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Le Conseil européen, laboratoire d’un projet européen à réinventer

par Jacques Wang, rep​orter de l'Institut Open Diplomacy au Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016 en partenariat avec l'Institut Open Diplomacy

1 novembre 2016

Cet article a été écrit dans le cadre du partenariat entre l'Institut Open Diplomacy et touteleurope.eu.

Le Conseil européen s’est réuni les 20 et 21 octobre derniers dans le contexte que l’on connaît, d’accumulation de problèmes pour l’Europe. Entre l’afflux de migrants et réfugiés, les agissements russes en Syrie, le Brexit et l’enlisement des négociations du traité de libre-échange avec les États-Unis (TTIP), il ne restait guère que la conclusion du CETA pour laisser entrevoir une bonne nouvelle pour les dirigeants européens. Pourtant, si cet accord de libre-échange UE-Canada semblait, il y a quelques semaines encore, un acquis que ce Conseil européen devait entériner, le veto de dernière minute du gouvernement wallon est venu gâcher la fête promise. Certains, à l’instar du président de la Commission Jean-Claude Juncker, avaient averti qu’un échec du CETA serait symptomatique de l’incapacité de l’Union européenne à avancer de manière constructive. Si le CETA a finalement été signé le 30 octobre à la suite d’une rocambolesque négociation belgo-belge, cette situation appelle en tout cas à s’interroger sur la capacité de l’Union à élaborer des politiques ambitieuses à vingt-huit. À cet égard, le Conseil européen constitue un laboratoire intéressant du multilatéralisme européen.

Un Conseil européen révélateur des difficultés à avancer sur les sujets difficiles

Ce sommet européen d’octobre devait traiter d’un ordre du jour particulièrement chargé, autour de trois sujets prioritaires : les migrations, la politique commerciale et les relations avec la Russie. Le Brexit était néanmoins également dans tous les esprits, alors que Theresa May était attendue pour sa première participation comme cheffe du gouvernement britannique.

Le bilan de ce Conseil européen est au final aussi maigre que le feuillet de ses  sept pages de conclusions. Sur le volet des migrations, l'attention portée à la gestion des frontières extérieures a permis d’éclipser l’échec cuisant de la mise en œuvre du plan de relocalisation de 160 000 réfugiés de septembre 2015, à peine mentionné. Face au désastre humanitaire en Syrie et notamment à Alep, où les bombardements russes se sont nettement intensifiés depuis septembre 2016, la réaction des Vingt-huit était attendue. Sans surprise, ils ont condamné « avec fermeté » Moscou, nommément, pour son implication dans les attaques contre les civils. Le durcissement verbal n’est cependant pas allé de pair avec un consensus quant aux réponses à apporter, les Vingt-huit n’ayant pu s’entendre sur un scénario plus précis que le classique « tous options possibles », le terme « sanctions » n’étant pas même évoqué dans les conclusions. S’agissant du CETA, le gouvernement belge a eu besoin d’un délai supplémentaire après 5 ans de négociations pour signer l’accord. Le chantier attendu du renforcement des instruments de défense commerciale a par ailleurs largement été renvoyé au prochain Conseil européen, en décembre 2016.

Le Conseil européen pouvait-il accomplir davantage, en un jour et demi, sur ces questions redoutablement complexes ? Composée des chefs d’État et de gouvernement des Vingt-huit, le rôle de cette institution est de définir les grandes orientations et priorités stratégiques de l’action et de la législation de l’Union européenne. Elle se réunit moins fréquemment que le Conseil des ministres de l’UE – « l’autre Conseil » – dont elle constitue un doublon dans la représentation de la dimension intergouvernementale au sein de l’Union. Le Conseil européen n’a pas une vocation décisionnelle aussi importante que les autres institutions européennes. Quelle est donc sa plus-value dans le paysage institutionnel européen ?

Réunion du Conseil européen, Bruxelles, 20 octobre 2016 (c) European Union.

Le Conseil européen, une institution-clé pour les prises de décisions les plus politiques

Le sommet d’octobre apporte quelques réponses à cette question. Tout d’abord, le discours commun des États de l’Union, condamnant fermement les agissements russes en Syrie, contribue à intensifier la pression diplomatique sur la Russie et à mettre en scène son isolement international croissant s’agissant de la crise syrienne. Même en se gardant de toute illusion sur la capacité de l’Union à infléchir à elle seule la stratégie russe en Syrie, force est de reconnaître qu’une position commune a toujours plus de poids politique face à Moscou que la voix d’un seul. La recherche d’unité est donc une mission majeure du Conseil européen. Si le recours à des sanctions européennes contre la Russie ne fait pas encore l’objet d’un consensus, il est également certain que ce dernier offre un cadre privilégié pour un lobbying gouvernemental dans ce sens.

Le Conseil européen, comme format de dialogue direct réunissant la 

totalité des États membres, est en réalité incontournable​

Par ailleurs, le Conseil européen, comme format de dialogue direct réunissant la totalité des États membres, est en réalité incontournable. Les formats restreints tels que le groupe de Višegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) ou les réunions bilatérales du couple franco-allemand permettent, certes, de favoriser des convergences et d’aborder certains sujets plus efficacement. Néanmoins, le Conseil européen est doté d’une légitimité fondamentale : il réunit les plus hautes autorités, démocratiquement désignées, de chaque État membre, qui détiennent en dernier ressort le mandat de la politique européenne, dans un format qui favorise le traitement et la participation équitables de tous les États membres. Si l’essentiel de la politique européenne ne s’exerce pas dans le cadre du Conseil européen, ce dernier est le délégateur ultime, et le seul qui peut en réalité décider ou non d’approfondir la construction européenne.

Le Conseil européen détient en dernier ressort le mandat de la politique européenne.

Vers des sommets européens axés sur l’action et la décision ?

Il est donc crucial que les chefs d’État et de gouvernement saisissent toute l’importance de ces sommets et n’en fassent pas seulement une mise en scène publique, mais bien des séances de négociation et de travail productives. L’ordre du jour devrait contenir davantage de points où une décision est attendue, pour inviter le Conseil européen à trancher. En outre, ce dernier pourrait sensiblement gagner en fluidité et en capacité de synergies inter-institutionnelles. Lors de sa conférence de presse, dans l’après-midi du 20 octobre, le président du Parlement européen, Martin Schulz, a ainsi regretté à demi-mots de ne pas être convié au dîner de travail. En contrepoint, il a souligné, comme une mise en garde, que le Parlement devrait être « impliqué dès le début des négociations sur le Brexit », dont l’issue est soumise à son approbation. Par ailleurs, si des pistes d’amélioration des méthodes de travail du Conseil européen ont été abordées, notamment la possibilité de débuter les travaux plus tôt dans la journée, les journalistes présents n’ont pas manqué de commenter l’issue du premier jour : « ce dont vont discuter les dirigeants européens à deux heures du matin : de la façon de mieux gérer leur temps », a remarqué un journaliste facétieux sur Twitter . Plus tard, Jean-Claude Juncker a assuré que cette habitude changerait : « c’est la dernière conférence de presse que nous faisons à une heure du matin ». « Ce n’est pas sérieux », a-t-il ajouté, visiblement agacé.

Conférence de presse de Martin Schulz à la suite de son discours devant le Conseil européen, 

Bruxelles, 20 octobre 2016 (c) Clara Marchaud.

Des évolutions positifs sont toutefois à noter. Dans la perspective du défi inédit que représente le Brexit, le Conseil européen se prépare et prouve sa flexibilité : un premier sommet informel post-référendum à vingt-sept a eu lieu à Bratislava en septembre dernier, et devrait être suivi de plusieurs autres en 2017. La proximité physique et la disponibilité des dirigeants permet aussi d’organiser, en marge du sommet, de nombreuses entrevues ad hoc réunissant des interlocuteurs-clés sur des dossiers stratégiques, dont certains ne sont pas inscrits directement à l’ordre du jour. Jean-Claude Juncker et Theresa May ont ainsi pu aborder, lors d’un déjeuner le 21 octobre, le Brexit de manière informelle.

Le Conseil européen demeure enfin une force d’impulsion politique décisive pour les travaux des autres institutions et organes européens. « L’UE est aussi forte que le permettent les Etats membres », a notamment déclaré Martin Schulz en conférence de presse. Les positions communes des Vingt-huit sont particulièrement attendues en ces temps de troubles et de réflexions, où le projet européen a cruellement besoin d’un nouveau souffle. Le Conseil européen d’octobre a ainsi reconnu les enjeux relatifs à l’attractivité de l’Union européenne. Il doit investir pleinement ce chantier sans attendre l’achèvement du Brexit d'ici quelques années. Des pistes intéressantes, évoquées dans les conclusions, comme la politique européenne en faveur de la jeunesse ou l’Union de l’énergie, offrent déjà des perspectives. Il est temps de les transformer en progrès tangibles.

Légende de la photo en bandeau : conférence de presse finale du Conseil européen, Bruxelles, 21 ocobre 2016 (c) Clara Marchaud.

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