Remise en cause du libre-échange, crises politiques intérieures et extérieures... Le Sommet social tripartite du 7 mars 2017 et le Conseil européen des 9 et 10 mars se sont tenus à Bruxelles sous un ciel ombrageux. Devant la méfiance des citoyens, les dirigeants européens se sont saisis du sujet des plus pressants pour l’économie européenne, poussés par la volonté et l’urgence de construire un futur en commun. La compétitivité est la clef du succès pour rendre l’UE plus prospère, plus innovante et plus juste.
Un anniversaire en demi-teinte
« Pour la première fois en une décennie, les économies de tous les 28 États membres de l’Union européenne ont renoué avec la croissance, il s’agit de bonnes perspectives » a annoncé le président du Conseil européen Donald Tusk, à l’issue du Sommet social tripartite le 8 mars 2017. Au programme notamment de ce sommet, enceinte de dialogue entre les institutions de l'UE et les partenaires sociaux européens : « L'avenir de l'Europe : tracer la voie vers la croissance, l'emploi et l'équité ». Pourtant, à l’heure où l’UE s’apprête à célébrer les 60 ans de ses traités fondateurs, les traités de Rome (créant la Communauté économique européenne – CEE et la Communauté européenne de l'énergie – Euratom), la pression de la concurrence internationale, les déséquilibres au sein du marché unique et le manque d’investissements sont manifestes. À l’intérieur comme à l’extérieur de l’UE, des citoyens crient leur désarroi, au profit des mouvements politiques populistes et nationalistes qui surfent sur la vague de mécontentement.
Menaces. 2017 est une année d’élections décisives pour le futur de l’UE. Tous les regards sont tournés vers trois puissances économiques : les Pays-Bas, la France et l’Allemagne. Le 15 mars, les Néerlandais se rendront aux urnes pour choisir un nouveau gouvernement. Le Parti pour la liberté (PVV) du député islamophobe et anti-européen Geert Wilders est depuis plusieurs mois en tête des sondages. Une élection suivie de très près en France par Marine Le Pen. Le score du leader néerlandais d’extrême-droite pourrait en effet servir de baromètre pour évaluer les chances de la présidente du Front National (FN) lors de l’élection présidentielle française les 23 avril et 7 mai prochains. Troisième élection au centre des préoccupations européennes, l’Allemagne, qui désignera un nouveau Parlement à la rentrée alors que la chancelière Angela Merkel est politiquement fragilisée et subit les critiques de son propre camp. Le parti souverainiste et eurosceptique Alternative pour l’Allemagne (AfD) mené par Frauke Petry, s’est déjà engouffré dans la brèche, même s’il connaît une baisse dans les sondages dernièrement. Face à ces alarmes, Donald Tusk est resté ferme dans une déclaration à la presse le 9 mars : « Nous ne céderons pas aux sirènes du protectionnisme. Nous n’hésiterons pas à nous défendre contre les pratiques commerciales déloyales. L'échange reste la clef du succès de l’économie européenne : un marché libre et juste, ouvert et régulé, un système d’échange multilatéral ».
Comment redonner confiance aux Européens ? « Nous devons réformer notre système économique, être ambitieux pour construire le futur de l’Europe. Tous les membres doivent prendre leurs responsabilités » a souligné d’un ton grave Luca Visentini, Secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) à l’issue du Sommet social tripartite. Une des clefs pour pallier les faiblesses de l’économie réside dans la compétitivité. L’UE est devenue le bouc-émissaire favori des leaders nationalistes, mais c’est oublier que ce projet d’intégration a permis d’augmenter le niveau de vie de millions d’Européens en peu de temps. L’union monétaire a apporté des avantages tangibles pour les citoyens et les entreprises. Si le taux de chômage au sein de l’UE s’élève encore à 8,3 % de la population active soit 20 millions de sans-emplois, ce chiffre ne cesse de décroître.
« Le marché libre n’est pas un ennemi »
Pour relever les défis à venir, les dirigeants européens doivent apprendre de leurs erreurs passées et réaffirmer les valeurs de l’UE. « La compétitivité ne profite pas seulement aux entreprises mais offre une protection aux salariés » affirme avec détermination la Commissaire européenne à la Compétitivité Margrethe Vestager, lors du Mercredi social organisé le 7 mars dernier à la Bibliothèque Solvay en partenariat avec le Mouvement international européen promouvant l’intégration européenne, et l’organisation EuroCommerce représentant le commerce de détail et de gros en Europe. « Un marché équitable est la solution pour redonner confiance aux citoyens. La confiance est la clef de l’économie ». Batailleuse, audacieuse, considérée par la presse étrangère comme la femme la plus influente de la Commission européenne, Margrethe Vestager a été élu « femme de l’année » par le Financial Times en 2016. Pour elle, « le marché libre n’est pas un ennemi ».
Vers une politique industrielle commune ?
Les intervenants du Sommet social tripartite ont délivré un message clair : la Commission doit proposer une nouvelle politique industrielle. Au cœur du projet européen dès son origine, l’industrie européenne fournit 50 millions d’emplois directs et a permis à l’Europe de devenir le premier exportateur du monde. Le secteur représente la première activité économique européenne. Dans une atmosphère intimiste lors du Sommet social tripartite, le Vice-président pour l’Euro et le Dialogue social, également chargé de la stabilité financière et de l’union des services financiers au sein de l’UE Valdis Dombrovskis, a proposé des solutions. « Le bloc doit assurer la flexibilité de ses marchés du travail pour stimuler la création d'emplois et la compétitivité mondiale ». Convaincu qu’il faut améliorer le système économique de l’UE, il a poursuivit : « L'encouragement de la décentralisation des salaires et l'élimination des obstacles à la mobilité de la main-d'œuvre obligeront de nombreux Européens à retourner au travail et à aider les entreprises à trouver des employés qualifiés. Le modèle européen n'est pas fondé sur le dumping salarial, mais sur une valeur ajoutée élevée et des normes sociales robustes ».
Créer. Ces propositions font écho à l’appel de cinq ministres chargés de l’Industrie le 27 février dernier, réclamant à la Commission une politique industrielle « plus ambitieuse ». L’italien Carlo Calenda, l’espagnole Begoña Cisteto-Blanco, le polonais Jerzy Kwiecinsky, l’allemand Matthias Machnig et le français Christophe Sirugue y regrettaient notamment que l’UE n’ait pas su protéger durablement son industrie « contre des pratiques commerciales parfois injustes ni lui consacrer les investissements nécessaires ». Ce, malgré de récentes propositions en décembre dernier modifiant les règlements antidumping et antisubventions, pour mieux lutter contre les pratiques commerciales déloyales. Valdis Dombrovskis reconnaît que « les avantages de la mondialisation ont parfois été inégalement répartis, ce qui a provoqué un sentiment d’injustice et d’insécurité ». Mais si fermer la porte à la concurrence étrangère en se repliant sur soi-même est tentant, « cela mènerait l’Europe à la ruine économique » assure le Commissaire. Avec la montée en puissance des pays émergents et les délocalisations croissantes, la politique industrielle européenne a besoin d’une nouvelle vision. L’industrie prépare l’avenir du continent avec 80 % des investissements privés dans la R&D. A l’image de la PAC, pourquoi pas inventer une PIC ?
Margrethe Vestager le 7 mars 2017 à Bruxelles. Crédits : Jade Lévin.
Promouvoir une politique commerciale équilibrée
Connue pour ses combats contre les avantages fiscaux, Margrethe Vestager qui a déjà épinglé Amazon, Apple ou encore Starbucks pour évasion fiscale, est revenue sur l’injustice de certaines pratiques commerciales au sein de l’UE. « Nous voulons que la compétitivité soit le fer-de-lance de nos économies » a lancé vigoureusement la Commissaire. L'optimisation fiscale des grands groupes multinationaux suscite l’indignation compréhensible des citoyens. C'est aussi un facteur d'inefficacité du marché unique. « Les entreprises ne peuvent pas choisir de payer ou non leurs taxes. Les membres de la Commission et ses partenaires commerciaux doivent prendre leurs responsabilités » explique Margrethe Vestager, avant de rappeler non sans satisfaction que certains États membres comme l’Irlande se sont déjà résignés à changer leur approche fiscale.
Droits sociaux. La réciprocité et l'équité, sujets au cœur du Sommet social tripartite, doivent aussi prévaloir sur les marchés publics. Comme l’a rappelé Luca Visentini, « il est urgent de créer un nouveau pacte européen, un pilier pour développer les droits sociaux en Europe ». La Commission européenne peine souvent à obtenir des concessions de la part de ses partenaires. Le développement d’instruments européens permettant d'assurer une symétrie dans l'ouverture des marchés, participerait à une Europe plus sûre et plus équilibrée pour les salariés et les entreprises. « Les droits sociaux ont été affaiblis par la mondialisation et l’austérité croissante. Les écarts de salaires sont trop importants, les divergences concernant les protections sociales doivent être rééquilibrées » conclu le Secrétaire général de la CES sous les applaudissements.
Face aux pratiques déloyales de certains partenaires commerciaux, la Commission a proposé lors du dernier Conseil européen de décembre de rénover son arsenal d'instruments de défense commerciale, pour les rendre plus réactifs et plus dissuasifs, notamment pour les secteurs confrontés aux surcapacités de pays-tiers comme la sidérurgie. Face à la presse le 9 mars, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a également affirmé le souhait de l’UE de conclure un accord de libre-échange avec le Japon : « Nous restons un continent de libre-échange. Nous allons nous servir de cette rencontre [le premier ministre Shinzo Abe se rendra à Bruxelles le 21 mars prochain] pour prouver au monde que nous voulons trouver avec la Chine une nouvelle façon de coopérer sur le plan commercial ».
L’innovation, l’atout phare de la compétitivité de l’économie européenne
Jean-Claude Juncker a fait part de son souhait d’une Europe plus ambitieuse et innovante. L'innovation est devenue le moteur le plus important de la croissance économique et de la prospérité. L’UE a besoin d’un nouveau souffle. Attirer les entreprises créatives et tournées vers l’avenir, représente un défi vital pour l’UE. Pour cela, « nous devons repenser notre stratégie économique » avertit la présidente de Businesseurope Emma Marcegaglia, lors du Sommet social tripartite. « Nous devrons adopter de nouvelles législations, des cadres fiscaux et des règles du capital qui encouragent davantage d'investisseurs à financer l'innovation et l'esprit d'entreprise en Europe ». La complexité administrative de l’UE peut représenter une barrière pour les entreprises étrangères. Or, une Union européenne tournée vers le monde a les atouts pour devenir une destination de choix pour les talents, les investissements et les entreprises. « La compétitivité commence en Europe mais se poursuit à l’étranger » professe Margrethe Vestager.
Les investissements de demain. Véritable enjeu, le numérique est un secteur d’avenir sur lequel l’Europe doit miser. La transition numérique, souvent présentée comme la quatrième révolution industrielle, a bouleversé l’économie mondiale. L’Europe ne peut pas se permettre d’être à la traîne dans ce domaine. Les progrès technologiques sont essentiels à la compétitivité quel que soit le secteur : énergie, espace, transports, automobile ou encore santé. Consciente de ces enjeux, l’UE a lancé une stratégie pour le marché unique numérique en mai 2015 concentrée sur trois objectifs : améliorer l'accès aux biens et services numériques au sein de toute l'Europe pour les consommateurs et les entreprises, renforcer les conditions propices à la croissance et au développement des réseaux et services numériques, et stimuler la croissance de l'économie numérique européenne.
« L’agenda digital est au cœur de nos discussions »
Selon la Commission, le marché numérique pourrait générer 415 milliards d’euros pour l’économie et créer des centaines de milliers de nouveaux emplois. Alors que 47 % de la population de l’UE ne dispose pas de compétences digitales. L’institution estime que dans un proche avenir, 90 % des emplois nécessiteront un certain niveau de compétences numériques. L’Europe doit accélérer la transition dans ce domaine. « La création d’emplois est et restera notre première priorité » a souligné Donald Tusk. Après s’être exprimé devant le Conseil européen le 9 mars, le président du Parlement européen Antonio Tajani a également confié vouloir « renforcer la digitalisation ». Avant de souligner que « l’agenda digital est au cœur de nos discussions ».
Autre secteur d’avenir pour l’économie européenne, l’environnement. Il va de pair avec le maintien et le renforcement de la compétitivité de l’UE sur le marché mondial. Si le climat n’était pas à l’ordre du jour de ce dernier Conseil européen de mars, il n’en demeure pas moins que la politique de l’environnement peut jouer un rôle déterminant pour créer des emplois et stimuler les investissements. L’UE doit élaborer des politiques climatiques et se saisir de la transition énergétique. Le développement de la croissance « verte » représente un intérêt économique pour l’économie européenne tout en améliorant la qualité de vie des citoyens européens. L’Europe possède toutes les cartes en main pour relancer sa compétitivité. « La croissance a repris. Le chômage a baissé, la création d’emplois augmente, le déficit budgétaire baisse. Les progrès sont là et nous donnent envie de faire plus et de faire mieux » a déclaré Jean-Claude Juncker le 9 mars.
Dans quelques semaines, l’UE aura 60 ans. Si aux yeux de certains, c'est l'âge où la retraite commence à se profiler, l’UE doit continuer son travail pour les Européens. 60 ans pour une institution, correspondent plutôt à l’âge de l'adolescence. D’ailleurs, les troubles existentielles sont visibles. L’UE est loin d’être parfaite, mais grâce à elle « ses citoyens ont passé 60 ans dans la paix » rappelle Antonio Tajani. La résurgence des menaces constitue pour l'Union une raison d'être. Les dirigeants européens ont une responsabilité historique : le futur de l’Europe s’écrit maintenant. L’UE a 60 ans mais l’ambition ne vieillit pas. Difficile de contredire le président du Parlement européen lorsqu’il conclu : « il est grand temps de travailler tous ensemble ».
Légende de la photo en bandeau : conférence de presse finale du Sommet social tripartite, 7 mars 2017, Bruxelles. Crédits : Jade Lévin.
Une première version de cet article a été publiée le 10 mars 2017 sur Toute l'Europe : http://www.touteleurope.eu/actualite/au-sommet-social-tripartite-la-competitivite-comme-clef-de-voute-de-la-croissance-europeenne.html.
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