Le 18 mai dernier, lors d’une conférence de presse conjointe, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont présenté un plan de relance pour l’Union européenne afin de sortir par le haut de la crise que nous traversons. Le 27 mai suivant, c’est Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne, qui a présenté un plan de relance ambitieux et novateur, afin de répondre aux défis sanitaire, économique, écologique et numérique que l’Union européenne doit relever.
« J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises » - Jean Monnet, Mémoires. Le 18 mai 2020, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont présenté une initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus. Le couple franco-allemand y propose plusieurs mesures, notamment sur les enjeux de souveraineté économique, industrielle, écologique et numérique. Un chiffre est évoqué : 500 milliards d’euros.
Le 27 mai, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, a présenté « Next Generation EU », projet de plan de relance de 750 milliards d’euros d’aide pour les États membres, financés par un emprunt de la Commission. Soit 500 milliards d’euros de subventions et 250 milliards de prêts. Alors que les négociations patinent sur le cadre financier pluriannuel ou budget de l’UE à 1 100 milliards d’euros pour 2021-2027, la proposition est historique : l’idée d’émettre une dette mutualisée européenne est portée par le couple franco-allemand, et les institutions communautaires.
Ce projet de relance économique constitue une réponse rapide et concrète à la crise sanitaire, économique et sociale que la Covid-19 a engendrée. L’ambition est claire : tirer les leçons de la crise de 2012, où l’UE avait semblé tergiverser. Ce projet entend également apporter des réponses tangibles face à l’urgence environnementale et climatique mondiale, dans la lignée du Pacte vert pour l’Europe, pour opérer la transition vers une économie et un monde plus durables. Dans quelle mesure cette initiative franco-allemande constitue un moteur du plan « Next Generation EU » ?
L’initiative franco-allemande, clé pour construire un compromis européen
Le projet de relance de la Commission était attendu depuis début mai 2020, mais les consultations et négociations ont été longues et tendues. En effet, l’Union européenne connaît de nombreuses divergences, et notamment en matière budgétaire entre les pays du Nord, opposés à une mutualisation de la dette au nom du sérieux budgétaire, et les pays du Sud, qui réclament une plus grande solidarité. L’enjeu majeur est bien celui de la confiance, qui fait parfois défaut entre partenaires. La clé est venue de l’un des moteurs de l’Union européenne : le couple franco-allemand.
Le 18 mai, la France et l’Allemagne ont présenté un plan de relance afin de sortir intelligemment de la crise sanitaire et économique que le monde traverse. Si la proposition d’un emprunt de la Commission européenne à hauteur de 500 milliards d’euros pour les pays membres de l’UE a fait les gros titres de la presse, mais ce projet est beaucoup plus large.
Le tandem Emmanuel Macron - Angela Merkel propose en effet de construire une « stratégie santé » européenne, dans une logique de souveraineté sanitaire. La crise de la Covid-19 a mis en lumière les forces et faiblesses de l’Europe en matière de santé, au-delà du fait que cette dernière est seulement une compétence d’appui aux Etats membres pour l’UE. Face aux fermetures unilatérales des frontières et aux tensions quant à l’approvisionnement en masques et matériels de protection, il est primordial d’assurer une plus grande souveraineté européenne en matière de santé, et de favoriser la coopération stratégique entre les États membres.
La proposition phare est néanmoins bien de créer un « fonds de relance » économique afin de sortir de la crise par le haut, notamment pour les régions les plus touchées par la crise - notamment le Nord de l’Italie ou l’Est de la France. L’Allemagne, longtemps opposée à la proposition des pays du sud de l’Europe de mutualiser les dettes européennes, a cette fois-ci changé son fusil d’épaule pour proposer, aux côtés de la France, un emprunt de 500 milliards de la Commission européenne.
En outre, ce plan de relance doit permettre « d’accélérer les transitions écologique et numérique » et soutient donc le projet de Pacte vert européen promu depuis décembre 2019 par la Commission européenne. Pour le couple franco-allemand, cette sortie de crise doit constituer le moment pour opérer une réelle transition écologique et numérique, et permettre à l’Europe d’être un continent neutre en carbone d’ici 2050.
Enfin, afin d’impulser un nouveau souffle au marché unique européen, la proposition franco-allemande entend redonner à l’Union européenne une souveraineté économique et industrielle. Diversification des chaînes de valeurs, modernisation de la politique européenne de concurrence et de ses outils de mise en oeuvre, renforcement de la convergence sociale notamment via l’instauration d’un salaire minimum dans tous les Etats membres : les étapes et propositions sont nombreuses.
D’un point de vue politique, l’arrêt du Tribunal fédéral allemand le 5 mai 2020 sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne - BCE a rappelé la nécessité d’agir à l’aune de règles claires, et joué le rôle de catalyseur. Cette initiative franco-allemande, véritable « revirement à 180 degrés » outre-Rhin, a donné l’impulsion nécessaire à la Commission pour proposer un plan de relance ambitieux, révolutionnaire par bien des aspects.
« Next Generation EU », un plan de relance ambitieux
« C’est le moment de l’Europe » pour Ursula von der Leyen. En proposant le plan « Next Generation EU » le 27 mai dernier, la Commission transforme l’essai de l’initiative franco-allemande. Avec 750 milliards d’euros, ce plan doit être intégré au budget de l’Union européenne dans son ensemble, ce qui le différencie des nombreux outils budgétaires mis en place au niveau de la zone euro, comme le Mécanisme européen de stabilité.
La Commission européenne prévoit d’emprunter sur les marchés 750 milliards d’euros, afin d’abonder le budget communautaire. Dans un premier temps, 250 milliards seront prêtés aux États et régions qui le nécessitent. Ensuite, 500 milliards seront transférés aux États membres les plus affectés par la crise de la Covid-19 via le budget européen. Cette dette nouvelle serait remboursée en commun à partir de 2028, pour 30 ans jusqu’en 2058. Dans cette perspective, plusieurs solutions ont été évoquées, comme l’augmentation des contributions nationales au budget de l’UE ou la réduction des dépenses de l’Union. Mais Ursula von der Leyen a annoncé vouloir créer de nouvelles « ressources propres » pour l’UE - taxe sur le numérique, ou droits d’émission de CO2. De cette manière, le budget européen ne dépendrait plus presque uniquement des États membres. Surtout, confier la gestion de cet emprunt européen à un tiers, la Commission, pourrait permettre de lever l’aléa moral qui bloque la construction d’une véritable union de transferts au niveau européen.
Enfin, le projet de plan de relance européen s’inscrit dans l’ambition clé portée par la nouvelle Commission : celui d’un Pacte vert européen. Dans le projet en négociations de cadre financier pluriannuel pour 2021-2027, 25 % des investissements prévus doivent contribuer à la lutte contre le changement climatique, contre 20 % actuellement. La Commission souhaite par ailleurs inscrire dans le marbre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Les projets de ressources propres s’inscrivent dans cette perspective : taxe sur le plastique (qui pourrait rapporter 6 milliards d’euros par an) ou taxe carbone aux frontières extérieures (qui elle rapporterait entre 5 et 14 milliards d’euros). Une véritable taxation écologique européenne est en train d’émerger.
« Next Generation EU » : (re)construire la confiance entre Etats membres
Si le projet est ambitieux, et a été considérablement facilité par l’accord franco-allemand, les négociations au Conseil européen s’annoncent difficiles. D’autant que la règle de l’unanimité s’applique, et qu’elles s’inscrivent dans le cadre de négociations complexes sur le cadre financier pluriannuel.
L’opposition la plus forte au projet franco-allemand, puis européen, vient des « quatre frugaux » : l'Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède, au nom du sérieux budgétaire et du respect des règles. Le point de clivage porte sur les transferts : ces quatre pays, contributeurs nets au budget européen et parmi ceux aux finances publiques les plus solides, préfèrent des prêts adossés sur des conditionnalités fortes. Les pays bénéficiaires d’aides doivent mettre en place des réformes et un plan d’investissement compatible avec les exigences du Pacte vert européen. L’opposition est donc majeure, et ancienne, entre exigence de respect des règles, et exigence de solidarité, entre une Union européenne comme espace économique et une Union politique toujours plus étroite.
Néanmoins un certain nombre de facteurs modifient la donne par rapport aux négociations précédentes. L’ampleur de la crise, sur fond de montée des populismes et de fragmentation des relations internationales, a sans doute contribuer à rendre un compromis franco-allemand possible après quelques années de relance des relations. D’autant que si la crise de 2012 a été individuelle, touchant certains Etats, celle de 2020 touche, de manière différenciée, l’ensemble des Etats membres, de manière beaucoup plus rapide et multi-sectorielle. L’aléa moral entre Etats membres s’exprime ainsi de manière atténuée. L’Italie et l’Espagne ont mené un grand nombre de réformes, la France s’est engagée dans une démarche avant la crise de responsabilisation budgétaire, liant responsabilité et souveraineté.
En outre, les « quatre frugaux » sont des pays particulièrement sensibles aux exigences climatiques. Ce point commun peut contribuer à un compromis vert notamment sur des nouvelles ressources propres, qui ne viendraient pas alourdir les contributions nationales revues à la lumière du Brexit.
D’un point de vue institutionnel, ce projet s’inscrit également dans une logique récente de politisation de la Commission européenne à l’aune du projet de « Commission géopolitique » promu par Ursula von der Leyen en 2019. La gestion d’une dette commune la placerait au centre du jeu institutionnel et budgétaire, quand bien même elle devrait développer les ressources nécessaires.
Enfin, ce projet répond sans doute à une demande démocratique croissante, celle d’une Union européenne qui saisit les enjeux clés du continent et apporte des solutions coordonnées et ambitieuses. Le Brexit n’a fait que souligner cette nécessité pour les 27. C’est notamment vrai en matière de de climat et d’environnement, à l’image des résultats des partis écologistes dans un grand nombre de pays. L’enjeu est de taille : créer les conditions de la confiance entre Etats membres, entre institutions, pour
Ce projet de plan de relance, novateur dans sa forme peut contribuer à donner un nouveau souffle à l’idée de solidarité européenne, mais il démontre d’ores et déjà un fait : l’UE se hisse à la hauteur des Etats-Unis, le bond en avant est majeur en matière d’intégrité de l’Union. Les obstacles sont nombreux à franchir : accord au Conseil européen, au Parlement européen, mise en oeuvre technique, et suivi des fonds. Ce projet s’inscrit néanmoins dans une logique claire : celle de l’ambition d’une Europe protectrice et souveraine, prête à relever de manière coordonnée les défis que nous imposent la crise sanitaire et l’urgence climatique. S’il venait à être mis en oeuvre, il constituerait un premier exemple de compromis européen ambitieux post-Brexit, démontrant l’unité des Vingt-Sept, et d’incarnation politique renforcée pour l’UE dans son ensemble.