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Les objectifs du développement durable : et maintenant, où va-t-on ?

| Pierre-Jean Cusset

11 avril 2016

Dix-sept objectifs, construits autour d’un consensus universel ambitieux et d’un changement de méthode. Mais également 169 cibles et une multitude d’indicateurs destinés à évaluer la progression de la mise en œuvre des différents objectifs. Parmi cette grande diversité et face aux immenses attentes ainsi créées, comment parvenir à construire un cadre pour un développement cohérent et équilibré ? L’objectif de la semaine de réflexion organisée par l’Institut Open Diplomacy du 29 février au 3 mars dernier était de parvenir à mettre en évidence des liens d’interdépendance ou des contradictions à dépasser entre plusieurs objectifs du développement durable.

OMD, ODD : quelles évolutions ?

Les objectifs du développement durable, ODD, ont été adoptés le 25 septembre 2015 aux par l’Assemblée générale des Nations unies, à l’unanimité de ses 193 Etats membres. S’ils succèdent aux objectifs mondiaux pour le développement – OMD adoptés en 2000 et arrivant à échéance en 2015, ces ODD diffèrent néanmoins largement de ce premier agenda mondial pour le développement.

De manière évidente, c’est d’abord sur le nombre et la qualité des objectifs qu’ODD et OMD diffèrent : de huit objectifs, centrés essentiellement sur des cibles quantitatives reposant sur des seuils à atteindre – éliminer l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, réduire la mortalité infantile, etc. – on est passé à dix-sept objectifs qui concernent de manière plus ambitieuse des processus visant à orienter les politiques publiques de développement dans la durée : lutter contre les inégalités, rendre les villes durables, établir des modes de consommation et de production durables, etc. Les négociations onusiennes sont ainsi parvenues à dégager un consensus universel sur ces points, et cette réussite diplomatique mérite d’être saluée.

C’est ensuite sur le plan de la méthode qu’ODD et OMD se distinguent radicalement. Ainsi, la construction de l’agenda du nouveau partenariat mondial pour le développement a reposé sur l’inclusion de l’ensemble des pays et parties prenantes à la question du développement au cours d’un processus de négociation de plus de trois ans : pays développés, pays en développement, société civile et ONG, tous ont été associés pour construire un nouveau programme ambitieux destiné à dépasser les limites que les OMD ont pu rencontrer.

Une nouvelle méthode pour un nouveau développement 

Les OMD visaient à concentrer l’attention internationale sur certains objectifs prioritaires. Cela a en partie fonctionné, et permis de constater en 2015 la réalisation de plusieurs cibles, notamment la nette réduction de l’extrême pauvreté à travers le monde. Ces résultats globaux sont appréciables et ont été salués au moment de l’adoption des ODD. Ils peuvent néanmoins être pour partie biaisés, et liés à des politiques de court terme, de rattrapage, dont les effets n’ont pas pu être réellement perçus par l’ensemble des populations : ainsi la réduction de l’extrême pauvreté au niveau mondial a été rendue notamment possible grâce à la baisse massive des chiffres de la pauvreté en Chine sur une très courte période. L'échelle de temps souvent très courte, quelques mois à quelques années, donnée aux programmes destinés à mettre en oeuvre les OMD, a également pu avoir comme conséquence de faire rater à ces derniers leur cible initiale, les populations les plus vulnérables – car identifier ces dernières et leurs besoins réels demande du temps – au profit d'une logique de « saupoudrage » des financements disponibles, ou de captation par d'autres groupes sociaux.

C’est donc une approche plus qualitative qui est apparue nécessaire, ainsi qu’un meilleur ciblage et une meilleure évaluation des politiques mises en œuvre. Pour construire un développement authentiquement durable, les politiques de développement doivent pouvoir bénéficier à moyen et à long termes à toutes les populations, et notamment les plus vulnérables.

C’est donc davantage une logique inclusive qui a présidé à la construction des ODD. Ces derniers ont une vocation globale, intégrant à la fois l’ensemble des enjeux du développement, pour les pays du Sud comme ceux du Nord. Cela entraîne dès à présent des changements importants, notamment l’implication et la responsabilisation de l’ensemble des pays du monde, et la re-contextualisation de l’objectif historique de simple hausse quantitative du PIB.

Vers la fin de la croissance ?

Faut-il à partir de là revenir sur l’objectif de croissance quantitative, pour plutôt promouvoir un modèle de développement durable ? Est-ce simplement possible à mettre en œuvre, notamment pour les pays en développement qui doivent d’abord répondre aux besoins essentiels de leurs populations ? L’économie constitue naturellement une composante essentielle du développement durable : il s’agit d’un des trois piliers du développement durable[1]. Dans une économie mondialisée et très interdépendante, il est indispensable pour chaque pays de parvenir à construire des structures économiques soutenables afin d’apporter un niveau de ressources suffisant à l’ensemble de sa population. La réelle difficulté pour de nombreux pays est de parvenir à articuler les priorités de court terme – la satisfaction des besoins des générations présentes conduisant notamment à l’exploitation non soutenable de certaines rentes de matière première – avec les enjeux de long terme – notamment parvenir à construire les infrastructures économiques et sociales permettant d’assurer le développement des générations futures.

C’est précisément pour tenter d’apporter une réponse à cette question que les ODD ont été définis : outils d’aide à la décision, ils doivent conduire à construire des modèles économiques plus sûrs, moins dépendants de la production de matières premières, et plus compatibles avec une croissance de long terme. Les ODD doivent également permettre de sortir du traditionnel débat sur l’antinomie entre croissance économique et développement durable, entre croissance économique rapide et hausse du niveau de vie des populations d’une part, et amélioration de la qualité de la croissance, plus équilibrée et moins rapide.

A cette dichotomie apparente, les ODD viennent apporter une première réponse, reposant notamment sur les expériences de certains pays du Sud et proposant à partir de là une vision bien plus ancrée dans la réalité, et en mesure de répondre aux réels enjeux du développement. A titre d’exemple, certains pays du Sud ont fait le choix de préférer à une croissance rapide tirée par la hausse de l’industrialisation et de la productivité favorisant une montée en gamme des productions, un modèle plus équilibré reposant sur une meilleure redistribution des richesses et des programmes actifs de lutte contre la pauvreté – en Amérique latine, l’exemple du Brésil et de ses programmes sociaux est souvent cité – ou bien reposant sur un modèle de croissance verte – l’exemple de l’Ethiopie est parlant, parvenue à une croissance réelle en préférant des modes décarbonés de production – et affranchi des cultures de rentes qui conduisent souvent à des dégradations importantes de l’environnement et à une hausse des inégalités – la Bolivie est sur ce plan un exemple régulièrement cité. Tous ces exemples, qui ont alimenté la construction des ODD, font la promotion de modèles économiques permettant une croissance plus favorable à l’amélioration des conditions de vie réelle des populations.

Stabilité et sécurité pour le développement 

Sur ce plan, une question essentielle concerne la tension qui peut exister entre l’objectif historique de lutte contre la pauvreté, qui a été le moteur de la coopération internationale pour la mise en œuvre des OMD, et la priorité que constitue la lutte contre les inégalités dans l’amélioration des conditions de vie des populations. Les politiques de lutte contre la pauvreté reviennent en effet souvent à élever le seuil de pauvreté monétaire, sans réduire pour autant les écarts de niveau de vie, et peuvent même conduire dans certains cas à accroître ces inégalités initiales. Les objectifs du développement durable, par la vision globale qu’ils offrent, doivent permettre d’intégrer les populations les plus vulnérables dans la dynamique de développement. C’est à cette condition seulement qu’il est possible de mettre en œuvre une lutte réellement efficace et durable contre la pauvreté partout dans le monde.

Faire des populations les acteurs de leur propre développement constitue ainsi une priorité des ODD. Cela n’est pas sans poser des problèmes particuliers dans les pays du Sud, où les infrastructures peuvent manquer et où des efforts particuliers doivent être réalisés. Ainsi, l’objectif du développement durable n°4 vise à développer les capacités des Etats en matière éducative. Or pour de nombreux pays du Sud l’éducation des populations, qui constitue un élément clef de l’autonomisation des populations et de la lutte contre les inégalités, reste souvent très insuffisante parce que les capacités manquent en termes d’infrastructures, comme de personnel qualifié et en nombre suffisant.

La lutte contre la pauvreté et l’exclusion constitue donc une dimension essentielle de la construction de modèles de développement véritablement durables. Les populations fragiles, qui sont majoritairement réparties au sein des pays les moins avancés, sont les plus exposées à toute forme de crise, économique, sociale, militaire, environnementale. Les pays les moins avancés sont en effet des Etats où la transition vers des modèles de développement suivant les ODD risque d’être la plus difficile, et en tout état de cause des Etats où les infrastructures et la gouvernance sont souvent trop fragiles pour apporter une réponse rapide, appropriée et efficace lorsque survient une crise.

Dès lors, le développement durable devient nécessairement un enjeu de sécurité humaine des populations. La notion de sécurité se trouve au cœur de la réflexion internationale menée depuis les années 1980 sur la notion de développement, et plus précisément de développement durable – citons une nouvelle fois le rapport Brundtland de 1987. Ainsi le PNUD, le Programme des Nations unies pour le développement, a proposé pour la première fois en 1994 de considérer la notion de sécurité humaine comme le fondement nécessaire au développement des populations humaines. La notion de sécurité est ici entendue de manière large : il s’agit à titre principal de définir un niveau de garantie minimal à tous les individus d’un Etat en matière d’accès à des ressources essentielles – l’eau, l’alimentation, l’éducation, le logement, la santé.

La sécurité humaine est néanmoins amenée à recouper également l’acception classique de la notion de sécurité, au sens de défense d’un territoire et de protection de la population d’un Etat. Depuis 2000, on constate une augmentation presque continue du nombre de personnes contraintes de fuir la guerre, les conséquences néfastes du changement climatique – comme la désertification de la région du Sahel – ou les crises économiques de grande ampleur – de la famine en Somalie, à la crise des matières premières – dans de nombreuses régions du monde. Cet état de fait engendre des conséquences directes sur le niveau de vie des populations, et conduit également à une instabilité croissante de certaines régions. A ce titre, la menace sécuritaire que fait peser la secte Boko Haram sur plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, Nigeria, Cameroun, Tchad, s'avère particulièrement préoccupante.

Les enjeux de la mise en œuvre des ODD

Aujourd'hui, c’est donc la question de la mise en œuvre des ODD qu’il va falloir régler, car si les Etats membres ont affiché clairement leurs intentions, il faut maintenant parvenir à traduire ces objectifs en politiques cohérentes. Plusieurs étapes devront à ce titre être franchies.

Tout d’abord la question du financement : si les pays en développement ont appuyé la conduite de négociations en amont quant à la problématique du financement du développement durable[2], de nombreuses questions demeurent. Ainsi, la constitution de modèles de croissance verte impliquant un coût supplémentaire pose la question de sa compensation : quels mécanismes de transferts internationaux pourrait-on parvenir à constituer pour inciter à investir dans ces modèles, et faire en sorte que chaque pays déployant des efforts particuliers pour contribuer à la soutenabilité de la croissance mondiale soit indemnisé pour le surcoût qu’il supporte ? Les solutions sont largement connues, subvention à l’investissement propre, taxes sur la pollution, etc. : la mise en œuvre concrète risque néanmoins d’être beaucoup plus compliquée.

La mise en oeuvre des ODD peut également faire tendre à promouvoir une diffusion beaucoup plus générale et décentralisée des politiques de développement, et le financement va sûrement être amené à évoluer. Si l’aide publique au développement doit être maintenue pour soutenir les pays les plus en difficulté, il semble également que les ODD fassent la promotion de la responsabilité de chacun dans la construction du développement. Ainsi pour ce qui concerne le financement, il semble qu’aujourd'hui encore des volumes importants peuvent être mobilisés par une meilleure ré-allocation des ressources domestiques de l’ensemble des pays. C’est la question de la gouvernance qui est ainsi posée, et l’enjeu de la création d’un cycle vertueux pour tous les pays autour des politiques de développement durable mis en avant.

Aussi, il apparaît de manière certaine que les nouveaux modes de participation et de coopération initiés à l’occasion de la négociation des ODD, constituent une piste essentielle pour construire un nouveau partenariat mondial pour le développement : la coopération est une voie essentielle pour parvenir à co-construire les capacités manquantes, par des politiques intelligentes dans les Etats en développement afin de faire de ces derniers les acteurs de leur propre développement ; la coopération permettra également de valoriser et de renforcer l’expérience des Etats développés dans l'ensemble des domaines ciblés par les ODD.

[1] La première représentation de ces trois piliers a été proposée par l'économiste René Passet en 1979, qui réunissait dans un seul schéma trois sphères en équilibre : la sphère économique, la sphère sociale et la sphère environnementale. C’est sur ce fondement que s’est développée la proposition d’un nouveau développement économique, dit « durable », tel que défini par le Rapport de la Commission mondiale de l’Environnement et du Développement de 1987, dit rapport Brundtland, « répondre aux besoins présents sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ».

[2] Programme d’action d’Addis-Abeba adopté le 16 juillet 2015 dans le cadre des négociations internationales sur le financement du développement.