Comme chaque année, ce début d’automne a vu le FMI et la Banque mondiale organiser leurs Assemblées annuelles où se retrouvent leurs délégués et des représentants gouvernementaux, ainsi que des membres d’associations, d’ONG, du secteur privé et des médias. À cette occasion, les dirigeants des deux institutions, la française Christine Lagarde et l’américain récemment réélu Jim Yong Kim, ont proposé un bilan de leur action annuelle et émis des avis et recommandations sur la situation économique mondiale. Cette session d’automne des Assemblées annuelles est aussi la première depuis l’entrée en vigueur de la réforme de la gouvernance voulue par les pays émergents depuis plusieurs années.
Un bilan 2016 de l'économie mondiale en demi-teinte
Le bilan annuel des deux héritières de Bretton Woods est positif à plusieurs égards. L’action de la Banque mondiale, qui finance des projets de développement dans les pays les moins avancés, a permis de voir le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (avec moins de 1,9 dollar par jour) tomber sous le seuil symbolique des 10 % de la population mondiale. L’organisation a d'ailleurs réitéré sa volonté de poursuivre l’objectif d’éradiquer ce fléau avant 2030. Le FMI, quant à lui, poursuit son objectif d'assurer la stabilité du système monétaire international et la gestion des crises monétaires et financières, en comptant cette année 189 Etats membres, grâce à l’adhésion en avril dernier de Nauru. Le Fonds a par ailleurs intégré avec succès le renminbi dans son panier de devises, faisant de la monnaie chinoise une devise de référence à l'échelle mondiale.
En outre, le FMI a renforcé ses lignes de défense pour se donner les moyens de « continuer à satisfaire les besoins de ses pays membres » selon les termes de Christine Lagarde. Cet automne, 25 États membres du Fonds se sont ainsi engagés à hauteur de 340 milliards de dollars sous forme d’emprunts bilatéraux, afin de garantir à l’organisation ses capacités d’octroi de prêts « en troisième ligne de défense ». La directrice générale du FMI a dès lors « encourag[é] les autres [pays] à participer à cet effort important de coopération internationale ».
Cependant, l’action conjuguée des deux institutions n’est pas parvenue à endiguer le ralentissement de la croissance économique mondiale, qu’elles ne font plus que constater. Si la croissance économique est estimée à 3,1 % pour 2016 et 3,4 % en 2017, en Asie, l’activité continue de décélérer, notamment en Chine, tête de pont des pays émergents et traditionnel moteur de la croissance mondiale ; en témoigne le ralentissement marqué de la croissance à Hong-Kong, à Taïwan et à Singapour, trois économies dépendantes de la demande chinoise. Les experts du FMI et de la Banque mondiale promeuvent, pour y remédier, des politiques publiques centrées sur l’éducation, afin d’améliorer sensiblement les compétences des salariés dans ces pays.
Quant à la tendance de reprise économique des pays développés, celle-ci est finalement bien terne. L’Europe, qui continue de subir le contrecoup de la crise des dettes souveraines, peine en effet à sortir de la quasi-stagnation. De même, alors que le quasi plein-emploi aux États-Unis – environ 5 % de chômage – nourrissait l’espoir d’une reprise en Occident, la croissance américaine pour 2016 a été revue à la baisse à 2,2 %. C’est surtout la productivité de l’industrie américaine qui semble s’essouffler : certains économistes accablent la régulation imposée aux banques après la crise de 2007-2008, qui freinerait l’innovation et les investissements – alors qu’après 2008 tous s’accordaient à la considérer nécessaire pour un meilleur fonctionnement de l’économie mondiale.
Si les rapports publiés par le FMI et la Banque mondiale visent à conseiller les gouvernements sur les politiques économiques à adopter, rien n’oblige évidemment les États à suivre ces recommandations. En réalité, le FMI et la Banque mondiale, sous la coupe quasi exclusive du Congrès et du Trésor américains, ne sont plus perçus comme les acteurs principaux du multilatéralisme ; les grandes décisions se prennent maintenant au G20.
Prévisions de croissance selon le FMI
Une gouvernance économique mondial réformée, mais inaboutie
Dans le même temps, c'est en 2016 que la réforme de la gouvernance du FMI, attendue par les pays émergents et en développement depuis de longues années, est entrée en vigueur. Il aura finalement fallu cinq ans au Congrès américain pour approuver cette réforme de la gouvernance, adoptée en 2010. Avec près de 17 % des parts totales de droit de vote et le privilège exclusif de mettre leur veto, les États-Unis peinaient en effet à donner leur aval à un partage plus équitable entre les pays de l’institution monétaire. Au centre du débat : le système des quotes-parts, que chaque pays membre se voit attribuer proportionnellement à son économie, et qui détermine notamment le nombre de voix qu'il détient, ainsi que le montant maximum qu’il s’engage à fournir au Fonds, et le montant de l’aide financière qu’il peut obtenir.
La réforme entrée en vigueur en janvier dernier, visant à renforcer le poids des pays émergents, remettait en cause la suprématie des États-Unis et des pays européens. Ces derniers, qui représentent moins de 20 % de l’économie mondiale, détenaient pourtant plus de 30 % des quotes-parts du Fonds. Les dirigeants du FMI se sont ainsi engagés à rééquilibrer le système de participation en faveur des pays émergents et en développement. Ces derniers bénéficient pour la première fois cette année d’une augmentation de 6 % de leur quotes-parts ; et le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont vu augmenter leur droit de vote de 4,5 % pour atteindre 14 % du total. La Chine tire un parti évident de cette réforme, se hissant à la troisième place des pays les plus influents, toujours loin cependant des États-Unis.
Néanmoins, cette réforme reste timide : si les États-Unis l’ont approuvée, c’est bien parce qu’elle n’entame en rien leur droit de veto, ce qui renforce l’idée d’une main-mise de Washington sur l’institution monétaire internationale. Le Conseil des gouverneurs, l’organe de décision suprême du FMI, s’est aussi bien gardé de mettre un terme à la tradition qui veut que le Fonds soit dirigé par un Européen – Christine Lagarde a ainsi été reconduite à la tête de ce dernier en février dernier – tandis que la Banque mondiale, est depuis la Seconde Guerre mondiale présidée par un Américain. En 2010 déjà, l’ancien directeur du Fonds, le français Michel Camdessus, déclarait qu’« Américains et Européens doivent renoncer à leur privilège d’un autre âge » ; privilège obsolète en effet lorsque les pays qui contribuent de façon significative à la croissance de l’économie mondiale ont la légitimité d’aspirer à peser d'un poids tout aussi important que les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.
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