Russie reste l’ennemi principal malgré l’émergence d’autres groupes pouvant menacer les Etats membres.
Alliés mais pas alignés
« L’OTAN joue un rôle de dissuasion » souligne le général Yves de Kermabon, ancien commandant de la force de l’OTAN au Kosovo, « et permet de maintenir un statu quo dans le monde occidental ». Pour remplir cette mission principale, l’action de l’OTAN se déploie sur plusieurs volets : investissement pour la défense (planification des armements, défense aérienne), diplomatie publique (informer le public et les médias), politique et plans de défense (politique nucléaire, défense contre les Armes de Destruction Massive, opérations (capacité opérationnelle, gestion de crises), affaires politiques et politique de sécurité (relation avec les organisations internationales). « L’OTAN reste aujourd’hui une alliance militaire défensive, elle ne menace personne » rappelle le général de Kermabon.
Les États-Unis exercent à l’évidence un rôle majeur au sein de l’OTAN. Les Américains, avec plus de 664 millions de dollars par an, sont les plus gros contributeurs de l’OTAN avec un retour économique et politique majeur pour leur industrie de défense ; en contrepartie, les autres pays membres contribuent financièrement dans une moindre mesure mais soutiennent les actions de politique étrangère des États-Unis.
Si la France participe à une coalition de l'OTAN, elle « ne délègue pas sa défense, elle conserve sa politique de défense, elle est alliée mais pas forcement alignée sur les États-Unis. La France ne dépend pas d’autres puissances car sinon cela influence le soldat sur le terrain », souligne le général Chavancy, gouverneur militaire de Lyon ayant commandé la brigade La Fayette en Afghanistan.
Si la France avait quitté le commandement intégré de l'OTAN sous le général de Gaulle en 1966, elle l’a réintégré sous le mandat de Nicolas Sarkozy en 2009 et s’est vu attribuer la direction du Commandement Allié Transformation (ACT) de l’OTAN depuis 2009, un outil pour rendre l’OTAN plus opérationnelle d’un point de vue militaire, et un des deux commandements au sommet de la hiérarchie du commandement militaire de l’OTAN. Au-delà de contribuer à transformer et à améliorer la structure, les forces, l'entraînement des soldats, les capacités et la doctrine de l’Alliance, les intérêts stratégiques à occuper une telle position sont nombreux en termes d’emplois et d’industries pour la France.
Comment évaluer le résultat des opérations de l'OTAN ?
Au-delà des traités, des engagements, des capacités rassemblées, on évalue avant tout une alliance militaire à ses actes sur le terrain. A cet égard, les deux plus importantes, et plus longues missions de l'Organisation depuis sa création ont été celles dans les Balkans de 1995 à 2004, et en Afghanistan de 2003 à 2014.
La réponse du général Yves de Kermabon est mitigée : « Le résultat n’est pas à la hauteur du financement, du budget consenti par l’OTAN car le Kosovo reste un pays tenu à bout de bras par l’Europe et avec un fort taux de criminalité ». La même analyse est sans doute valable pour les missions commandées par l'OTAN en Afghanistan de 2003 à 2014 – prolongées par des missions de formation et de conseil des forces afghanes jusqu'en 2017, et d'aide financière jusqu'en 2020. L’OTAN est passé de la défense des démocraties européennes à la promotion de la démocratie dans le monde. Le général Chavancy n’est pourtant pas de cet avis : « le but en Afghanistan n’était pas d’imposer la démocratie mais de rétablir la situation telle qu’elle était quand les Soviétiques ont quitté le pays ».
De la défense à la sécurité globale
« Gagner une guerre n’est pas seulement l’affaire du soldat, la guerre se gagne grâce à un modèle de développement et de gouvernance » rappelle le Général Chavancy. La confusion règne bien souvent dans le débat public entre les termes de défense et de sécurité. Alexis Baconnet, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégiques (IFAS) et chercheur associé à l’université Jean Moulin Lyon 3, précise : « nous sommes aujourd’hui face à un concept de sécurité globale mêlant défense et sécurité ». Au-delà des distinguos traditionnels, les militaires comme les civils sont concernés par la sécurité : il faut réunir toutes les compétences pour atteindre un but en réalité commun. Aucune opération n’est uniquement militaire, le métier des soldats n’est pas de faire de l’humanitaire mais on ne peut pas non plus demander aux civils de mener des actions militaires. L’OTAN est une organisation militaire qui doit s’accorder avec les civils.
La défense est avant toute chose une question de choix politiques. En France, l’éducation est prioritaire en terme de budget national mais si au préalable, les bons choix en terme de défense n'ont pas été réalisés, la politique éducative ne peut fonctionner. Le général Chavancy précise : « Le meilleur rempart au terrorisme est l’éducation, principalement l’histoire et la géographie ». La défense et la politique étrangère sont deux responsabilités majeures, les seuls moyens de s’affirmer sur la scène internationale. Un outil de défense suffisant pour s’imposer aux autres par le biais d’un arsenal nucléaire et militaire suffisant, et une politique étrangère cohérente pour peser dans les négociations.
Dans un contexte de dissuasion nucléaire et d'asymétrie des forces, la peur d’une hypothétique entrée de troupes russes sur le territoire national est présente dans les Etats baltes ou en Pologne. Si ces pays ont des raisons historiques et conjoncturelles de s'en inquiéter, comme la crise ukrainienne et notamment l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, cela ne signifie pas nécessairement pour autant que la menace soit réelle pour ces pays membres à la fois de l’OTAN et de l’Union européenne – au contraire de l’Ukraine. L’OTAN est tenu de vérifier ces menaces. Dans le contexte de tensions actuelles, l’OTAN réactive son code génétique qui est défensif avec un ennemi proche, connu et de longue date : la Russie.
La puissance américaine ayant du mal à accepter de voir d’autres puissances émerger, elle peut se montrer provocatrice à l’image du déploiement de 4 000 soldats américains en Europe de l’Est début janvier 2017 dans le cadre de l’opération « Atlantic Resolve » en réaction au comportement de la Russie dans le conflit ukrainien.
Vers une communauté européenne de défense ?
Une véritable politique de défense européenne n’est pas véritablement envisageable tant que les Etats membres de l'UE , ne consacrent pas 2 % de leur PIB à la défense - contre 1,43 % en moyenne à l’heure actuelle et pour de nombreuses années encore : on ne peut donc pas se passer de l’OTAN. La France est le troisième contributeur financier de l’OTAN avec une contribution de 182 millions d’euros par an (soit 1,7 % de son PIB) sur un budget total de 866 millions de dollars. La France est le seul pays européen à avoir une capacité d’engagement aux cotés des États-Unis.
Depuis que les électeurs britanniques ont voté en majorité en faveur du Brexit le 23 juin 2016, la question d’un nouveau souffle à donner à la construction européenne est lancinante dans le débat public, ravivée également par plusieurs attaques terroristes sur le continent européen et les propos très critiques du nouveau président américain Donald Trump concernant l’OTAN et l'engagement financier des membres européens.
Au-delà des seules bonnes intentions et déclarations à l'issue des Conseils européens, le développement d’une Europe de la défense et d’une véritable politique de défense commune pourraient constituer un élément de réponse face à ces différentes tensions. Le Royaume-Uni peut être un obstacle à la création d’une communauté européenne de défense car il privilégie l’alliance atlantique, mais le Brexit peut le placer hors-jeu en la matière et inciter les Européens à développer réellement une politique de défense commune. Le Brexit, l’élection de Donald Trump et la menace terroriste vont sans doute pousser l’Union européenne à se mobiliser sur la sécurité et la défense. Pendant son discours sur l’état de l’Union de 2016, le président de la Commission européenne Jean-Claude Junker avait insisté sur l’importance de la coopération dans le domaine de la défense. La Commission européenne s’est donc emparée du sujet en proposant un Fonds européen de la défense comportant un volet qui permettrait d’améliorer la R&D (logiciels cryptés, robotique, méta-matériaux) à hauteur de 25 millions d’euros par an et pouvant aller jusqu'à 90 millions d’euros d’ici 2020, puis un volet qui permettrait une meilleure coordination des politiques d’armement afin de réduire les coûts pour les Etats membres. Ces derniers pourraient ainsi s’accorder pour acheter et partager du matériel militaire. La Commission souhaite également renforcer le marché unique de la défense pour permettre aux Etats membres d’obtenir le meilleur rapport qualité prix sur leurs marchés publics de défense et promouvoir les investissements dans l’industrie de la défense avec le soutien de la Banque européenne d’Investissement (BEI).
Le problème étant que défier l’existence de l’OTAN reste avant tout un défi politique qui appelle à un accord entre pays européens, sans pour autant bousculer la relation euro-américaine. L’Allemagne ne devrait pas suivre le chemin de la France en terme de dissuasion nucléaire puisqu’elle est en train de sortir progressivement du nucléaire civil avec un arrêt total de ces centrales nucléaires prévu pour 2022 ; de son coté la France n’incitera probablement jamais l’Allemagne à acquérir des armes nucléaires pour des raisons historiques et économiques. Le général Chavancy ajoute : « Le Royaume-Uni a cédé des pans entiers de sa défense aux États-Unis ». C’est un intérêt majeur pour ces derniers d’avoir à leurs côtés le Royaume-Uni. La France, de son côté, préserve, avec ses moyens, sa capacité d’appréciation de situation pour être un partenaire qui compte.
Il reste difficile de prédire l’action future de Donald Trump, mais Alexis Baconnet souligne combien le président des États-Unis est tenu par des tutelles structurelles et politiques, et ne peut sans doute inverser véritablement la tendance. Les États-Unis vont difficilement abandonner l’Europe et plus particulièrement les pays baltes, l’Albanie et la Slovénie dont l’OTAN assure la sécurité aérienne 24h/24. L’OTAN est une organisation qui est aussi administrative et donc produit de la doctrine engageant souvent les intérêts américains. Au vue de la menace grandissante, Alexis Baconnet ajoute : « Le terrorisme n’est pas l’affaire de l’OTAN mais des appareils de renseignements nationaux ». Comme à chaque entrée en fonction d'un nouveau président américain, le sommet annuel de l'Alliance au printemps 2017 aura lieu principalement pour accueillir Donald Trump - tout en inaugurant le nouveau quartier général de l'OTAN à Bruxelles. Cette année, l’attention des acteurs européens sera principalement tournée vers le début des négociations sur le Brexit ainsi que les élections en France et en Allemagne : il faudra probablement attendre 2018 avant de voir de réels changements au sein de l’OTAN.
[1] Commission européenne, communiqué de presse, 30 novembre 2016 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-4088_fr.htm
Cet article a été nourri des discussions lors de la conférence de clôture du Forum Devenir Reporter, organisée par l'Institut Open Diplomacy à Lyon, à l'Institut Made In, le 27 novembre 2016. Cette conférence a réuni Alexis Baconnet, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégiques (IFAS) et chercheur associé à l’université Jean Moulin Lyon 3, le Général Yves de Kermabon, ancien commandant de la force de l’Otan au Kosovo et le Général Pierre Chavancy, gouverneur militaire de Lyon ayant commandé la brigade La Fayette en Afghanistan.
Légende de la photo - Source de l'OTAN - http://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pictures/2017_02_170215e-mod-nac/20170215_170215e-002.JPG
Les opinions et interprétations exprimées dans les publications engagent la seule responsabilité de leurs auteurs, dans le respect de l'article 3 des statuts de l'Institut Open Diplomacy et de sa charte des valeurs.