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Les cent jours de Mauricio Macri - Retour gagnant de l'Argentine sur la scène mondiale

| François Vidal-Castel

18 avril 2016

 L'Argentine vit une révolution politique depuis cent jours. Depuis son arrivée au pouvoir le 10 décembre dernier, Mauricio Macri est l'incarnation du changement de donne politique à l'œuvre après douze ans de kirchnérisme dans le pays.

Le nouveau président compte déjà quelques avancées remarquables à son actif. Ses trois premiers mois ont fortement été marqués par le retour de l'Argentine sur la scène internationale, garantissant notamment au pays un accès aux capitaux internationaux grâce à un accord qualifié d'historique avec les "fonds vautours" en février de cette année. Ce jeudi 14 avril doit d'ailleurs intervenir le remboursement des 4,65 milliards dus aux 7 % de créanciers privés avec qui l'État argentin n'avait pas trouvé d'accord sous la présidence de Christina Kirchner entre 2007 et 2015, afin de solder le dossier de la dette argentine ouvert par le défaut de paiement du pays en 2001.

Cela est de bon augure pour les prochains défis de Mauricio Macri, qui compte bien pouvoir financer son programme grâce au retour sur les marchés internationaux : reprise de l'activité, baisse de l'inflation, pauvreté zéro, lutte contre le narcotrafic. En somme, rendre l'Argentine prospère pour unir son peuple.

La position du président est certes inconfortable au Congrès, puisque sa coalition "Cambiemos" ne compte que 89 députés sur 257 à la Chambre des députés, ce qui l'oblige à composer avec les blocs minoritaires comme la coalition de centre-droit Unidos por una Nueva Alternativa - UNA qui compte 36 députés, mais dont les leaders ont déjà déclaré leur intention de battre Mauricio Macri lors des prochaines élections parlementaires en 2017 et présidentielle en 2019.

Mauricio Macri hérite d'un pays que le couple Kirchner a isolé et fragilisé

Le couple Kirchner - Nestor Kirchner, président de 2003 à 2007, puis Christina Kirchner, présidente de 2007 à 2015 - a incarné durant douze ans une idéologie péroniste d'interventionnisme, qualifiée volontiers de "populiste" par la sociologue et militante contestataire de gauche Maristella Svampa. Celle-ci voit dans le kirchnérisme une politique de bon augure pour les classes moyennes et une "révolution passive" au sens que Gramsci lui donnait dans ses Cahiers de prison.

Christina Kirchner en particulier se voulait représentante de l'anti-impérialisme dans son pays, renouant les liens avec l'Iran, se laissant volontiers représenter sous les traits d'une Evita Perón du 21e siècle (en référence à Eva Perón, 1919-1952, femme du président Juan Perón qui exerça son mandat de 1946 à 1955), nouant amitié avec Hugo Chavez, multipliant les attaques sur les Malouines et bloquant les négociations pour un traité de libre échange entre l'Union européenne et le Mercosur, la communauté économique rassemblant l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et le Venezuela.

De telles positions politiques peuvent s'expliquer. Il faut effectivement rappeler que les Kirchner ont été les artisans de la reconstruction de l'Argentine post-crise monétaire et post-défaut de paiement de 2001 - cette crise étant largement imputée par l'opinion publique argentine au Fonds monétaire international et aux politiques économiques de rigueur mises en œuvre. La restructuration de la dette menée sous les administrations Kirchner s'est traduite par une renégociation acceptée par 93 % des créanciers privés de l'Argentine, entre 2005 et 2010 - une telle restructuration avait néanmoins été refusée par 7 % de fonds dits "vautours" ou "hold-out", des fonds d'investissement, américains pour la plupart, ayant acquis au rabais des titres de dette argentine et cherchant à récupérer une somme aussi proche possible de la valeur nominale de ces titres.

Concernant les créanciers publics, l'Argentine avait conclu en mai 2014 un accord multilatéral pour le remboursement de sa dette avec le Club de Paris, groupe informel de 20 pays créanciers dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement des nations endettées. Cet accord s'est traduit par des paiements de plusieurs centaines de millions de dollars[1] entre 2014 et 2015.

Le bilan financier des Kirchner est cependant à contraster, avec une balance des changes ultra-déficitaire puisque 82 milliards de dollars ont quitté le pays durant les huit années de présidence des deux membres du couple.

Côté économie, le péronisme de Christina Kirchner a démontré la radicalité auquel il pouvait mener. On se souvient notamment de la nationalisation forcée en 2012 de la société pétrolière YPF, filiale du groupe espagnol Repsol, ce qui a conduit le gouvernement Kirchner à dédommager la société espagnole pour un montant de 5 milliards de dollars via des bons du Trésor[2].

Le libéralisme assumé de Mauricio Macri le positionne favorablement vis-à-vis des bailleurs de fonds de l'Argentine

M. Macri est naturellement acquis au libéralisme économique vu son appétence pour les affaires, héritée de son père, Franco Macri. Italo-argentin né à Rome, cet homme d'affaires puissant fut à la tête d'un conglomérat diversifié - déchets, construction, automobile, transport aérien entre autres - dont les activités permirent à sa famille de s'enrichir.

Cette richesse n'a pas manqué d'attirer les envieux, et comme tout bon bourgeois vivant dans une grande ville d'Amérique latine, Mauricio Macri a subi un enlèvement. L'homme qui n'était alors pas encore versé en politique fut enlevé un matin de 1991 et séquestré treize jours durant par des membres de la Police fédérale qui avaient fait leur spécialité de la détention de riches porteños, nom des habitants de Buenos Aires. Franco viendra au secours de son enfant et payera la somme de 6 millions de dollars réclamée pour sa libération[3].

Plutôt que de le dissuader de sortir de chez lui, cette mésaventure n'a pas freiné l'ascension de Mauricio Macri, qui a notamment présidé le mythique club de Boca Juniors à Buenos Aires durant treize ans, devenant ainsi un personnage public de premier plan dans un pays épris de football.

Dans ses baskets côté affaires, on a également pu récemment voir Mauricio Macri à Davos, parfaitement à l'aise en anglais dans le cénacle le plus célèbre du business mondial, contrairement à ses prédécesseurs peu praticiens de la nouvelle lingua franca[4].

Le président Macri a d'ores et déjà changé la donne pour l'Argentine pendant ses cent premiers jours au pouvoir

Sans conteste, l'accord trouvé le 29 février dernier[5] avec les fonds "hold-out" pour un montant de 4,65 milliards de dollars en l'échange de l'abandon des poursuites de ces créanciers contre le gouvernement - alors qu'ils réclamaient 15 milliards de dollars à l'Argentine - constitue le premier succès politique de Mauricio Macri. Le nouveau président argentin a fait le pari que cet accord permettrait à son pays de regagner la confiance des créanciers et le respect des grands Etats mondiaux.

Cette confiance retrouvée envers l'Argentine sur la scène internationale doit notamment permettre de contracter de nouvelles dettes afin de financer le développement d'infrastructures créatrices d'emploi et de richesses. Ce recours à la dette doit également permettre le relâchement de la pression fiscale sur les entreprises. Par exemple, les taxes à l'exportation pour les produits agricoles - 60 % des exportations - et industriels vont être supprimées.

En schématisant, la vision libérale de Macri se traduit par de la dette pour des infrastructures, plutôt que pour de l'assistanat. Cette politique a des effets immédiats sur le pouvoir d'achat des ménages argentins, qui baisse du fait de la dépréciation du peso argentin - -38 % début mars 2016 - et de l'arrêt des subventions étatiques à l'électricité, la hausse du prix engendrée pouvant atteindre jusqu'à 700 %, au gaz et aux transports publics.

Sur le plan symbolique, le président Mauricio Macri a eu la lourde tâche de mener les commémorations des quarante ans du coup d'état militaire ayant porté le général Videla au pouvoir en 1976, début d'un régime militaire de 1976 à 1983 synonyme de la disparition de 30 000 personnes, arrêtées du fait de leurs activités politiques d'opposition - une association de parents de ces victimes, les "mères de la place de Mai", continue de demander justice à l'État pour ces disparus. Mauricio Macri a voulu faire de ces commémorations un moment d'affirmation d'unité pour le peuple argentin, et a notamment affirmé : "Je veux en finir avec les notions d'amis et d'ennemis... L'Argentine qui vient est le pays de l'accord"[6].

Cette commémoration a également constitué un temps important des relations bilatérales entre l'Argentine et les États-Unis. En effet, à la suite de son voyage historique à Cuba du 20 au 22 mars dernier, Barack Obama s'est rendu, en famille, le 23 mars à Buenos Aires pour rencontrer le nouveau locataire de la Casa Rosada, le siège du pouvoir exécutif argentine, plus amène envers les États-Unis que sa prédécesseure Christina Kirchner. Barack Obama a profité des commémorations pour faire un geste important et attendu vers la société argentine : la déclassification d'archives de la CIA - Central Intelligence Agency en lien avec le coup d'État de 1976. Le président Obama tenait également à féliciter personnellement Mauricio Macri pour son volontarisme, saluant le fait que M. Macri a "bougé si vite sur autant de réformes qu'il avait promises". Entre deux tangos sur les rives du río de la Plata, la "rivière de l'argent", le président Obama a confirmé publiquement lors d'un toast, que le monde entier a noté la disposition du président argentin à réengager l'Argentine dans la communauté internationale, marquant ainsi "un nouveau départ".

Un mois avant son confrère américain, le 25 février, c'était le président français, François Hollande, qui venait rencontrer le président Macri.

Cet engouement pour Mauricio Macri est caractéristique du certain état de grâce que lui ont conféré ses cent premiers jours de pouvoir, mais de premières difficultés pourraient venir assombrir le tableau. En effet, le déficit courant argentin ne devrait pas se résorber dès 2016, car les récoltes de blé et de maïs peuvent être affectées par le phénomène climatique d'El Niño, puissant cette année, et car la demande brésilienne pour les produits manufacturés est en baisse.

Cependant les réformes nécessaires au financement de ce déficit et au regain de confiance des entreprises argentines devraient avoir des effets à moyen terme. En 2017, le président Macri pourra vérifier la popularité de ses initiatives avec une échéance électorale : les élections législatives qui renouvèleront la moitié de la Chambre des députés et le tiers du Sénat. Quel que soit le résultat de ces élections, je rappellerais à Mauricio Macri le mot de l'écrivain argentin Roberto Arlt dans Eaux fortes de Buenos Aires, en 1933 : "Un homme sans défauts serait insupportable car il ne donnerait jamais un motif de dire du mal de lui à son prochain".

Sur le plan mondial, le président Macri ne cache pas ses ambitions et veut surfer sur la vague d'approbation qu'il suscite auprès des dirigeants mondiaux en proposant que son pays organise le G20 en 2017. Gageons que Buenos Aires sera la prochaine destination des délégués Open Diplomacy après Hangzhou les 4 et 5 septembre de cette année!

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