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 La politique aux États-Unis se féminise-t-elle ?

par Hélène Fredes-Castro, membre du programme Géopolitiques des Amériques de l'Institut Open Diplomacy

4 novembre 2016

« Personne n’a autant de respect pour les femmes que moi » répliquait le candidat républicain Donald Trump à la démocrate Hillary Clinton, lors d’un ultime face-à-face télévisé, le 19 octobre 2016[1]. Ce dernier débat à  été l’occasion pour Donald Trump de repousser les récentes accusations d’agressions et de harcèlement sexuels formulés à son encontre, et de dénoncer des élections qui seraient truquées et orchestrées par son adversaire politique Hillary Clinton, soutenue notamment par l’actuelle première dame des Etats-Unis. Lors d’un discours prononcé le 13 octobre, et encensé par la presse américaine, Michelle Obama a en effet enjoint l’électorat féminin à voter pour la candidate démocrate le 8 novembre prochain[2]. Au-delà du clivage traditionnel Démocrates / Républicains, les scandales médiatiques entourant la campagne présidentielle du candidat républicain, mettent en exergue une polarisation genrée de l’actuelle campagne présidentielle étasunienne, occasion  permettant l’ouverture d’un débat inédit quant à l’intégration et à la progression des femmes en politique.

Hillary Clinton : une exception dans un paysage politique étasunien marqué par le « plafond de verre » ?

Depuis l’obtention en 1920 du droit de vote pour les femmes aux États-Unis, Hillary Clinton fait partie des rares femmes ayant proposé leur candidature à l'élection présidentielle. Cependant, elle s’affirme comme la seule candidate, et la seule candidate démocrate, susceptible d’être élue à la Maison blanche. D’après Aurélie Godet, Maître de conférence en civilisation nord-américaine à l’université Paris Diderot, au regard de l‘évolution de la société et de l’histoire des institutions étasuniennes, l’accession des femmes aux fonctions régaliennes de l’État reste rare[3]. Ainsi, en 2016, les femmes n’occupent qu’entre 17 % et 24 % des sièges électifs dans les États fédérés, et seulement 17 à 20 % de ceux au niveau fédéral.

Le débat sur le genre en politique repose sur les notions de représentation politique, comme les questions de parité, mais aussi sur la représentation symbolique . Dans le paysage politique étasunien, les femmes se confrontent à un « double standard ». Ainsi, selon Leah Pizar, Docteure en sciences politiques et ancienne conseillère du président Bill Clinton (1993-2001), une femme  politique doit à la fois remplir des critères de  féminité, auxquels sa gestuelle et ses modalités d’expression orale doivent se conformer,  mais aussi des critères perçus comme masculin : des compétences fondées sur l’expérience, et, pour une future présidente, une capacité à s’affirmer comme chef des armées.

Hillary Clinton s’affirme à cet égard  comme un personnage politique extrêmement complexe, traversé par de nombreuses influences ambivalentes acquises au fur et à mesure de ses nombreuses expériences politiques en tant que première dame, sénatrice de l’Etat de New York de 2001 à 2009 et durant ses deux campagnes présidentielles en 2008 et 2016. Si cette dernière caractéristique constitue un gage de confiance aux yeux d’une partie de son électorat, Hillary Clinton peine néanmoins à faire oublier l’image de « figure du passé » pesant sur sa candidature. La médiatisation du soutien de Michelle Obama à la candidature de l’ancienne première dame peut en ce sens jouer un rôle décisif  dans l’orientation des résultats du 8 novembre prochain, en replaçant Hillary Clinton dans une  dynamique d’action politique tournée vers « le monde de demain » selon François Clémenceau, rédacteur en chef chargé de l’actualité internationale et de la politique étrangère du Journal du Dimanche.             

 Le vote des femmes est-il décisif pour la victoire de Hillary Clinton ?

Selon François Clémenceau, les marges de progression respectives des votes pour les deux candidats dans les douze États traditionnellement indécis (« swing states ») seront décisives quant à la victoire finale du 8 novembre – la Floride, la Pennsylvanie, l’Ohio, le Michigan, la Caroline du Nord, la Virginie, le Wisconsin, le Colorado, l’Iowa, le Nevada, le Nouveau-Mexique et le New Hampshire, autant d’États clés dans cette élection. Alors que Donald. Trump disposerait du soutien de 170 grands électeurs, Hillary Clinton le devancerait de 86 grands électeurs (avec 256 signatures) sur les 270 nécessaires à l’élection, selon une infographie du site RealClearPolitics publiée le 16 octobre 2016[4].

Hillary Clinton, à Durham en Caroline du Nord, le 10 mars 2016.

Le 11 octobre 2016, le site FiveThirtyEight[5], a publié une étude montrant, à l’aide de deux cartes, ce qu’il se passerait si seules les femmes ou seuls les hommes se rendaient aux urnes, afin de déterminer des comportements électoraux en fonction du genre. Le résultat : si les femmes étaient seules à voter, Hillary Clinton pourrait comptabiliser à elle seule 458 grands électeurs sur 538.

Cependant, l’on ne peut pas se fier totalement aux résultats escomptés par les sondages. En effet, la victoire d’Hillary Clinton n’est pas encore assurée et dépendra essentiellement du taux d’abstention des électeurs qu’elle n’aura pas convaincus : les républicains déçus par Donald Trump ou les démocrates se méfiant d’Hillary Clinton et des scandales qui sont rattachés à son parcours politique.

Hillary Clinton, femme politique ou féministe ? 

L’actuelle candidate démocrate n’est pas là où on l’attend : incarnant la femme blanche issue de l’establishment, elle oscille entre un discours teinté de conservatisme, mettant en avant des valeurs familiales, et un discours dénonçant les normes établies quant à la situation des femmes dans les milieux professionnels et politiques. Elle prévoit d’ailleurs, dans son programme politique, des mesures d’équité salariale, de mettre en place des congés parentaux et  d'accroître l'accessibilité aux services de garderies.

Soutenue tout au long de sa campagne électorale par la porte-parole féministe Gloria Steinem[6], et par un grand nombre d’organisations et d’associations agissant pour les femmes, notamment l’association Emily’s list[7] qui promeut la place des femmes en politique par la recherche de financements, Hillary Clinton ne fait pourtant pas l’unanimité au sein des divers mouvements féministes. Car sa perception de l’émancipation féminine et de l‘égalité des genres est celle d’une libération portée par les vertus individuelles des femmes, et non pas celle d’une libération permise par la mise en place de mesures législatives ou de quotas, selon le modèle mis en œuvre en France par exemple.

Afin de ne pas reproduire les erreurs de sa candidature de 2008, désireuse de médiatiser sa volonté de représenter l’ensemble de son électorat, Hillary Clinton a su à la fois mettre en avant ses compétences en tant que leader, et ouvrir le débat sur les problématiques qui parcourent son cheminement politique en tant que femme. L’on peut néanmoins s’interroger sur le succès de sa campagne électorale et sur la prise en compte des enjeux politiques des rapports de genre si le Parti républicain n’avait pas été représenté par un candidat aussi clivant, provocateur et misogyne que Donald Trump.

[1] Troisième débat de la présidentielle américaine, RBC network Broadcasting, le 19 octobre 2016, consulté le 21 octobre 2016 [en ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=dGQGwIr47YY

[2] Discours de Michelle Obama, NBC news, le 13 octobre 2016 , consulté le 21 octobre 2016 [en ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=3d-u9sRy6NA

[3] GODETodet Aurélie, « Introduction. Femmes et/en politique aux États-Unis », Politique américaine 1/2016 ( n°27), pp.9-14 , consulté le 21 octobre 2016, [en ligne] URL : https://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2016-1-page-9.htm

[4] « Battle for White House », site RealClearPolitics, http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/2016_elections_electoral_college_map_race_changes.html

[5] SILVER Nate, « Election Update , women are defeating Donald Trump », FiveThirtyEight, le 11 octobre 2016, [en ligne] consulté le 22 octobre 2016 URL : http://fivethirtyeight.com/features/election-update-women-are-defeating-donald-trump/

[6] STEINEM Gloria, « Why the White House needs Hillary Clinton », The Guardian, le 19 octobre 2015, [en ligne] consulté le 22 octobre 2016, URL : https://www.theguardian.com/us-news/2015/oct/19/gloria-steinem-hillary-clinton-white-house

[7] Site internet consulté le 22 octobre 2016, URL : http://www.emilyslist.org/

Cet article a été nourri par les discussions lors de la conférence organisée le 18 octobre 2016 par l’Institut Open Diplomacy en partenariat avec l'association Politiqu’elles, autour de François Clémenceau, Rédacteur en chef du Journal du Dimanche et auteur de l’ouvrage Hillary Clinton de A à Z, du  Dr. Aurélie Godet, Maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Paris Diderot, et du   Dr. Leah Pisar, ancienne Conseillère de Bill Clinton. La conférence a été modérée par Caroline Miller, Directrice du programme Géopolitique des Amériques de l'Institut Open Diplomacy.

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