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Le potentiel inexploité du soft power sportif

Claire Lebrun

10 janvier 2018

Cet article a été nourri par les discussions lors du Forum organisé le 18 novembre 2017 par l’Institut Open Diplomacy, autour de la thématique « le « soft-power » du sport : un potentiel encore trop peu exploité ? », avec Carole Gomez, chercheuse à l’Institut des Relations internationales et Stratégiques - IRIS, Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris chargé du sport et du tourisme, et Philippe Vinogradoff, Ambassadeur de France délégué au sport, modéré par Olivier Fiani, rédacteur en chef de France 24 Sport.

La diplomatie sportive, récente en France, a été officiellement lancée par Laurent Fabius, alors Ministre des Affaires étrangères, et Valérie Fourneyron, Ministre des Sports, en 2014. Ses acteurs sont multiples : fédérations, Comité national Olympique, le monde de l’entreprise, fédérant des projets qui dépassent les seuls rôles des Etats et des villes.

Si la diplomatie sportive française est naissante, elle est cependant déjà visible, comme le rappelle Philippe Vinogradoff, Ambassadeur de France délégué au sport, un poste créé par le Quai d’Orsay il y a seulement trois ans. La France a été désignée à Lima en septembre dernier comme pays d’accueil des Jeux Olympiques 2024 ; elle recevra également l’Euro féminin en 2019 ou encore la Coupe du monde de Rugby en 2023. De quelle manière la France met-elle en place sa diplomatie sportive, et cela peut-il jouer en sa faveur sur la scène internationale ?

L’influence du sport sur la scène internationale

Annonce J.O Paris 2024, 13 septembre 2017 (c) Nicolas Duprey.

« La diplomatie sportive utilise le sport comme instrument de la diplomatie globale », affirme Philippe Vinogradoff. Considéré auparavant comme un sujet hors des champs diplomatique et politique, le sport est devenu un instrument d’influence internationale en raison de son impact économique croissant. Pesant aujourd’hui 34 milliards d’euros, la filière sport représente 1,9 % du PIB en France. Aux Etats-Unis, le Super Bowl est devenu un événement incontournable, à la fois sportif, mais aussi commercial.

Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS qui étudie l’impact du sport sur les Relations internationales, souligne que « dès l’antiquité, la trêve sacrée est organisée pour les Jeux olympiques antiques. Les cités-états arrêtaient les combats pour le sport ». La chercheuse souligne l’importance du sport actuel notamment en raison de sa forte médiatisation. Les événements sportifs majeurs mobilisent une attention médiatique qui peut s’avérer stratégique, comme lors des compétitions entre Etats-Unis et URSS pendant la Guerre froide.

Plusieurs Etats ont développé une diplomatie sportive propre, que ce soit la Chine, les Etats-Unis ou le Qatar. Une étude du CNRS en 2012 montre que les pays utilisent le sport comme un levier d’influence. Par exemple, le Qatar investit dans des structures sportives pour se faire connaître sur la scène internationale et ainsi préparer l’après-pétrole. En France, un bureau des relations internationales est chargé de développer les coopérations bilatérales avec les différentes institutions européennes et internationales dans le domaine sportif (UE, Unesco, Conseil de l’Europe), et le Comité national olympique et sportif français a aujourd’hui l’objectif premier de « promouvoir le sport français à l’International, la présence française dans les instances internationales, et le français comme langue olympique »[1].

L’obtention par Paris des Jeux de 2024 est lourde de sens. Qu’il s’agisse de la cérémonie d’ouverture ou du mois entier de compétitions olympiques et paralympiques, une bonne organisation, une cérémonie impressionnante et des résultats sportifs satisfaisants pour les Français comme pour l’ensemble des athlètes permettront de faire de cet événement international une véritable vitrine pour Paris. Comme le souligne Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris, chargé du sport et du tourisme « la ville qui reçoit les Jeux Olympiques devient le centre du monde. »

Cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Rio, Brésil, 21 août 2016.

Le moment de l’attribution des Jeux Olympiques est-il « une photographie de l’équilibre des forces mondiales » ?[2]

Jean-François Martins rappelle « qu’un pays faible diplomatiquement ne peut pas gagner l’organisation des Jeux ». Le choix, en 2001, de Pékin pour organiser l'édition 2008 coïncide avec un moment crucial pour la Chine qui émerge comme grande puissance. En 2009, le choix du Brésil cristallise un moment de développement de l’influence des BRICS. De même, lors du choix de Londres pour 2012, l’Angleterre est très puissante, avec un chômage en baisse et un Premier ministre, Tony Blair, populaire.

Cette année, l’attribution des Jeux à la France serait le fruit de la prise de conscience de la défaite de la candidature de Paris pour les JO 2012. Le mouvement sportif français s’est alors interrogé sur les moyens à sa disposition pour gagner en influence, poursuit Jean-François Martins. Les membres du CIO qui votent sont majoritairement issus du monde sportif, ce sont eux qui sont influencés.

Sur les 100 membres actifs du Comité, on compte trois Français : l’athlète Guy Drut, Tony Estanguet, champion olympique de canoë, et le rameur Jean-Christophe Rolland[3]. En octobre 2016, le président du CIO Thomas Bach, reçu à Paris notamment par le président François Hollande, la Maire de Paris Anne Hidalgo, et la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse, s’était dit « impressionné par la candidature très forte de la France ». Même s’il ne vote pas, il a un très fort pouvoir d’influence. Marc Ventouillac, journaliste du journal sportif L’Equipe, affirmait que cette déclaration n’était pas forcément significative mais que la France « apprenait » à faire du lobbying.[4] En 2005, deux mois après l’attribution des Jeux de 2008 à Pékin, l’homme d’affaire français André Guelfi affirmait avoir convaincu « vingt de ses amis membres du CIO » de faire perdre la France, par vengeance envers Jacques Chirac.[5] 

Si les temps ont changé et si les critères sont plus protocolaires, la présence du président Emmanuel Macron lors de la présentation des candidatures à Lausanne avait été saluée, rappelant « l’effet Tony Blair » en 2005 lorsque Londres avait été choisie[6]. Plus qu’une image des rapports de forces sur la scène internationale, l’attribution des Jeux relève des perceptions de cette scène par les acteurs du Comité olympique, en parallèle des jeux d’influences.

Les Jeux olympiques, une scène qui reste politique   

Si la compétition sportive se veut neutre, les règles politiques s’immiscent dans les rapports de force. Selon Carole Gomez, lors des Jeux olympiques, la compétition peut constituer un vecteur de nationalisme exacerbé : « Au XIVe siècle, la Chine n’était pas portée sur le sport, considéré comme un loisir, comme dans l’ensemble du monde à l’époque. Elle l’a d’abord vu comme un complément militaire en se développant avec les arts martiaux, le tir à l’arc, qui augmentait ses performances sur un terrain de guerre. En 1952, c’est la première fois que la Chine participe aux Jeux olympiques, en présentant un seul athlète ».

La Chine a alors pris conscience de cette force du sport : il peut participer activement à la création d’un sentiment national. A la fin des années 1950, le pays crée le ministère des Sports pour cultiver la performance. En 1984, il envoie 354 athlètes à Los Angeles. En 2008, la Chine finit première au classement des médailles avec 51 médailles d’or, entraînant ainsi une rivalité diplomatique avec les Américains, « les Jeux étant vu comme un vecteur de leur propre modèle », enchaîne la chercheuse.

Les projecteurs mondiaux peuvent également accentuer ou développer une image négative du pays d’accueil. En 2014 lors des Jeux de Sotchi, les médias ont ouvertement critiqué les lois homophobes adoptées en Russie, notamment en relayant les appels à manifester d’ONG à travers le monde entier, une lettre de 27 lauréats du prix Nobel adressée au président Vladimir Poutine, et en appelant à boycotter les Jeux. Le président français François Hollande n’y a pas assisté, tout comme David Cameron et Angela Merkel. Barack Obama s’est quant à lui fait représenter par personnalités ouvertement homosexuelles, la hockeyeuse Caitlin Cahow et l’ancienne championne de tennis Billie Jean King.[7]

Au Brésil en 2016, le contraste entre le dispositif d’accueil des Jeux et le fort taux de pauvreté qui touche les classes défavorisées avait retenu l’attention mondiale. Dans un contexte de crise économique, de hausse du chômage et de scandales de corruption, l’organisation des Jeux était très mal perçue. Quatre mois avant leur organisation, la population vivait la destitution de la présidente Dilma Rousseff et craignait que les travaux des ouvriers, actifs jour et nuit, ne favorisent la propagation du virus Zika.[8] Une photo du brésilien Felipe Barcellos avait attiré l’attention, montrant une femme dormant sous un panneau des Jeux, bardé du slogan “un monde nouveau”.[9]

Si la diplomatie sportive peut être un levier de puissance sur la scène mondiale, elle est également confrontée aujourd’hui à des obstacles et enjeux spécifiques, comme par exemple le dopage, la neutralité politique, la corruption, ou encore la violence des mouvements hooligan. Elle peut également s’avérer risquée à l'heure où l'attention mondiale est attirée vers un pays en particulier. La diplomatie sportive a néanmoins réussi à se faire une place dans les pratiques diplomatiques par son poids économique et son rôle de représentation de plus en plus significatifs. Si le poids d’un Etat se fonde aujourd’hui sur de nouveaux enjeux, le sport s’impose comme un élément fondamental et nécessaire de cette influence.

[1] « Les grands axes de la diplomatie sportive », ministère des affaires étrangères et du Développement international, juin 2016, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/vaccessible_diplo_sportive_2016_fr_cle881191.pdf

[2] Jean-François Martins, 18 novembre 2017.

[3] Site internet du Comité international olympique : membres actifs. https://www.olympic.org/fr/liste-des-membres-du-cio

[4] « Paris 2024 : le président du CIO, “mieux vaut l’avoir avec soi que contre soi” », France Info, 3 octobre 2016, https://www.francetvinfo.fr/sports/jo/jo-2024/paris-2024-le-president-du-cio-mieux-vaut-l-avoir-avec-soi-que-contre-soi_1853837.html

[5] « Lobbying et batailles d’influence », 20 minutes, 6 janvier 2005, http://www.20minutes.fr/paris/42894-20050106-paris-lobbying-et-batailles-d-influence

[6] Jean-Julien EZVAN, « Paris se rapproche (inexorablement) des Jeux olympiques », Le Figaro, 10 juillet 2017, http://sport24.lefigaro.fr/jeux-olympiques/jo-2024/actualites/paris-se-rapproche-des-jeux-olympiques-867611

[7] Kim HULLOT-GUIOT, « Droits des homosexuels : qui boycottera les Jeux de Sotchi ? », Libération, 5 février 2014 http://www.liberation.fr/planete/2014/02/05/droits-des-homosexuels-qui-boycottera-les-jeux-de-sotchi_977979

[8] C.P/Charles CARRASCO, « Jeux Olympiques de Rio, “Comme toujours, ce sont les plus pauvres qui payent l’addition !” », Europe 1, 11 avril 2016, http://www.europe1.fr/international/jeux-olympiques-de-rio-comme-toujours-ce-sont-les-plus-pauvres-qui-payent-laddition-2716423

[9] « Une photo choc montrant la pauvreté au Brésil face aux JO de Rio scandalise les internautes », 20 minutes, 20 juillet 2016,

http://www.20minutes.fr/insolite/1894331-20160720-photo-choc-montrant-pauvrete-bresil-face-jo-rio-scandalise-internautes

Légende de la photo en bandeau : Mile End Stadium, Londres, mai 2017 (c) Aymeric Faure.

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