Il y a encore quelques mois, l'élection présidentielle américaine semblait devoir se jouer entre Hillary Clinton - épouse du 42e Président des États-Unis - et Jeb Bush, fils du 41e Président et frère cadet du 43e. Pourtant, les dernières semaines ont semé le doute et personne n'ose prétendre aujourd'hui détenir avec certitude le nom des champions qui s'affronteront en duel pour le Bureau ovale. Alors que ce mois de février est marqué par les premiers caucus et élections primaires, les outsiders prennent de l'avance sur leurs concurrents, et dans une confusion grandissante, de plus en plus d'électeurs américains sont conquis par des discours de rupture plus ou moins élaborés. À l'approche du « Super Tuesday » le 1er mars, rien n'est encore définitivement acquis et les fractures au sein des deux grands partis sont plus visibles que jamais. Mais si le jeu des primaires est celui des divisions, il s'agira de se rassembler, une fois les champions désignés - ce qui s'annonce particulièrement compliqué d'ici au 9 novembre.
Chez les Démocrates, le socialisme crée la surprise
Avec pour objectif d'être la première femme Présidente des États-Unis, et alors qu'elle était présentée au départ comme la candidate « naturelle » du Parti démocrate, Hillary Clinton est désormais en plus mauvaise posture. Son ambition féminine, à défaut d'être totalement féministe, ne lui suffit plus pour s'ériger en candidate de la rupture. Progressistes à bien des égards, ses adversaires démocrates, Bernie Sanders et Martin O'Malley notamment, n'ont cessé de dégainer l'argument selon lequel Hillary Clinton est la candidate de Washington et de l'establishment, éloignée des préoccupations de ses concitoyens. Cette rupture, c'est Bernie Sanders qui souhaite l'incarner. Doyen des candidats et unique concurrent restant de l'ex-Première dame à l'investiture démocrate, il se définit lui-même comme « socialiste », prenant ainsi le risque de se mettre à dos une partie des électeurs américains, encore profondément marqués par les vieux affrontements entre socialisme et libéralisme. Le « Bern » s'érige aujourd'hui comme seul opposant aux lobbies et au pouvoir de l'argent, dont il accuse Hillary Clinton d'être l'instrument - après en avoir fait de même il y a quelques temps, notons-le, contre Barack Obama. Ces derniers jours, c'est à l'héritage d'Henry Kissinger, incarnation de la realpolitik à l'américaine, que Bernie Sanders s'attaque.
Face à ses détracteurs démocrates, Bernie Sanders défend ainsi l'idée d'une « révolution politique » qu'il entend accomplir d'une part via des réformes ambitieuses (études supérieures gratuites, couverture santé universelle, hausse du salaire minimum) s'appuyant sur d'importantes hausses d'impôts et visant à mettre en place ce qui pourrait se rapprocher d'un État-providence à la française (même si Hillary Clinton rappelle à son adversaire que les États-Unis ne sont pas la France), et d'autre part sur un mouvement politique plus large, rappelant que même s'il est élu à la Présidence, Bernie Sanders ne saurait seul changer durablement les choses. Malgré ses 74 ans, le congressman appelle ainsi à renouveler la classe politique et séduit les jeunes, à qui il promet un avenir dans lequel ils ne seraient pas endettés à vie pour étudier et se soigner. Utilisant les réseaux sociaux plus que les autres candidats, il est parvenu à toucher un public jeune et connecté, mais aussi à lever des fonds. Parti seul et sans le sou, après être arrivé en tête dans le New Hampshire le 9 janvier dernier, le candidat Sanders a profité d'une grande attention médiatique pour relancer sa campagne de dons individuels en ligne, qui lui a permis de récolter 3,5 millions de dollars en quelques jours. Celui qui refuse l'argent des groupes de pression peut désormais faire campagne plus sereinement.
Pourtant, si son discours est maintenant connu à travers toute l'Amérique, Bernie Sanders doit encore convaincre de ses capacités à diriger le pays, et élargir sa base électorale s'il veut survivre aux Ides de Mars et poursuivre la course jusqu'au bout. Face à cette vivacité du Bern, Hillary Clinton prône une approche plus pragmatique, vante ses compétences et son expérience reconnue à la fois nationalement et internationalement. Elle met également en garde contre un socialisme bien vendu par son concurrent, mais difficilement applicable aux États-Unis. Par ailleurs, alors qu'elle se concentrait dans un premier temps sur l'électorat féminin, l'ancienne Secrétaire d’État cherche désormais à rallier les voix des populations hispaniques et afro-américaines. En effet, si son rival a pour l'instant obtenu de bons scores dans deux États où les minorités raciales sont peu représentées (l'Iowa et le New Hampshire sont composés d'une population à 90 % blanche), ce n'est pas le cas des grands États où les primaires auront lieu en mars, et qui sont a priori plus favorables à Hillary Clinton - du moins pour l'instant. Cette dernière prend d'ailleurs grand soin de se présenter comme l'héritière de Barack Obama, encore très populaire au sein de ces communautés.
La stratégie de l'ex-Première dame consiste donc à tenter de rallier à sa cause les minorités pour s'assurer du nombre le plus important de délégués, surtout pour les échéances de mars (28 États, dont le Texas, la Floride et l'Illinois, qui comptent pour 1 875 délégués, soit plus de 50 % du total, dont 900 rien qu'à l'occasion du « Super Tuesday » le 1er mars), puisqu'un candidat avantagé à la fin mars a de grandes chances de s'imposer pour l'investiture. Mais si Hillary Clinton compte sur des sondages en sa faveur, elle fait face aux récentes offensives de Bernie Sanders, qui a bien compris lui aussi qu'il ne conservera pas son avance de février s'il ne s'adresse qu'aux populations « homogènes » comme celles de l'Iowa et du New Hampshire. Il compte bien séduire l'électorat démocrate dans toute sa diversité pour faire tomber le « firewall » de sa concurrente.
Que Bernie Sanders ou Hillary Clinton décroche l'investiture, les Démocrates peuvent au moins se féliciter d'avoir un débat politique nourri et élevé, ce qui est loin d'être le cas chez les Républicains.
Côté Républicains, le débat ne décolle pas et donne raison à la ligne la plus dure
Très nombreux au départ, les candidats à l'investiture du Grand Old Party - GOP sont encore six en lice à l'heure actuelle. Parmi eux, trois candidats se distinguent : Ted Cruz, Marco Rubio, et Donald Trump. Globalement, leurs programmes respectifs sont surtout fondés sur l'idée qu'il faut diminuer les impôts et défaire tout ce que Barack Obama a mis en place : Obamacare, accord sur le climat, régulation du port d'armes, etc. Le plus modéré des trois, Marco Rubio, apparaît n'avoir convaincu qu'un court instant. Alors qu'il est de plus en plus critiqué pour son manque d'expérience comme d'arguments, la côte de popularité de ses deux concurrents est en hausse. Extrémistes chacun dans son propre style, l'affrontement entre Ted Cruz et Donald Trump met à jour les vices cachés d'un Parti républicain en déconstruction. Anti-immigration, ultraconservateur et ultra-religieux, Ted Cruz fait face à un Donald Trump sexiste, xénophobe et populiste.
Dans la bataille, le candidat à la capillarité douteuse a acquis à sa cause les électeurs républicains les plus pauvres. Annonçant vouloir s'attaquer à Wall Street et à sa main-mise sur Washington, Donald Trump oublie de préciser que lui-même, magnat de l'immobilier, a profité à bien des titres de la crise des subprimes. Caricature incarnée, le milliardaire se présente lui-même comme un modèle de réussite souhaitant apporter des solutions simples - et radicales - aux Américains. Ainsi selon lui, l'insécurité aux États-Unis est uniquement le fruit de l'immigration illégale en provenance du Mexique et d'Amérique latine. Sa solution ? Construire un mur que le Mexique financerait... mais a-t-il seulement demandé l'avis de Mexico ? Afin de mettre un terme à l'insécurité, Donald Trump souhaite supprimer les gun-free zones, autrement dit autoriser et encourager le port d'armes partout, i.e. même dans les écoles et les hôpitaux. Face à la menace terroriste, il souhaite très sérieusement expulser tous les musulmans des États-Unis et leur interdire l'accès au territoire américain - s'attirant immédiatement les foudres des partenaires des États-Unis dans le Golfe arabo-persique et au-delà.
Si Ted Cruz effraie, au moins du point de vue européen, Donald Trump caracole en tête des primaires et inquiète les partenaires des États-Unis. Omniprésent dans les médias, il est aujourd'hui en bonne position pour décrocher l'investiture d'un parti qu'il semble être en train de dynamiter. Insultant ses concurrents sans gêne aucune, il a su faire oublier son statut d'outsider en menant une campagne d'une rare violence. Sa base électorale, composée d'une majorité de blancs assez pauvres et peu éduqués, rejetant les élites, le considère comme le seul candidat à la fois conservateur et anti-système.
Louant Hillary Clinton et ses compétences avant de se porter lui-même candidat et de faire de cette dernière sa première bête noire, Donald Trump rallie à lui un électorat de plus en plus nombreux, mais risque en parallèle de laisser filer une partie des électeurs du Grand Old Party en cas d'investiture. Dénonçant son incompétence, les membres du Parti républicain sont déjà quelques-uns à indiquer qu'ils préféreraient voter démocrate lors de la présidentielle de novembre si Trump était le candidat de leur parti. C'était bien évidemment avant que Bernie Sanders grimpe dans les sondages pour concurrencer Hillary Clinton chez leurs adversaires démocrates. Là encore, le mois de mars s'avérera déterminant côté Républicains et permettra de savoir si, vraiment, rien ne va plus.
Et Barack Obama, dans tout ça ?
À 10 mois de l'élection, le Président sortant semble vouloir terminer son mandat en beauté, achevant une vague de réformes visant à moderniser le pays, doucement remis sur pieds après la dernière crise économique et financière. Après l'Accord de Paris, l'ObamaCare, la fin de l'embargo sur Cuba et l'accord sur le nucléaire iranien, Barack Obama souhaite s'attaquer aux armes à feu, à la discrimination raciale, ou encore aux écarts de salaires entre hommes et femmes. Face à la débâcle des primaires, et bien que ses réformes ne fassent pas l'unanimité, de nombreux commentateurs - même parmi les plus conservateurs - reconnaissent à l'actuel occupant de la Maison blanche une certaine élégance qu'ils regrettent déjà.
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