La semaine dernière, l’Institut Open Diplomacy a reçu une des deux seules femmes à avoir été sur la station spatiale MIR. L’ancienne ministre Claudie Haigneré, astronaute et médecin, aujourd’hui conseillère du directeur général de l’agence spatiale européenne (ESA) a livré sa vision de l’Europe de l’espace.
Quand on pense à la construction européenne, on pense bureaucratie, lenteur administrative, rigidité législative, identité, souveraineté, migrations, frontières… Mais au-delà de ce cadre contraignant, l’Europe fait aussi rêver. Non-seulement par ses objectifs de paix et de protection des droits de l’Homme, mais aussi par des projets plus modernes comme la recherche et l’exploration spatiale.
L’Europe de l’espace, c’est une multitude d’agences spatiales
L’« Europe de l’espace », c’est la superposition d’une Agence Spatiale Européenne (ESA) et des agences nationales comme le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) en France. Cette dualité permet aux Etats partenaires d’allouer un budget propre et d’élaborer des coopérations propres dans le domaine de l’Espace tout en contribuant en parallèle financièrement aux programmes de l’ESA qu’ils souhaitent développer davantage.
Le principe est que chaque contribution apporte un retour. L’ESA ne relève pas de l’Union Européenne, qui intervient dans ce domaine à travers la Commission européenne, mais il s’agit d’une agence intergouvernementale de 22 partenaires incluant des Etats extérieurs à l’Union comme le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse. La Commission européenne en revanche a un apport de 20% du budget de l’ESA.
Les missions de l’ESA sont réparties en 4 branches. La première concerne les sciences et l’exploration spatiale pour laquelle une équipe européenne d’astronautes a été créée. La seconde, est la sécurité : la météo spatiale comme par exemple les éruptions solaires ou encore la surveillance des astéroïdes et la protection des infrastructures spatiales contre les collisions de débris dans l’espace extra-atmosphérique, qui se multiplient avec l’accroissement de lancements de satellites privés. La troisième comporte des programmes d’application qu’on pourrait aussi qualifier d’« utiles » : observation de la Terre (programme Copernicus), télécommunication, satellites. Enfin, la quatrième porte sur l’accès à l’espace traitant notamment de tout ce qui concerne les lancements de vaisseaux, centres de test et de préparation.
Dans le domaine de la recherche et de l’exploration, la coopération est plus développée que dans les programmes d’application qui reposent plutôt sur une forme de compétition. La Station Spatiale Internationale est un témoin de la de la coopération internationale dans le domaine de l’Espace. L’ESA contribue à hauteur de 8% ce qui lui permet d’y envoyer son équipe d’astronautes pour effectuer des recherches, tout comme peut le faire chacun des contributeurs : Etats-Unis, Russie, Canada, Japon et les diverses agences spatiales européennes.
La coopération spatiale évolue avec le projet d’exploration mené sur Mars
Avec le projet d’exploration de Mars, les objectifs de la diplomatie de l’espace évoluent. Dès cette année, des sondes seront envoyées par la NASA en coopération avec plusieurs partenaires internationaux dont l’ESA. Ces dernières doivent prélever des extraits du sol martien afin de pouvoir les étudier sur Terre en avec tout le matériel dont les scientifiques disposent. On espère y trouver des formes de vie ! L’ESA s’est assuré un rôle important dans cette entreprise, puisque c’est elle qui se chargera de leur retour.
L’Europe, comme ses autres partenaires, essaie de se rendre indispensable dans le projet d’exploration de Mars qui est mené par les Etats-Unis. Le programme Artemis, la sœur jumelle d’Apollon qui avait atterrit Neil Armstrong sur la Lune, devrait permettre à des hommes et des femmes de poser le pied sur la planète rouge.
L’ESA est un des nombreux partenaires de la NASA, qui a établi de nombreuses collaborations bilatérales avec des agences spatiales et des entreprises privées. Avec un cinquième du budget alloué à la NASA, l’ESA ne peut prétendre à être un leader dans le domaine. En revanche, elle peut être un partenaire clé.
Pour réaliser cette expédition, la NASA prévoit la construction d’un « gateway » : une plateforme autonome en orbite autour de la lune, à partir de laquelle pourraient repartir des voyages plus lointains dans l’espace. L’ESA est très investie dans ce projet, envisageant même la création d’un « village lunaire ».
Le village lunaire est un challenge pour la recherche scientifique
L’idée est d’installer un habitat permanent sur la lune pour pouvoir y faire étape. C’est un défi pour la recherche scientifique car il va falloir apprendre à utiliser les ressources que l’on trouve sur la Lune : développer des techniques de forage pour l’exploitation minière, utiliser la glace et les poussières pour extraire de l’eau, de l’hydrogène et de l’oxygène, et même produire du carburant. On doit encore apprendre à stocker les énergies pour être autonome et pouvoir alléger les vaisseaux en provenance de la Terre. Des expérimentations scientifiques explorent aussi la possibilité d’y faire vivre des plantes voir même des espèces animales comme des poissons.
Installer un habitat sur la Lune suppose aussi de trouver une solution à l’absence d’atmosphère qui protège des crash d’astéroïdes. On a pu imaginer à cette fin de s’installer dans les lavatubes immenses, issus d’une ancienne activité volcanique. De plus, le sol de la lune est pour les chercheurs une véritable « mine d’or » : les nombreux débris qui y reposent constituent des archives du système solaire.
Ces recherches sont menées par les différentes agences spatiales, mais des acteurs privés peuvent aussi être intéressés à travailler dans ce domaine. La possibilité de pouvoir extraire des métaux extra-terrestres est très attractive. Quelle place doit leur être accordée ?
Ainsi, la création d’un village lunaire pose de nombreuses questions au niveau de la recherche scientifique mais aussi au niveau de la gouvernance internationale : qui aura accès au village ? Comment va-t-on se répartir les ressources ?
Il faut encore penser un système politique et économique lunaire
Sur la Lune il n’y a ni lois, ni drapeaux. Tout est à faire, tout est possible. Si cette perspective très séduisante engendre espoirs et enthousiasme, il faut toutefois être prévoyant si on ne veut pas que ce soit le « Far West » sur la Lune.
En effet, avec le développement d’un village lunaire, beaucoup d’interrogations sont soulevées. Comment va-t-on gérer le trafic vers la lune ? L’utilisation des infrastructures sera-t-elle commune, partagée ? Lorsqu’on aura mis un système de télécommunication en place, sera-t-il mis à disposition de tous ? Enfin, qu’en est-il de l’appropriation de terres ou l’exploitation de ressources minières ?
Il n’existe pour l’instant aucune technique de forage efficace, mais peut-être ne faut-il pas attendre son invention pour décider du sort des ressources spatiales. Peut-on envisager qu’elles appartiennent à un patrimoine mondial de l’Humanité et ne puissent donc être appropriées ? Ou est-ce qu’on préférera mettre en avant le critère économique, en suivant la logique du « premier arrivé, premier servi », risquant ainsi une course hautement compétitive entre les différents acteurs privés et publics ?
Le seul traité existant à l’heure actuelle, « Outer Space Treaty », a besoin d’être actualisé. Il a été rédigé en 1966, à un moment où l’exploitation de ressources hors sol terrien n’était pas encore sérieusement envisagée. Ce texte prévoit que la lune ou autres corps célestes ne soient pas appropriables, mais ne se penche pas sur le cas plus spécifique des ressources minières. Une économie lunaire et cislunaire doit donc encore être pensée.
Ce projet de village lunaire est un apprentissage à la fois dans les domaines scientifique, technique et économique, que pour la coopération internationale. Il s’agit d’une étape primordiale dans cette phase d’expansion de l’humanité. C’est pourquoi l’Europe doit s’assurer d’être à la table des négociations.