Le traité New Start de réduction des armes stratégiques nucléaires entre les États-Unis et la Russie a été signé le 8 Avril 2010 à Prague. Après sa ratification par le Sénat américain le 22 décembre 2010 par une large majorité et le 25 janvier 2011 par la Douma russe, il est entré en vigueur le 5 février 2011 pour une durée de dix ans. Arrivant à expiration le 5 février 2021, l'administration Biden ne disposait donc que de 16 jours pour prolonger le traité après l'investiture du président le 20 janvier 2021. La prolongation prévue dans les articles du Traité n'ayant pas besoin de l'accord du Congrès, l’administration Biden a saisi la balle au bond et a renouvelé le traité pour 5 ans. La Douma russe a elle aussi, de son côté, approuvé la prolongation d’une large majorité, plus pour faire effet puisque cela ne nécessitait pas plus de vote pour la partie russe que pour la partie américaine.
Historique et modalités du traité
Le traité concerne trois types d'armes stratégiques offensives à capacité nucléaire : les missiles intercontinentaux - ICBM fixes ou mobiles, les missiles lancés à partir de sous-marins - SLMB et ceux lancés à partir d'un bombardier équipé de missiles de croisières, la portée maximale autorisée étant de 8000 kilomètres. Un total de 700 ICBM est autorisé pour 800 lanceurs déployés ou non-déployés, et un total de 1550 ogives nucléaires est autorisé pour armer ces missiles, dont certains comportent plusieurs ogives à la fois. Les armes doivent être situées uniquement sur le territoire national des deux parties.
Le traité autorise dans son article V la modernisation des systèmes existants et l'introduction de nouveaux systèmes entrant dans les catégories existantes, elles-mêmes définies dans le traité. Le traité prévoit aussi qu'une des deux parties puisse saisir la Commission Consultative Bilatérale s'il considère que l'autre partie est en voie d'introduire de nouveaux types d'armes stratégiques. Le planeur hypersonique Avangard et le missile aéroballistique air-sol hypersonique Kinzhal en cours de développement par les Russes peuvent ainsi faire l'objet de négociations dans le cadre du traité New Start.
L'administration Trump s'était prononcée auparavant pour l'ouverture d'une négociation entièrement nouvelle incluant d'autres puissances nucléaires, notamment la Chine, alors que Biden avait indiqué une possibilité de le prolonger tel quel. C'est bien ce qui a été décidé car en effet il n'y avait plus moyen d'attendre.
La Chine sur le banc de touche ?
C'est précisément là où le bât blesse, la Chine ayant clairement exprimé son manque d'intérêt pour participer éventuellement à une nouvelle négociation, arguant que son arsenal nucléaire est loin d'atteindre les quantités permises dans le traité original et souhaitant d'abord s'en approcher.
A vrai dire on ne voit pas très bien pourquoi les Chinois se seraient joints à une discussion dont le but avoué est de réduire ou au moins de cantonner le nombre des armes nucléaires à l'intérieur des paramètres établis par le traité New Start, avant que leur propre stock ne soit égal, voire supérieur à celui de ses concurrents. Cela prendrait en effet plusieurs années, voire plusieurs décennies si tant est que cet objectif paritaire aurait encore un quelconque intérêt à cette échéance. A moins bien sûr d'une meilleure compréhension, de la part de toutes les parties, des dangers que font courir à la paix du monde les armes nucléaires en général - celles des Américains et des Russes en particulier, dans la mesure où ces deux pays sont ceux qui possèdent le plus d'armes de ce type actuellement opérationnelles.
En attendant ce jour, qui se rapproche tout de même quelque peu après l'activation aux Nations unies le 22 janvier 2021 du Traité sur la Prohibition des Armes Nucléaires signé par 86 pays et ratifiés par 51 d'entre eux, la Chine reste sur le banc de touche en observateur privilégié et plutôt satisfaite de ne pas se trouver dans l'obligation de rejoindre la partie en position de faiblesse numérique dans ce domaine.
Un match qui se joue à deux seulement
Laissant de côté le problème de la participation de la Chine, voire de celle des autres pays nucléarisés, il n'est pas inintéressant de se pencher sur les opinions contrastées offertes par les spécialistes et politiciens américains - les Russes, pour leur part, ayant été demandeurs d'une prolongation de New Start sans ambiguïté sur la forme mais avec de nombreuses conditions sur le fond.
Vers la fin de l'administration Obama, les accusations entre les deux parties avaient fusé. Les Américains accusaient les Russes de développer de nouveaux armements, ce qui est avéré et qu'a confirmé publiquement et plusieurs fois le président russe. Ces derniers pourtant répondaient que les armes en question ne faisaient pas partie des trois catégories mentionnées spécifiquement au texte du traité.
Quant aux accusations russes contre les Américains, elles portaient sur les projets d'installations en Europe, notamment en Roumanie (projet réalisé en 2016) et en Pologne, de systèmes de missiles défensifs contre l'éventualité d'une attaque de missiles Iraniens. Cet objectif, contrevenant à l'obligation de ne pas situer d'armes potentiellement offensives en dehors du territoire national de chaque partie prenante au New Start, a été qualifié de ridicule par les Russes.
Notons d'ailleurs que ces accusations de chaque côté ont constitué la pierre d'achoppement sur laquelle ont culbuté les intentions du re-set des relations entre la Russie et les États-Unis, enclenché par le président Obama.
S'il est difficile pour un non spécialiste de l'armement de vérifier ou de contester la véracité ou la légitimité de ces accusations, il nous faut constater que, sans nouvelle négociation, à l'horizon de la fin des cinq ans de prolongation, le monde risque de se trouver confronté à une course aux armements nucléaires décuplée. En effet, de nombreux autres pays ont déjà exprimé le souhait de se doter à leur tour de l'arme suprême ou bien même de continuer à développer leur opérabilité.
Les professionnels du nucléaire américains tels ceux du célèbre Bulletin of the Atomic Scientists, les Senior Fellows des grands centres de réflexion tels le Foreign Affairs et le Brookings Institution, pour n'en mentionner que deux parmi les plus écoutés de la part des administrations américaines - sauf celle de Donald Trump ! - étaient tous assez favorables à une prolongation du traité tel quel : l'idée étant que, pendant ce temps, l'armement nucléaire américain continuerait de se moderniser, voire d’être remis aux normes. En effet, le président Obama avait laissé en héritage à ce secteur plusieurs milliards de dollars pour leur réfection sur plusieurs décennies. L'état de certaines de ces armes, notamment les célèbres Minutemen ICBM entreposés dans des silos dans les États du Centre et de l'Ouest du pays nécessitent, semble-t-il, une révision poussée : il en reste 400 en état de marche tandis qu'environ 600 d'entre eux ont déjà été mis hors service.
Selon les spécialistes, l'effort de modernisation de ses propres ICBM entrepris par l'état russe a été considérable et représente même une véritable violation du Traité New Start, notamment au niveau du nombre des ogives nucléaires, limitées à 1550 pour chaque pays, point important qu'il ne faut pas confondre avec le nombre des missiles porteurs eux-mêmes.
Se reposer sur ses lauriers ou s'entraîner pour la suite ?
Donc la prolongation de cinq ans, délai maximum permis par le traité, permettrait bien aux deux parties de refourbir leurs armes, ce qui les arrangerait toutes les deux. Pendant ce temps toutefois, les Chinois pourraient, eux, en développer de nouvelles ou simplement accroître le nombre de celles qu'ils possèdent déjà, ce qui ne ferait qu'amplifier le stock nucléaire mondial.
Mais le problème ne réside pas seulement dans les armes nucléaires proprement dites. La recherche et le développement dans le domaine de l'armement ont connu de tels progrès au cours des dix dernières années que les armes dites conventionnelles et pouvant être intégrées dans les systèmes de frappe de tous les missiles, qu'ils soient intercontinentaux ou non, sont devenues, de l'avis des experts, aussi puissantes - entendez aussi létales - que les armes nucléaires et autrement plus faciles à entretenir, à manipuler et à lancer. En d'autres termes, ces armes peuvent causer assez de dommages physiques aux structures et éventuellement aux populations civiles ou militaires ennemies pour conduire à une victoire, avec l'avantage certain de ne produire ni radiation ni dommages inutiles. D'autre part, les armes supersoniques, dont la Russie se targue d'avoir déjà développé des prototypes, constitue également un autre domaine « prometteur », potentiellement plus efficace, quoique dans d'autres applications, que les armes strictement nucléaires. Et enfin, l'intelligence artificielle appliquée à l'armement vient également aider au développement de nouvelles armes paradoxalement moins dangereuses à long terme pour la planète que le nucléaire d’un côté, et annoncer peut-être à long terme l'obsolescence de l'arme nucléaire, ce que nombre de personnes dans le monde appellent de leurs vœux.
En conclusion, il est difficile de trancher entre le bien-fondé d'une simple prolongation du traité New Start et son renouvellement de fond en comble. Dans le premier cas, les avantages sont limités aux seuls États-Unis et à la Russie, dans le second, il présente une véritable réduction du péril nucléaire potentiel de par le monde. Une main tendue de la nouvelle administration américaine envers les chinois serait très certainement nécessaire pour que ces derniers se laissent persuader de participer à la deuxième hypothèse - cela constituerait assurément un tour de force diplomatique.
Le traité est maintenant prolongé de cinq ans tel qu'il est. Cependant beaucoup de choses auront changé d'ici février 2026, y compris sans doute une nouvelle administration américaine.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Anne Kraatz, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, travaille sur les politiques américaines.