Anvers, Thessalonique, Avignon, Liverpool... Il y a a priori peu de points communs entre ces villes, si ce n’est qu’elles font toutes les quatre partie d’un ensemble culturel commun : l’Union européenne. À ce titre, elles ont toutes les quatre bénéficié d’un des programmes les plus médiatiques de l’Union : la désignation, chaque année, de deux capitales européennes de la culture. Si certains la trouvent anecdotique à côté des chantiers de la Banque centrale européenne, la capitale européenne de la culture est un projet concret dont les enjeux recoupent beaucoup de ceux de l’Union. Concertation, évaluation, mise en valeur d’une culture commune à travers ses différents représentants : la méthode et l’esprit du programme condensent les enjeux et les défis auquel l’Union européenne doit répondre. Il n’est donc pas inutile de se pencher sur l’histoire et l’actualité des capitales européennes de la culture pour mieux comprendre les blocages que connaît l’Europe aujourd’hui, et les solutions qu’elle peut y apporter.
L’idée d’une capitale européenne de la culture pour promouvoir la dimension profondément culturelle de la Communauté naît en février 1985 d’une conversation entre le Ministre français de la Culture d’alors, Jack Lang, et son homologue grecque Melina Mercouri. Le projet est rapidement monté et Athènes devient dès 1985 la première « Ville européenne de la Culture » - le programme ne prendra son nom actuel qu’en 1999. Depuis plus de 30 ans, les capitales qui se sont succédées ont façonné le profil du programme, qui évolue et s’adapte d’une ville à l’autre. En 1990, Glasgow s’est appuyée sur celui-ci pour enterrer son image d’insécurité et de récession. La principale ville d’Écosse est aujourd’hui une des destinations touristiques les plus prisées au nord de l’Europe. Les organisateurs de Bruxelles 2000 ont imaginé dans le même cadre la Zinneke Parade, devenue depuis une tradition biennale. Sensibles à l’évolution de l’Union, les règles de désignation du pays hôte ont souvent changé, notamment pour faire la place aux pays d’Europe centrale et orientale nouvellement entrés dans l’Union : l’Europe met à présent chaque année à l’honneur deux capitales, dont une de cette région - et tous les trois ans, une troisième ville dans un pays candidat ou potentiellement candidat à l'adhésion à l'union.
Financé par le fonds Europe Créative, doté pour l'ensemble de ses actions d'un total de 1,4 milliard d’euros pour la période 2014-2020, le label de capitale européenne de la Culture retrouve à son échelle les problèmes qui se posent à l’Union.
En premier lieu, chaque capitale doit relever concrètement le défi lancé par la devise européenne : promouvoir une culture commune à l’Europe en mettant à l’honneur sa diversité urbaine. Pécs 2010, en Hongrie, est un cas d’espèce de cette richesse culturelle : elle a simultanément mis à l’honneur la mosquée de sa place centrale et le patrimoine architectural de son importante communauté allemande - la première de Hongrie. Autre dimension de la construction européenne que le programme nous aide à cerner : le principe de subsidiarité, c’est-à-dire l’idée selon laquelle c’est à l’échelon le plus compétent localement qu’il faut faire confiance. Bernard Latarjet, ancien directeur de Marseille-Provence 2013, affirme que les fonds sont véritablement adressés aux initiatives culturelles locales : « On travaille avec les musées et avec les moyens des musées, on travaille avec les théâtres et avec les moyens des théâtres [...] Il s’agit donc de permettre à des acteurs de territoire de faire des projets qu’ils n’auraient pas pu développer sans la capitale, du moins de façon aussi importante »[1]. Le programme est aussi une manière pour les pays européens de se ranger derrière une certaine idée, commune, de la culture. Les retombées économiques de ces événements et les investissements qu’ils permettent sont autant de pas faits pour doter les villes européennes d’équipements de pointe dans les secteurs touristiques et culturels. Le programme s’insère à ce titre parfaitement dans la stratégie Europe 2020 qui veut replacer l’innovation et les services au cœur de la croissance de l’Union. Comme le soulignait en 2013 Androulla Vassiliou, Commissaire européenne à la Culture, le label de capitale européenne de la culture et le programme Europe Créative dans son ensemble, ont aussi pour but de « permettre à nos secteurs culturels dynamiques de créer de nouveaux emplois et d'accroître leur contribution à l'économie de l'UE »[2]. Enfin, le processus de sélection des capitales européennes de la culture est un des rares à être devenu de plus en plus démocratique : objet d’un choix discrétionnaire du Conseil des ministres à sa création, les candidats sont aujourd’hui choisis par le Conseil des ministres après recommandation de la Commission et avis du Parlement européen. Ce glissement est assez rare pour être souligné. Il rappelle qu’un des problèmes des instances européennes est de manquer de légitimité démocratique et de proximité avec les citoyens.
Une célèbre phrase apocryphe de Jean Monnet affirme que s’il avait dû reprendre la construction européenne de zéro, il aurait commencé par la culture. Même s’il est peu probable que l’on ait à tout recommencer, les dirigeants européens pourraient largement s’inspirer du succès des capitales européennes de la culture pour répondre aux problèmes qui leur sont posés. Pour se rappeler que c’est aussi en travaillant sur le terrain avec des entrepreneurs culturels locaux que l’on peut construire une unité et un sentiment européen.
[1] PISCOPO-REGUIEG Sandro, « Bernard Latarjet : ombre et lumière de Marseille Provence 2013 », 19 décembre 2012 [en ligne], consulté le 3 avril 2016 : http://www.telerama.fr/scenes/bernard-latarjet-ombre-et-lumiere-de-marseille-provence-2013,91024.php.
[2] Communiqué de presse de la Commission européenne, « Commission welcomes approval of Creative Europe programme by European Parliament », 19 novembre 2013 [en ligne], consulté le 3 avril 2016 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1114_en.htm.
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