Lors de son discours à la Sorbonne de septembre 2017, le Président de la République française, Emmanuel Macron, appelait à « la poursuite d'une politique spatiale ambitieuse et de la consolidation d'une industrie européenne compétitive à l'échelle mondiale ».
Domaine hautement stratégique et de « compétition entre utilisateurs », l’Espace suscite aujourd’hui les convoitises de nombreuses puissances étatiques, qu’elles soient considérées comme « hyperpuissances » comme les Etats Unis, renaissantes comme la Russie ou émergentes comme l’Inde. A ces rapports de force entre Etats hérités de la course à l’Espace pendant la Guerre Froide s’ajoutent des groupes d’acteurs privés nés de la dynamique du New Space.
Dans ce subtil jeu qui consiste à « tisser des réseaux planétaires de gestion et contrôle de l'Espace », quelle place l’Europe peut-elle occuper ? A l’aube d’une nouvelle décennie de chroniques spatiales et dans un contexte de renouveau des institutions européennes, quel rôle peut-elle avoir, comment peut-elle rivaliser et rester compétitive dans un écosystème en pleine mutation et de plus en plus concurrentiel ?
2019 : entre contexte politique favorable et difficultés économiques
L’Europe spatiale : le déclin ou le sursaut ?, telle pourrait être la formule pour résumer la situation d’une Europe qui se trouve aujourd’hui face à un rendez-vous à ne pas manquer, un rendez-vous pour gagner, ou plutôt conforter, sa « place à la table des grandes nations spatiales ». Sur le plan politique, force est de constater que 2019 a été un bon cru dont le bouquet n’a pas été altéré par l’épisode des élections européennes, le spatial étant précisément le domaine qui invite à « prendre de l’altitude », ce domaine fait de réalisations et réussites concrètes au bénéfice de tous les citoyens de l’Union.
Outre le vote à la session plénière du Parlement d’avril 2019 du règlement sur la politique spatiale européenne, l’adoption par le Conseil de l’UE le mois suivant de conclusions sur les « moyens de renforcer le rôle de l'UE en tant qu'acteur mondialet depromouvoir la coopération internationale dans le domaine spatial » et sur « l'espace en tant que catalyseur d'une économie européenne plus compétitive » témoigne d’un alignement des planètes qui s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie spatiale pour l’Europe. Néanmoins, ce contexte politique favorable à l’échelle des institutions s’accompagne de certaines fragilités et difficultés qui tendent à assombrir le bilan du spatial européen pour l’année 2019.
Tout d’abord, à l’heure du bilan des lancements spatiaux en 2019, force est de constater que l’Europe se fait « largement distancer par les autres puissances spatiales » avec à peine une dizaine de lancements réalisés par Arianespace, contre plus d’une trentaine pour chacun de ses rivaux américain et chinois. Un tel écart s’explique - en partie - par les différentes cultures spatiales des deux rives de l’Atlantique et le poids accordé aux financements et activités d’acteurs du secteur privé. Mais surtout, il est symptomatique d’une Europe spatiale qui se cherche, qui « semble hésitante et reste dans son paradigme historique » : réussir à s’imposer comme puissance spatiale avec un budget limité. Une telle posture est-elle suffisante pour garder un siège à la table des puissances spatiales ? Rien n’est moins sûr si l’on en croit les derniers chiffres d’Eurospace : le marché du spatial européen s’affaiblit du fait du ralentissement de l’activité industrielle et des pertes de part de marché (-60% en trois ans). Autant de données qui traduisent les maux d’un spatial européen qui traverse sa première crise depuis dix ans.
2020 : entre embellie budgétaire et ambitions politiques prometteuses
Malgré ce contexte où « L’Europe ne traverse pas le meilleur moment de son histoire spatiale », des éclaircies se profilent à l’horizon de la nouvelle décennie.
La conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne s’est soldée par un effort budgétaire conséquent : elle prévoit 14,4 milliards d’euros pour financer les programmes spatiaux européens. Ce budget sera-t-il suffisant ? Les avis de spécialistes divergent : malgré ce budget inédit depuis 25 ans, beaucoup font preuve de retenue, préférant parler de budget « conséquent, mais cependant, loin des budgets américain et chinois ». Les résultats de ces investissements accrus dépendront de la volonté politique employée pour redynamiser un secteur spatial européen à la fois « compétitif, complexe et bousculé ».
Le secteur privé se tient prêt comme l’a démontré la 12ème Conférence sur le spatial européen, grand-messe des entrepreneurs du secteur attendaient que « la Commission affiche de nouvelles ambitions politiques ». Dans de nombreux domaines - de la défense au télécommunication - les projets foisonnent sous forme de coopération publique privée.
Lors de cette Conférence, deux prêts ont d’ailleurs été annoncés par la Commission et la BEI à hauteur de 200 millions d’euros. Le premier pour « garantir un accès autonome européen à l’Espace » destiné à financer le développement d’Ariane 6. Le second pour le programme InnovFin Space Equity dont l’objectif est de soutenir l’innovation et favoriser la croissance des PME européennes du secteur spatial.
Commission von der Leyen : rampe de lancement d’une nouvelle politique spatiale ?
L’espace est la nouvelle frontière des politiques globales selon les termes du Haut-Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M. Josep Borrell.
A l’unisson avec sa collègue, Margrethe Vestager, Vice-présidente exécutive de la Commission, il préconise d’utiliser les infrastructures spatiales pour mettre en œuvre les transitions verte et digitale.
Du côté du Conseil de l’UE, même son de cloche : la Ministre pour la Science et l’éducation de la Croatie, Mme. Blaženka Divjak, au nom de la Présidence tournante, parle d’« une Europe plus forte sur la scène internationale » grâce à un « secteur spatial vecteur de création d’emplois ».
Tous sont unanimes : le spatial jouera un rôle de premier plan dans le mandat de la nouvelle Commission.
Le nouveau commissaire européen en charge du spatial, M. Thierry Breton devra manoeuvrer dans les négociations budgétaires du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, pour inscrire cette ambition dans le temps long bruxellois.