En 2015, l’ONU a adopté les Objectifs de Développement durable à mettre en œuvre d’ici 2030 afin de construire des sociétés plus durables, plus résilientes et plus inclusives. Avec notamment un objectif, le numéro 5 : parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles. Si des progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies et années, il reste beaucoup à faire pour l’égalité réelle. D’autant que la crise de la Covid-19 a rappelé la fragilité de bien des avancées.
Pour renforcer, à la fois au niveau local, national comme international, pour renforcer la lutte contre les inégalités, qui existaient avant la Covid-19, et que la pandémie a exacerbées, il faut travailler à passer de l’égalité en droits, à l’égalité réelle dans tous les domaines de la vie en société, à commencer par la vie économique et le marché du travail. Quel rôle pour les coopérations d’acteurs et les femmes elles-mêmes pour mettre les enjeux d’égalité au cœur de la Cité ?
Lutter contre les inégalités : pour la justice économique
Un constat : si les femmes sont présentes dans tous les secteurs de la société, elles restent sous-représentées aux échelons supérieurs et aux postes de direction. Leur proportion diminue en effet généralement à mesure que l’on monte les échelons d’une organisation, quelle qu’elle soit. Elles occupent souvent des postes moins bien positionnés et des positions plus précaires que les hommes, avec plus de temps partiel subi, pour des salaires plus faibles. En France en 2021, 40 % des entreprises de plus de 1 000 salariés ne comptent que 2 femmes parmi les 10 rémunérations les plus importantes, et un quart seulement respecte la parité.
Pourtant, les femmes ont été au cœur de la lutte contre la Covid-19 et elles le sont encore, plus d’un an après le début de la pandémie. Notamment parce qu’elles sont majoritaires dans de nombreux secteurs particulièrement concernés, comme la santé et le soin aux personnes, la grande distribution ou le commerce de détail. Selon Hans Kluge, Directeur régional de l’OMS pour l’Europe, « depuis trop longtemps, la santé mondiale est dirigée par les hommes et dispensée par les femmes, (...) les femmes représentent 70 % du personnel de santé mais n'occupent que 25 % des postes de direction ». La crise a néanmoins permis de mettre les projecteurs sur des talents du monde médical comme la réanimatrice Lila Bouadma, une des 5 femmes sur les 16 membres du conseil scientifique français Covid-19.
L’enjeu est donc complexe en matière d’égalité : à la fois faire respecter l’obligation d’un salaire égal à travail égal, mais également lever les freins à l’expression de leurs ambitions professionnelles, et accompagner leur trajectoire tout au long de leur vie professionnelle.
Les pouvoirs publics jouent un rôle majeur en la matière, à travers les législations et réglementations mises en œuvre et leur pouvoir de sanctions, le rôle d’entraînement qu’ils représentent comme employeur public, et les dispositifs d’accompagnement mis en place. Pour devenir réalité pleine et entière, l’égalité économique demande néanmoins également la mobilisation des acteurs privés, ces derniers pouvant par ailleurs ouvrir la voie à travers des expérimentations - sur l’allongement de la durée du congé paternité par exemple.
Favoriser la justice économique demande par ailleurs de lutter contre les harcèlements et les violences sexistes et sexuelles. Des lois existent, des plateformes d’échanges et d’informations permettent de s’informer et d’agir, à l’échelle nationale comme internationale. Des mécanismes privés comme publics, à l’image de la cellule Thémis, au sein du ministère français des Armées, de lutte contre les harcèlements et les violences sexistes et sexuelles, permettent de dénoncer les discriminations et les inégalités dans le monde du travail comme dans la vie privée.
Au cœur des prérogatives de la puissance publique, la fiscalité elle-même peut devenir sujet d’attention dans la lutte pour l’égalité. Celle fondée sur le ménage tend en effet à invisibiliser les femmes et leur contribution à ce dernier ainsi qu’à la société, et fonctionne comme une barrière à la participation économique des femmes et nuit à la redistribution de la richesse. Une fiscalité féministe devrait ainsi être progressivement fondée non plus sur le ménage, mais sur les individus. La Suède, le Royaume-Uni ou l’Irlande ont ainsi mis en place de telles réformes dans un double objectif de justice et de sécurité économique.
L’action féministe, du global au local
En 2000, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait pour la première fois une résolution axée sur les femmes, les filles, les conflits armés et les résolutions de conflits. Cette résolution 1325 « Women, Peace and Security » a permis de placer au cœur du débat public international les femmes et les filles. Le bilan fut alors triste mais décisif.
Triste, car l’on a mesuré l’impact d’un conflit armé, d’une déstabilisation politique ou d’une guerre civile sur les conditions de vie des femmes et des filles. En plus d’être des victimes du conflit, tout comme les hommes, elles peuvent également devenir l’objet de violences sexuelles avant, pendant et après. Et un bilan décisif car les travaux de recherche ont permis de mettre en lumière le rôle des femmes, notamment à l’échelon local, dans la dénonciation d’inégalités et de faits illicites, la résolution de conflits. Grâce à cette résolution « Women, Peace and Security », des programmes spécifiques ont été développés pour favoriser leur protection et leur leadership, un travail poursuivi par la résolution 2250 de 2015 « Youth, Peace and Security » qui vise à développer un cadre favorable au leadership des jeunes.
Dans cette logique de prise de conscience de l’importance des enjeux d’égalité dans les politiques publiques, la ministre suédoise des Affaires étrangères, Margot Wallström, a développé en 2014 le concept de diplomatie féministe. Un concept prolongé en 2018 par le Manuel de la diplomatie féministe, pour appeler les États à rejoindre cette démarche globale de politique étrangère. La France, le Canada, le Mexique, l’Espagne ou le Luxembourg ont rejoint cette démarche et entendent « défendre les droits des femmes dans un contexte international de remise en cause [...], en particulier des droits sexuels et reproductifs ». Ce qui suppose de développer une « approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes qui s’applique à tous les domaines de la politique étrangère [...] et à toutes ses étapes »
Cette approche multilatérale des questions d’égalité permet d’inclure l’ensemble des acteurs, publics comme privés, qui renouvellent leur mode de production , de gestion des ressources humaines et des moyens de communication. Conscients de leur responsabilité sociétale, de grandes entreprises comme LVMH, L’Oréal ou Gucci par exemple s’engagent dans des programmes de leadership féminin et de respect des droits des femmes.
Cette approche inclusive des questions d’égalité s’appuie également sur une mobilisation à toutes les échelles, du global au local. Administrations de proximité par excellence, les communes, qu’elles comptent une poignée ou des millions d’administrés, sont en première ligne pour promouvoir l’égalité réelle. Les services publics de proximité jouent un rôle clé en matière sociale, sécuritaire ou économique, à travers l’offre d’accompagnement et de soutien fournie comme les actions de sensibilisation mises en œuvre. Travailleurs sociaux, policiers, mènent des actions d’accompagnement et de protection des personnes, de sécurisation de l’espace public. Certaines villes misent sur la vidéo surveillance combinée avec un « bouton panique » : un citoyen, femme ou homme, qui se sent menacé ou est victime d’une incivilité peut ainsi demander une intervention rapide de la police municipale. Certains services de transport public proposent par ailleurs de déposer femmes et jeunes au plus proche de leur domicile à partir d’une certaine heure. Actions de sensibilisation et d’information au plus près des personnes, dont des opérations de porte-à-porte, sont enfin mises en œuvre afin de faire mieux connaître les dispositifs existants et les possibilités de recours.
Des role models de premier plan
Cette nouvelle dynamique en faveur de l’égalité accompagne l’arrivée des femmes à des postes à hautes responsabilités, et est accompagnée par la visibilisation des femmes à des postes et fonctions de premier plan - Premières ministres, ministres y compris à des postes régaliens comme la défense, ou directrices générales d’organisation internationale comme Ngozi Okonjo-Iweala nommée directrice générale de l’OMC en février 2021, etc.
Dans le secteur public, au sein des administrations, en politique comme au sein des entreprises ou de la société civile, ces figures peuvent agir comme autant de role models à destination des femmes et des jeunes filles pour lever les inhibitions. Des États comme la Nouvelle-Zélande font figure de modèle avec une femme chef de gouvernement, Jacinda Ardern, et une autre femme issue des minorités indigènes, ministre des Affaires étrangère, Nanaia Mahuta. Au sein des conseils municipaux, des assemblées parlementaires, aux postes de direction, dans les métiers scientifiques et informatiques, favoriser la représentativité des sphères de décision rend visible l’enjeu d’égalité pour chacun, ainsi que la possibilité d’y parvenir progressivement.
L’enjeu clé des politiques et dynamiques féministes réside ainsi dans leur impact durable. Un mandat, une action individuelle ou isolée ne peut suffire à faire évoluer les structures, les mœurs et représentations : à tous les niveaux, nous sommes tous concernés et tous acteurs de la construction de la génération égalité.
Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Mélyne Tarer, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy travaille principalement sur les enjeux stratégiques de l'Indo-Pacifique.