Bonjour Emmanuel Grégoire, quel a été le déclencheur de la politique d’Open Data à Paris ?
Notre politique d’Open Data a été initiée dès 2008, à la suite de délibérations du Conseil de Paris. Notre philosophie est de servir l’intérêt social et collectif, et ainsi de mettre en commun des données pour tous. Tout cela n’est pas d’inspiration purement française puisque nous nous sommes inspirés des actions mises en œuvre par l’administration Obama [ndlr. : c’est aux États-Unis que le concept de “gouvernement ouvert” a été développé à partir de 2009 avec le lancement de l'"Open Government Initiative", engageant le gouvernement fédéral et ses agences à travailler avec les citoyens de manière transparente, participative et collaborative]. C’est une philosophie qui nous agrée donc, et finalement durant de nombreuses années, nous faisons de l’OGP [Open Governance Partnership] sans le savoir. En quelques mots notre philosophie repose sur la transparence : c’est se battre pour les biens communs numériques mais également contre la corruption. Aussi, c’est promouvoir la transformation de l’action publique via des outils numériques.
Quel rôle peuvent jouer les gouvernements locaux ?
Pour reprendre les mots de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, dans le monde complexe dans lequel nous vivons, traversé par des crises et des innovations, les gouvernements locaux sont probablement le lieu où se déploient les politiques publiques les plus proches des citoyens. C'est à ce niveau-là que les citoyens ressentent les éléments les plus concrets. En tant que représentant de la modernisation de l’action publique, c'est donc en matière d’Open Data, ou de transformation des outils numériques, que les métropoles et les villes peuvent mettre en place des choses innovantes. C’est important de répondre rapidement et efficacement aux aspirations des citoyens.
Paris est une ville pionnière en la matière ?
En effet, Paris est une des villes pionnières avec New York et Londres depuis la fin des années 2000 dans le domaine de l'Open Data. Mais le but n’est pas de savoir quelle est la meilleure ville, ou la ville pionnière. Notre objectif est de croiser des données afin de créer une réelle plus-value. L’enjeu est clairement d’être le service public du futur, et ainsi d'exploiter ces données en termes d’évaluation du service public.
Mais vous savez, un moyen concret de démontrer aux usagers l’intérêt de l’Open Data, c’est l’exploitation par les tiers. C'est pourquoi nous voulons que des grands acteurs puissent interagir entre eux, notamment les entrepreneurs et les universitaires qui sont les premiers utilisateurs d’Open Data. Nous travaillons par exemple en collaboration avec la RATP, la SNCF ou le groupe de publicité JC Decaux pour les Vélib. Voilà un intérêt bien concret pour l’usager dans son quotidien.
On sent une volonté de partage dans votre politique…
En effet, il faut savoir – et c’est notre conviction à la Mairie de Paris – que partager les données permet plus de créations de richesses collectives qu’en les laissant sous clé. Or c’est encore malheureusement largement le cas : de nombreuses organisations privées ou publiques protègent jalousement leurs données en pensant être assises sur des tas d’or, alors qu’en réalité ce sont des données périssables. Par conséquent, le manque d’exploitation conduit à la perte de valeur, alors qu’en partageant au contraire ces mêmes données, par la diversité des regards et des acteurs mobilisés, elles gagneront une réelle plus-value. Sans oublier le défi de toujours respecter les droits et les libertés des usagers en matière d'utilisation de ces données. Notre axe prioritaire a donc été la libération de jeux de données à forte plus-value sociale pour les parisiens et les franciliens. Cela a permis aux universitaires, aux start-ups et aux associations d'enfin croiser des données sur des champ de compétence différents.
Où en est l’Open Data aujourd’hui à Paris ?
Nous sommes aujourd’hui dans une phase de maturité : nous avons initié depuis fin 2015 une politique d’open data en matière de données budgétaires – les marchés publics, les budgets, les ressources humaines, etc. Pour autant, on ne peut pas prétendre que le citoyen lambda va se lever tous les matins pour aller chercher des infos sur la plateforme en ligne disponible à cet effet, ce ne serait pas vrai. L’Open Data et son traitement demandent de réelles compétence techniques et d’analyse. Je crois donc que grâce aux corps intermédiaires qui viennent exploiter ces données, comme les journalistes par exemple, le bénéficiaire in fine est le citoyen. C’est un enjeu de transparence, pour exercer un contrôle externe sur les organismes de pouvoir quels qu’ils soient, les collectivités territoriales ou les administrations. Tout cela enfin doit permettre aux citoyens de développer un regard plus éclairé sur les politiques publiques et leurs acteurs.
Si l’ouverture des données est fondamentale pour le débat public et la démocratie, il y a des données immédiatement utiles sur lesquelles les citoyens vont avoir une prise directe, et d’autres non. Par exemple, (en France) certaines données en matière de défense méritent sans doute d’être protégées, comme les données personnelles des citoyens – mais cela est du ressort des institutions. Il ne faut pas laisser à penser qu'il serait pertinent d’ouvrir par principe toutes les données : il faut faire des choix. Or on assiste aujourd’hui à un changement de philosophie dans le débat public, avec le développement d'un nouveau postulat d'ouverture des données par défaut. C’est d’ailleurs une mode qui s’installe dans plusieurs pays en plus de la France, via les lois numérique et santé. On a donc un devoir de transparence en tant qu'élu. Pour être clair, il y a un gros manque car les lois qui régissent la consultation de la donnée sont encore trop sclérosées. L'une des problématiques est également de savoir si l'on doit étendre l'utilisation des données aux entreprises. A la mairie de Paris, on est d'accord sur ce principe lorsque l'on sait qui les utilisent et la manière dont les données seront extraites. Après tout, pourquoi se priver en matière de création de la donnée pour l'usager ? On est conscient de l'absence de maturité et d'expertise citoyenne du citoyen lambda en matière d'Open Data. C'est pourquoi les universitaires, journalistes et activistes ont un rôle capital à jouer pour nous aider à faire le tri de manière positive dans tout cela.
Qu’attendiez-vous du sommet du Partenariat pour un Gouvernement ouvert ? Aura-t-il été à la hauteur de vos attentes ?
On attendait que ce sommet mette en valeur l’Open Data, et la performance de la lutte contre la corruption notamment. On voulait également rencontrer des représentants d’autres villes qui sont des acteurs engagés fortement dans ce domaine, à travers le monde. C’est d’ailleurs l’objet de l’accord signé par la mairie de Paris avec 13 autres villes à propos des gouvernements locaux. Pour résumer, ce sommet aura été l'occasion d'apprendre d’autres cultures et de mieux connaître les pratiques du service public qui sont mises en œuvre avec succès ailleurs. Et c'était aussi bien sûr l'occasion de mettre en valeur le travail que nous faisons à la ville de Paris en étroite collaboration avec Etalab l’organisme chargé du traitement de l’Open Data auprès du Gouvernement [ndlr. : mission sous l'autorité du Premier ministre chargée de la politique d'ouverture et du partage des données publiques].
Légende de la photo en bandeau : Emmanuel Grégoire.
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