Tandis que l'ombre du Brexit pèse sur l'Europe toute entière, l'élection présidentielle française d'avril et mai 2017 marque un tournant dans la conception de ce que doit être l'Europe et plus particulièrement, au regard des enjeux politiques et économiques de l'Union européenne.
Si Emmanuel Macron se déclare favorable au projet d'une Europe à intégration différenciée et protectrice, Marine Le Pen adopte une ligne défavorable à l'Union européenne telle qu'elle existe aujourd'hui mais en plaidant pour une Europe au service de nations indépendantes.
Focus sur la dimension européenne des programmes des deux candidats.
LE PROJET EUROPÉEN, QUEL AVENIR ?
Les valeurs et les idéaux de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron présentent une orientation différente, notamment sur la question européenne. Dans un contexte de crise de légitimité des institutions européennes, d’un manque global de transparence de leurs décisions (mis à part du Parlement européen), d’un besoin de redéfinition des priorités de l’Union européenne et de ses compétences, un besoin d’évolution se fait entendre. Si les deux candidats dressent le même bilan, les chemins à emprunter et les dessins proposés varient radicalement.
Quelle vision et quel rôle pour l’Europe ?
A court terme, Emmanuel Macron n’envisage aucune remise en cause des Traités européens. Le candidat d’En Marche! propose le déploiement à l’automne 2017 de "conventions démocratiques" au sein de chaque Etat membre. Il s’agirait d’“une feuille de route brève, avec quelques défis communs et des actions précises, traçant les priorités d’action de l’Union et leur calendrier de mise en œuvre pour les cinq ans à venir”[1]. Ce nouvel élan européen serait fondé sur une initiative franco-allemande attendue après les législatives outre-Rhin fin septembre 2017, et serait ouvert aux pays volontaires.
A moyen terme, les propositions d’Emmanuel Macron appellent sans doute à une renégociation des traités européens. A l’image de l’action du gouvernement allemand après l’échec du projet de Constitution européenne en 2005, le candidat d’En Marche ! devra réussir à convaincre ses partenaires européens. Dans le contexte actuel, il semble néanmoins peu probable que cette démarche recueille l’unanimité des Etats membres, et reviendrait alors à créer une Europe à géométrie variable, par une intégration différenciée entre les Etats membres. Ce choix assumé de vouloir développer une Europe à la carte peut cependant être une solution pour faire avancer le projet européen en ces temps d’incertitudes.
Pour Marine Le Pen, il en va d’un tout autre projet. La candidate du Front national souhaite une “Europe des nations indépendantes, au service des peuples”[2], ou bien, comme elle l’a déclaré le 2 mai 2017 lors d’une allocution télévisée, une “Alliance des nations européennes libres et souveraines”[3]. Elle souhaite donc une “France libre”[4], ce qui nécessiterait de retrouver une souveraineté de quatre ordres : monétaire, législatif, territorial, économique.
Elle considère que l’Union européenne dans ses contours actuels a été imposée aux Français par la signature du traité de Lisbonne en 2007, entré en vigueur en 2009. Ce traité reprend une large partie du projet de Constitution pour l'Europe, nonobstant le “non” qui l’avait emporté en France avec près de 55 % des voix lors du référendum sur le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe. C’est à partir de ce constat que Marine Le Pen souhaite proposer un nouveau référendum sur une sortie de l’Union européenne, qui viserait à “parvenir à un projet européen respectueux de l’indépendance de la France”[5]. En parallèle, elle défend le retour à une monnaie nationale qui coexisterait avec la monnaie unique : cela donne l’impression d’une monnaie à deux vitesses, différenciée. Quelle stabilité alors pour les consommateurs et plus encore, pour les investisseurs ? Ce projet européen de Marine Le Pen, que l’on pourrait qualifier d’“à la carte”, reste en pratique incomplet et bien complexe à mettre en œuvre avec nos partenaires européens et internationaux.
Marine Le Pen au Parlement européen de Strasbourg le 1er juillet 2014
© Claude Truong-Ngoc Wikimedia Commons.
Vers une sortie de Schengen ?
L’espace Schengen est né en 1995 du traité éponyme signé en 1985. Il consiste en un espace de libre circulation des personnes via la suppression des contrôles aux frontières intérieures entre les Etats signataires, tout en garantissant une protection renforcée aux frontières extérieures de cet espace grâce à l’Agence européenne Frontex. Son existence est remise en cause notamment depuis 2015 pour deux raisons principales. Premièrement, l’arrivée massive de réfugiés aux frontières européennes en provenance notamment de Syrie, ce qui a engendré une situation d’urgence humanitaire en Europe, à laquelle les Etats parties ont chacun répondu différemment et sans concertation préalable suffisante. Deuxièmement, les actions terroristes menées sur le sol européen ont pu être l’occasion de remettre en question la sécurité des frontières européennes et leur gestion dans le cadre de l’espace Schengen.
Il existe sur cette question une grande divergence entre les deux candidats. Emmanuel Macron ne souhaite pas dénoncer le traité Schengen mais veut renforcer son dispositif, tandis que Marine Le Pen souhaite sortir de cet espace pour retrouver une maîtrise des frontières nationales[6].
Selon Marine Le Pen, la sortie de l’espace Schengen permettrait d’offrir aux Français un pays avec des “frontières qui protègent [pour en finir avec] l’immigration incontrôlée”[7]. Cette sortie de l’espace Schengen serait associée à la création de 6 000 postes d’agents des douanes pour rétablir et garantir les frontières nationales.
Si cette politique venait à être menée, les conséquences seraient doubles : financières d’une part, notamment pour le tourisme, le transport de marchandises[8], et d’autre part, sur l’emploi. En effet, plus de 350 000 travailleurs frontaliers vivent en France et se déplacent chaque jour dans un pays limitrophe pour se rendre à leur travail. Si Marine Le Pen prévoit un dispositif particulier pour ces travailleurs frontaliers à la suite de la sortie de l’espace Schengen, elle ne donne pas plus d’indications sur sa mise en pratique.
Pour sa part, Emmanuel Macron souhaite un renforcement de la sécurité et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen. Pour cela, il fixe l’objectif de 5 000 personnes mobilisables par la nouvelle Agence européenne de garde-frontières et de garde côtes, créée le 6 octobre 2016[9]. Pour le reste, Emmanuel Macron s’aligne sur le plan présenté par la Commission européenne à l'hiver 2015 pour répondre à la crise des migrants. Cette dernière politique, déjà appliquée depuis plusieurs mois au niveau européen, est confrontée à des limites fortes dans sa mise en œuvre.
Le manque d’organisation et de solidarité entre les Etats européens ne permettent pas à ce jour de proposer une solution efficace au problème. Pour agir efficacement, Emmanuel Macron sera dans l’obligation de convaincre ses homologues européens les plus rétifs d’adopter une attitude commune et organisée. Un défi immense.
L'UNION EUROPÉENNE, PREMIÈRE PUISSANCE ÉCONOMIQUE ET COMMERCIALE
L’Union européenne est la première puissance économique et commerciale au monde[10], mais sa croissance est en panne avec pour 2016 + 1,7 % au sein de la zone euro, et + 1,9 % dans l’ensemble des 28 Etats membres. L’Union européenne est également souvent dénoncée par les responsables politiques français comme une contrainte pour la croissance et l’emploi des Etats membres, ce qui dans le contexte français résonne tout particulièrement au regard d'un taux de chômage élevé - en 2016, le taux de chômage s’établissait à 9,8 % de l’ensemble de la population active française. D’un côté, Emmanuel Macron prône une relance de l’économie européenne, tandis que d’un autre côté, Marine Le Pen souhaite revenir à une économie nationale. Deux thérapies distinctes face à un même problème.
Vers une remise en cause de la participation de la France au marché unique ?
Emmanuel Macron ne remet pas en cause la participation de la France au marché commun de l’Union européenne. Il souhaite au contraire son renforcement. Pour cela il propose “que soit mis en place un socle de droits sociaux européens, en définissant des standards minimums en matière de droits à la formation, de couverture santé, d’assurance chômage ou de salaire minimum (à des niveaux tenant compte de l'inégal développement des Etats membres)”[11].
Marine Le Pen ne se prononce pas explicitement sur cette question. Néanmoins, la participation de la France au marché unique serait nécessairement remise en cause par la renégociation des traités que cette dernière entend ouvrir avec la Commission européenne et les autres Etats membres, à l’image du Royaume-Uni avec le Brexit.
Emmanuel Macron en décembre 2014 lors d'une conférence sur les technologies numériques,
Photo officielle de l’événement Leweb.
Quelles positions sur le traité CETA ?
Sur la question du libre-échange, Emmanuel Macron est favorable au Traité CETA (Accord économique et commercial global) avec le Canada, signé le 30 octobre dernier. Lors d’un meeting à Paris le 1er mai 2017, il a assoupli sa position en affirmant que s’il était élu, il nommerait une commission d’experts et de scientifiques indépendants pour évaluer l’impact de cet accord sur l’environnement. Si cet impact devait se révéler négatif, le candidat a pris l’engagement de revenir vers les partenaires européens de la France pour "faire modifier ce texte"[12]. En outre, Emmanuel Macron propose un contrôle de la mise en œuvre des accords commerciaux internationaux, par des « comités de vigilance citoyens » d’une part, mais aussi par la création d’un « poste de procureur commercial européen »[13].
Les positions du candidat d’En Marche! relèvent sans doute plus de la posture politique que de la réalité européenne. Le poids de la France dans la prise de décision européenne est grand, mais la France n’est pas seule à décider. Une éventuelle modification du Traité CETA paraît très incertaine. Tout d’abord, il nécessiterait que la position française soit appuyée par plusieurs partenaires européens. A ce jour, seul le Parlement wallon semble disposé à apporter ce soutien, ce qui serait insuffisant. Ensuite, il resterait à convaincre le Canada de modifier l’accord récemment signé en octobre avec l’Union européenne. S’il était avéré que ce traité devait engendrer des effets négatifs sur l’environnement, la seule volonté française ne pourrait donc modifier le contenu du texte. Il est plus probable que l’échec de la ratification par chacun des parlements nationaux et régionaux des Etats membres amène l’Union européenne à devoir modifier cet accord avec le Canada pour une meilleure prise en compte des aspirations citoyennes. En tous les cas, même sans renégociation, la ratification définitive du traité CETA peut encore prendre plusieurs années.
A l’inverse, Marine Le Pen affirme son opposition totale au traité CETA, qu’elle qualifiait de “traité dangereux”[14] le 14 février dernier. Néanmoins, en cas d’élection, Marine Le Pen ne disposera pas du pouvoir de s’opposer à la ratification du traité CETA par la France, ce pouvoir étant conféré au Parlement français.
Euro : quels ajustements proposés ?
Emmanuel Macron souhaite le renforcement de la zone euro et propose pour cela de la création d’un budget pour la zone ayant trois fonctions : investissements d’avenir, assistance financière d’urgence et réponse aux crises économiques. En parallèle, serait créé un poste de Ministre de l’Économie et des Finances de la zone euro, ayant “la responsabilité du budget de la zone euro, sous le contrôle d’un Parlement de la zone euro, rassemblant les parlementaires européens des Etats membres”[15].
Marine Le Pen défend le retour à une monnaie nationale et la fin de la monnaie unique. Néanmoins, son projet semble plus complexe : si elle considère que les grands groupes et les Etats sont à-mêmes de pouvoir travailler avec la monnaie unique, l’euro, elle considère en revanche que les particuliers et les petites entreprises s’en sortiraient mieux avec une monnaie sur laquelle l’État français aurait des marges de manœuvre plus importantes, et que c’est au nom du pouvoir d’achat qu’il faudrait opérer ce retour à la monnaie nationale. Cette proposition ouvrirait la voie à une monnaie à deux vitesses, différenciée : quelle stabilité alors pour les consommateurs et plus encore, pour les investisseurs ? Autre question fondamentale : sur quelle monnaie serait fondée le calcul de la dette publique ? De telles incertitudes laissent planer le doute sur les avantages du retour à une monnaie nationale.
Quid des travailleurs détachés ?
La directive sur le travail détaché fait couler beaucoup d’encre depuis son entrée en vigueur en décembre 1996 : destinée à favoriser le développement du marché intérieur de l’UE, en permettant à la main-d’œuvre de circuler librement, elle est aujourd’hui très contestée.
Emmanuel Macron propose de limiter à un an la durée autorisée de séjour d’un travailleur détaché en France contre 2 ans aujourd’hui, et veut renégocier les règles du détachement pour mettre fin à toutes les formes de concurrence sociale déloyale[16]. Si de ces négociations ne résulte aucune harmonisation sociale et fiscale, il ne souhaite pas maintenir cette directive. De son côté, Marine Le Pen se montre favorable à une suppression pure et simple de la directive de détachement des travailleurs[17], pour mettre fin à la “concurrence déloyale inadmissible” pour la société française.
Cette directive sur les travailleurs détachés cristallise les oppositions, légions, entre Etats membres. Il n’est pas assuré que les pays bénéficiant le plus de cette directive acceptent de la modifier, et en cas d’un échec des négociations, le refus d'appliquer la directive entraînerait la violation par la France du droit de l’Union européenne. De cette violation résulterait en fin de compte une sanction juridictionnelle de la Cour de justice de l’UE. Cette directive constitue par ailleurs un enjeu considérable pour la France, qui est l’un des pays les plus concernés en Europe par le travail détaché : pas moins de 287 000 travailleurs détachés français exerçaient partout en Europe en 2015[18].
Al Gore, John Kerry, Jane Hartley, Emmanuel Macron et Robert Redford lors de la COP21
en décembre 2015. Photo du Département d’État américain.
UN EXEMPLE DE COOPÉRATION SINGULIÈRE, LA DÉFENSE
La question de la défense européenne a ressurgi au premier plan du débat public le 8 novembre 2016 à la suite de l’élection de Donald Trump à la Maison blanche. La volonté affichée de ce dernier de ne plus garantir la défense des intérêts européens impose à l’Europe d’anticiper l’éventualité d’un retrait américain, à tout le moins financier, de l’OTAN. Face à ce risque et à la montée des périls aux frontières de l’Europe, les décideurs européens se trouvent dans l’obligation d’élaborer un projet de défense de leurs intérêts. Si les deux candidats au second tour s’accordent sur la nécessité d’un service militaire obligatoire (1 mois pour Emmanuel Macron, 3 mois pour Marine Le Pen), ils s’entendent également pour augmenter le budget de la défense à 2 % du PIB[19]. Mais leurs visions s’opposent concernant la stratégie de la politique française de défense : d’un côté Emmanuel Macron plaide pour une défense française s'intégrant dans une défense européenne, de l’autre Marine Le Pen souhaite nationaliser la défense française.
Maintenir la présence française au sein de l’OTAN ?
Alors que les questions de défense, à l’échelle de l’Europe, sont traitées par l’Union européenne et l’OTAN, Marine Le Pen souhaite quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN[20], dont la France est membre fondateur : il s’agit là d’un acte présenté comme fort en termes de positionnement stratégique. Bien qu’elle puisse envisager une coopération européenne en matière de défense (au sein du missilier MBDA par exemple, avec le Royaume-Uni notamment), elle est opposée à l’idée d’une “armée européenne”[21] puisqu’elle prône la souveraineté nationale avant tout, afin de ne pas dépendre de ses alliés. Elle soutient l’idée que les nations sont plus fortes en faisant des efforts indépendamment sur leurs territoires, plutôt qu’en mettant en commun des ressources financières et militaires.
Emmanuel Macron considère à l’inverse que la présence de la France au sein de l’OTAN ne doit pas être remise en cause, mais il propose tout de même la création d’un Quartier-général européen afin d’assurer la coordination des opérations militaires, en lien avec les centres de commandements nationaux et de l’OTAN. En outre, le candidat d’En Marche ! souhaite des interventions européennes communes par le biais de forces multinationales.
En prônant le retour et le maintien pur et simple des défenses nationales, Marine Le Pen néglige un aspect essentiel du hard power européen et de sa capacité à donner l’image d’une entité puissante. La place de la France au commandement de l’OTAN n’est pas contestée aujourd’hui par les autres membres car depuis son retour en 2009, elle compte parmi les leaders de l’Alliance. Marine Le Pen critique en revanche la raison d’être de l’OTAN, en disant qu’elle ne souhaite pas que “la France [...] soit [...] entraînée dans des guerres qui ne sont pas les siennes”[22]. Un retrait brutal n’aurait pas d’autre effet que celui de fragiliser les relations diplomatiques avec des pays parmi nos plus proches partenaires diplomatiques, économiques, politiques, notamment l’Allemagne. Qui plus est, une forme d’incertitude pèse sur la volonté et la capacité du Royaume-Uni à coopérer au sein de l’Union européenne, en raison du Brexit. Qu’adviendrait-t-il de la France souhaitant quitter l’OTAN et revoir l’essence de l’Union européenne ?
L’Europe et la coopération en matière stratégique
Marine Le Pen s’oppose à l’idée d’une armée européenne. Elle souhaite renforcer le lien Nation-défense, grâce à la généralisation du Service militaire adapté (SMA)[23], existant déjà outre-mer, mais aussi grâce à l’instauration d’un service national de 3 mois obligatoire pour les jeunes. Ces deux dispositifs viseraient à promouvoir l’insertion socioprofessionnelle et s’adresseraient essentiellement à des jeunes de moins de 30 ans.
Elle souhaite également que la France renforce et consolide ses positions en matière stratégique et préconise par exemple le rachat de Renault Trucks Défense (RTD), une filiale du constructeur Volvo spécialisée dans les véhicules militaires blindés. RTD est en effet actuellement mise en vente par Volvo et attire l'intérêt de plusieurs entreprises à travers l'Europe. La candidate du Front National considère donc que la France doit “assurer une capacité de Défense autonome dans tous les domaines”[24] : c’est le volet IV de son programme, lorsqu’elle évoque la nécessité d’une “France puissante”.
Dans l’ensemble, Marine Le Pen apparaît donc comme réticente à toute forme de coopération stratégique au sein de l’Europe, privilégiant plutôt la défense nationale.
Visite de Marine Le Pen en Russie le 24 mars 2017,
Bureau de presse et d’information du Président Russe (2), (c) kremlin.ru.
Quant à Emmanuel Macron, il est davantage en faveur d’une réflexion européenne sur ce sujet. S’il ne se prononce pas explicitement en faveur d’une armée européenne, il souhaite néanmoins une plus grande coopération en matière d’armement industriel. A cette fin, il veut créer un Fonds européen de défense finançant des programmes communs, à l’image du drone européen MALE RPAS. Ce fonds aurait pour objectif de concurrencer les géants américains et chinois, sur le modèle d’Airbus dans l’aéronautique.
Emmanuel Macron est également favorable au rétablissement du service national obligatoire en France, d’une durée d’un mois. Ceci aurait pour but de permettre “l’expérience de la mixité sociale et de la cohésion républicaine”[25] pour les jeunes citoyens.
Faut-il fonder une Europe de la défense ?
Dans le projet que porte Emmanuel Macron, une Europe de la défense est inévitable et même souhaitable. Il a la volonté d’européaniser ce domaine à travers la création d’une coopération renforcée. Cette dernière serait fondée sur un partenariat fort avec l’Allemagne, de plus en plus concernée par cette problématique, et avec les autres Etats membres volontaires.
Au contraire, Marine Le Pen est défavorable à une Europe de la défense, ne souhaitant aucune participation de l’Europe dans ce domaine. Seul point d’acceptation, l’armement militaire, pour lequel Marine Le Pen maintiendrait les coopérations en cours - au sein du missilier MBDA par exemple, avec le Royaume-Uni notamment.
Les propositions d’Emmanuel Macron sont innovantes mais nécessitent plusieurs clarifications. Tout d’abord, concernant les Etats membres volontaires et notamment le rôle à jouer par le Royaume-Uni, premier partenaire actuel de la France en matière de défense, qui a acté son départ de l’Union européenne fin mars dernier : doit-on envisager cette Europe de la défense avec ou sans le Royaume-Uni ? Emmanuel Macron semble laisser la porte ouverte aux Britanniques, ce qui apparaît comme une option réaliste au regard de leur importance actuelle et de la convergence des intérêts de Londres et d'un certain nombre d'Etats européens. Néanmoins, ces négociations seraient compliquées car elles seraient menées en parallèle de celles du Brexit, qui s’annoncent tous les jours un peu plus tendues. En outre, les spécialistes des questions militaires s’accordent généralement pour affirmer qu’aucune défense européenne ne pourra naître sans que les Etats membres n’accordent au moins 2 % de leur PIB à leur effort de défense. Dans le contexte actuel, ces critères minima sont très loin d’être atteints. En 2015, les dépenses militaires représentaient en moyenne 1,5 % du PIB national au sein de l’Union européenne[26].
Si Emmanuel Macron se montre ainsi ouvert aux discussions sur ce sujet, ce n’est pas le cas de Marine Le Pen, qui se montre réticente à toute discussion sur l’Europe de la défense, politique qu’elle considère relever des nations indépendantes et non d’une entité commune. En considérant que la défense n’est pas un axe de coopération, mis à part en matière d’armement, Marine Le Pen semble négliger un aspect essentiel du hard power européen et de sa capacité à donner l’image d’une entité puissante.
En définitive, si Marine Le Pen évoque la nécessité d’une France libre, sûre, prospère, juste, fière, puissante, durable, Emmanuel Macron souhaite pour sa part une France intégrée dans “une Europe protectrice et à la hauteur de nos espérances”[27], “une France forte dans une Europe ambitieuse”[28]. Là où les sujets régaliens, comme l’économie ou la défense, prennent les devants, l’angle européen clive les deux candidats sur la question de l’idéal démocratique et souverain. Tandis que l’un prône un renforcement de la souveraineté européenne et considère l’Europe comme une source d’opportunités, l’autre conteste une supériorité constitutionnelle qu’elle souhaite réformer, là où elle voit en l’Europe une source permanente de dangers pour les Français. A quelques heures du scrutin final, les deux candidats ont tout intérêt à évoquer les enjeux européens.
[1] Objectif 1 du programme d’Emmanuel Macron sur l’Europe https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/europe.
[2] Proposition 1 du programme de Marine Le Pen, "Les 144 engagements présidentiels" https://www.marine2017.fr/programme/
[3] Journal de 20h sur TF1 le 2 mai, et débat de l’entre-deux tours avec Emmanuel Macron le 3 mai.
[4] Volet I des "144 engagements présidentiels" de Marine Le Pen.
[5] Proposition 1 des "144 engagements présidentiels" de Marine Le Pen.
[6] Proposition 24 du programme de Marine Le Pen, "Les 144 engagements présidentiels".
[7] Ibid.
[8] Il s’agirait d’une perte de 10 milliards d’euros. AUSSILLOUX Vincent, "Les conséquences économiques d'un abandon des accords de Schengen", France Stratégie, 3 février 2016 : http://www.strategie.gouv.fr/publications/consequences-economiques-dun-abandon-accords-de-schengen
[9] Objectif 4 du programme d’Emmanuel Macron sur l’Immigration et l’asile https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/immigration-et-asile
[10] "European Union Trade and Investment 2014", Commission européenne, 2014, , p. 3 : http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2014/january/tradoc_152062.pdf
[11] Ibid.
[12] JARRY Emmanuel, "Macron prêt à reconsidérer sa position sur l'accord CETA", 1er mai 2017, Reuters France : http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKBN17X2BR-OFRTP
[13] Objectif 2 du programme d’E. Macron sur l’Europe : https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/europe
[14] Site officiel du Front National, http://www.frontnational.com/videos/marine-le-pen-soppose-au-traite-de-libre-echange-ceta-marine-2017/
[15] Ibid.
[16] Objectif 2 du programme d’Emmanuel Macron sur l’Europe : https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/europe
[17] Proposition 38 des "144 engagements présidentiels" de Marine Le Pen.
[18] "Détachement des salariés et lutte contre la fraude au détachement", ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social : http://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/detachement-des-salaries-et-lutte-contre-la-fraude-au-detachement/
[19] Objectif 1 du programme d’Emmanuel Macron sur la Défense https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/defense. Proposition 121 du programme de Marine Le Pen, "Les 144 engagements présidentiels".
[20] Proposition 118 des "144 engagements présidentiels" de Marine Le Pen.
[21] Interview de Marine Le Pen par Joseph Henrotin, pour Areion, le 13 février 2017.
[22] Proposition 118 des "144 engagements présidentiels" de Marine Le Pen.
[23] Proposition 84 des "144 engagements présidentiels" de Marine Le Pen.
[24] Proposition 119 des "144 engagements présidentiels" de Marine Le Pen.
[25] Propos d'Emmanuel Macron lors de son discours sur la politique de défense le 18 mars 2017.
[26] "Dépenses militaires (% du PIB)", site de la Banque mondiale, http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/MS.MIL.XPND.GD.ZS?locations=EU&name_desc=false&view=chart
[27] Page 21 du programme d’En Marche !
[28] Discours d’Emmanuel Macron à son meeting de Bercy le 18 avril 2017.
Légende des photos en bandeau :
- Emmanuel Macron lors d'une conférence sur les technologies numériques, Paris, 11 décembre 2014 (c) LeWeb14 ;
- Marine Le Pen, rencontre avec Vladimir Poutine, Moscou, 24 mars 2017 (c) kremlin.ru.